Réindustrialisation et sobriété : RTE enrichit ses scénarios 2050 - Sfen

Réindustrialisation et sobriété : RTE enrichit ses scénarios 2050

Publié le 22 février 2022 - Mis à jour le 24 février 2022

RTE a publié le 16 février 2022 des travaux complémentaires à son étude « Futurs Energétiques 2050 » (FE2050) d’octobre 2021. Ces 200 pages apportent de nouveaux éclairages sur les trajectoires de consommation « sobriété » et « réindustrialisation ». Ces derniers ne remettent en cause les conclusions fondamentales sur l’intérêt des trajectoires avec renouvellement du parc nucléaire. Des analyses permettent aussi d’approfondir les enseignements sur le volet sociétal et le volet environnemental.

En octobre 2021, RTE publiait son étude « Futurs énergétiques 2050 », présentant plusieurs scénarios permettant la neutralité carbone d’ici 30 ans. Ce travail s’appuyait sur une trajectoire de consommation électrique de référence en cohérence avec la Stratégie nationale bas carbone (SNBC), toute en l’actualisant. Cette trajectoire repose sur une baisse de la consommation d’énergie finale de 40 % et une part de l’électricité dans la consommation d’énergie finale appelée à augmenter fortement. Elle atteindra de l’ordre de 55 % du volume d’énergie finale consommée en 2050, contre 27 % aujourd’hui.

Au total, le scénario de référence table sur une consommation totale d’électricité de l’ordre de 645 TWh à l’horizon 2050 (France métropolitaine continentale). Les nouveaux travaux permettent d’étudier deux trajectoires de consommation additionnelles. La première, « sobriété », par l’activation de plusieurs leviers, permet une baisse de consommation de 90 TWh (soir 555 TWh). La seconde, « réindustrialisation », envisage une hausse de la consommation estimée à 100 TWh (soit 745 TWh).

L’étude FE2050 comparait ensuite six scénarios de mix électrique à 2050, avec ou sans nouvelles constructions nucléaires, sur cette même trajectoire unique de consommation. Le choix méthodologique de RTE vise à restituer les résultats selon une logique de comparaison, toutes choses étant égales par ailleurs, sans faire d’association préalable entre un scénario de demande donné avec un mix électrique donné. Cette option est la manière la plus claire de comparer les différentes options de mix entre elles, tout en permettant ensuite de multiplier les variantes, sans corrélation a priori.

Les travaux complémentaires confirment l’intérêt des scénarios avec renouvellement du parc nucléaire

Dans les scénarios sobriété, où la demande est inférieure de 90 TWh, on constate que :

  • Le coût du système électrique total est inférieur de 10 à 15 % (de 6 à 12Md€ par an), par rapport à la trajectoire de référence. Ramenés au niveau d’énergie consommée, le coût de l’électricité (en €/MWh) reste néanmoins similaire.
  • Cette trajectoire permet de réduire le rythme de développement des énergies renouvelables. Celui-ci posait des questions de faisabilité industrielle en comparaison avec les pays voisins dans le scénario de référence. Il demeure néanmoins très soutenu, avec de 7 à 9,5 GW/an pour les scénarios M (avec une sortie du nucléaire), soit une baisse de 1 à 2 GW/an par rapport à la demande de référence. Même dans le scénario N3[1], où la capacité nucléaire est la plus forte, on a un doublement des capacités éoliennes terrestres, un quadruplement des capacités photovoltaïques et un triplement des capacités éoliennes en mer par rapport aux projets déjà attribués à ce jour en France.
  • L’écart du coût du système électrique globale entre M23 (renouvelables grands parcs) et N2 (14 EPR et prolongation) se réduit de 2 Md€/an, sur un écart initial de 9-10 Md€ dans le scénario de référence.

L’intérêt économique des mix associant nucléaire et renouvelables est donc confirmé, même dans une configuration de sobriété.

