En route vers le futur : le nucléaire vu à travers les lunettes d’un prospectiviste
Rédacteur en chef du magazine Usbek & Rica, Thierry Keller « explore le futur », convaincu que « l’humanité est à l’aube d’une nouvelle ère fondée sur le partage, la connaissance, le métissage, le fun et l’empathie ». Cet hyperconnecté se réclame d’une « révolution cool » permise par les réseaux sociaux. Pour lui, demain est plein de promesses et les raisons d’être optimiste sont multiples. Dans cet avenir à la fois proche et radieux, quelle place pour l’énergie nucléaire ? RGN lui a posé la question.
Quadra, fan de foot et de l’OM en particulier, Thierry Keller a été formé à Sciences Po, puis à l’Université où il sera initié à la sociologie. Homme engagé et militant politique, il fait ses premières armes dans un courant du PS, la « gauche socialiste », où il côtoie Julien Dray, Jean-Luc Mélenchon, Marie-Noëlle Lienemann… Il rejoint ensuite Malek Boutih, son ami, défendre les combats de SOS Racisme.
En 2010, il est recruté par Jérôme Ruskin, le fondateur du trimestriel, Usbek & Rica, un magazine qui « explore le futur de manière transdisciplinaire ». Du titre à l’esprit, le magazine s’inspire du roman de Montesquieu, les Lettres persanes, où deux Perses (Usbek et Rica) regardent la société française du XVIIIe siècle avec un œil complètement étranger. « Dans notre magazine, c’est pareil. Nous voulons regarder les grands basculements d’aujourd’hui avec ce même regard étonné. Faire en sorte de découvrir les sujets pour la première fois. »
« Le journal essaie de voir en quoi le progrès technique est aussi un progrès humain. » Pour Thierry, l’avenir repose en bonne partie sur la science. « C’est pour cela que l’on appelle l’anticipation, la “science-fiction”. Toute œuvre de fiction qui s’intéresse au futur imagine un décor préalablement scientifique et technologique. » S’il regarde aujourd’hui la science avec bienveillance et humilité, cela n’a pas toujours été le cas : « Petit, je détestais les maths, la science, la physique et la chimie. » Il regrette aujourd’hui cette « posture snobinarde » par rapport à des matières qu’il ne comprenait pas à l’époque.
Et le nucléaire dans tout ça ?
La première fois que Thierry visite une centrale nucléaire, c’est au Tricastin avec sa classe de 4e. « La professeur devait être antinucléaire car nous avions visité les locaux de la CRIIRAD. Je n’avais pas compris qu’ils étaient antinucléaires » s’amuse-t-il. Cette première expérience ne le convainc pas. « Je me méfie des dogmes, quels qu’ils soient. » C’est d’ailleurs pour cette raison qu’il n’arrive pas à se satisfaire des débats sur le nucléaire : « La question mériterait d’être plus pragmatique. La vision dogmatique empêche d’y réfléchir sérieusement. » Par contre, la visite du Tricastin fige dans sa mémoire une image du nucléaire, technologie futuriste, « avec des boutons lumineux dans tous les sens », et vintage à la fois, « des formes rectangulaires, des mecs en uniforme des années 1970. »
Côté sûreté, Thierry fait confiance à la filière française : « J’ai visité des centrales, l’usine de La Hague et les centres de l’Andra… j’ai pu discuter avec ceux qui y travaillent : je peux dire que je leur fais confiance. Les mecs sont à BAC +12 ! » Pour autant, il considère que malgré ses atouts environnementaux indéniables, l’atome reste « une énergie fossile dont la matière première [NDLR : l’uranium] se tarira un jour. L’avenir de l’humanité se trouve dans les renouvelables. Il faudrait réussir à mettre tout notre argent pour investir dans ces technologies ! »
À quoi ressemblera demain ? Pour cet explorateur du futur, il faut regarder l’avenir avec optimisme : « aujourd’hui est mieux qu’hier, et demain est mieux qu’aujourd’hui. Je vois l’ancien monde s’effondrer et le nouveau monde apparaître de manière chaotique. Je veux participer à ce nouveau monde. J’ai envie de bénéficier de la pénicilline, des transports rapides, d’internet en haut débit partout quand je veux. Je veux que ça capte ! Je veux être connecté ! » Impatient de vivre ce futur, il s’inquiète du développement de l’intelligence artificielle et de l’« algorithmisation de notre existence » : « je veux que demain soit rock’n’roll. Je n’ai pas envie d’un futur aseptisé qui ressemblerait à un Apple Store ! »