Dans les scénarios réindustrialisation, où la hausse de la consommation est estimée à 100 TWh et où l’équilibre offre-demande nécessite des capacités supplémentaires, une répartition de l’effort entre les différentes filières de production d’électricité (nucléaire et énergies renouvelables) allégerait les contraintes :

• La trajectoire réindustrialisation conduit à des coûts complets 10 à 15 % plus élevés. Ramenés au MWh consommé, les coûts complets restent du même ordre de grandeur que dans le scénario de référence. À noter qu’elle apporte, d’un point de vue économique, de nombreux bénéfices en termes de balance commerciale, d’emploi, de souveraineté ou encore d’empreinte carbone, dans la mesure où de nombreux produits importés sont fabriqués dans des pays où le mix électrique est plus carboné. RTE annonce des travaux supplémentaires en 2022 sur ce volet.

  • Une réindustrialisation profonde implique de développer encore plus les énergies renouvelables dans tous les scénarios et accroît la difficulté des scénarios de sortie du nucléaire.
    • Se passer de nouveau nucléaire implique d’accélérer encore le rythme de déploiement des énergies renouvelables par rapport au rythme des scénarios de référence, lequel avait déjà été jugé comme très ambitieux lors de la concertation. Selon RTE, un tel rythme pose « des interrogations sur les capacités industrielles et/ou sur l’acceptabilité, en particulier dans les scénarios « M ».
    • La hausse de la consommation entraine une hausse des besoins de flexibilité (d’environ 13 GW), même si une hausse de la demande industrielle peut offrir des leviers de flexibilité. Quant à la disponibilité des centrales thermiques alimentées par des gaz décarbonés, elle demeure incertaine à grande échelle demeure incertaine mais sont pourtant nécessaires dans toutes les configurations de mix envisagées.
  • Pour les scénarios N2 et N03, le besoin de capacités supplémentaires renouvelables par rapport au scénario de référence est couvert en décalant d’un scénario à l’autre les capacités d’ENR requises. Ainsi les capacités ENR du scénario N03–réindustrialisation sont au niveau de celles de N2-Référence et celles de N2-réindustrialisation au niveau de N1-Référence. Ceci démontre que, en cas de hausse de la demande électrique, les scénarios avec du nouveau nucléaire sont plus résilients.

RTE juge qu’au cours des dix à vingt prochaines années, « poursuivre l’exploitation des réacteurs existants répondant aux normes de sûreté fixées par l’ASN constitue un levier évident pour adapter les scénarios de mix de production à une hausse plus importante de la consommation ». Cette option, déjà considérée dans le scénario N03 de référence, permettrait de relâcher la contrainte aux horizons 2030 et 2040 dans tous les autres scénarios.

Volet sociétal

RTE a noté, lors de la concertation, un manque de consensus sur la définition de la sobriété, souvent confondue avec la notion d’efficacité énergétique. Cette dernière correspond à la « diminution de consommations énergétiques permise par un dispositif technique pour un service rendu équivalent ».

Sans effet de l’efficacité énergétique, RTE rappelle que la trajectoire permettant d’atteindre la neutralité carbone élèverait la consommation d’électricité à 845 TWh. L’efficacité permet déjà de réduire la consommation de 200 TWh dans le scénario de référence (atteignant ainsi 645 TWh). Les effets de la mobilisation des gisements de sobriété s’élèvent à 90 TWh supplémentaire (voir ci-dessus).

RTE qualifie son scénario « sobriété » de contre-tendanciel, dans le sens qu’il nécessiterait une inflexion très marquée des modes de vie actuels. En effet, on constate que l’étalement urbain se poursuit, le nombre de véhicules a crû de manière continue, les voitures sont plus grosses et plus lourdes (ce qui contrebalance en partie l’amélioration de leur performance énergétique), le transport aérien s’est considérablement démocratisé, et la consommation numérique des Français a considérablement augmenté.

De ce fait, RTE considère qu’il n’est donc pas possible de tenir la sobriété pour acquise. Elle note toutefois que certaines contributions ont dénoncé une sous-estimation des gisements de sobriété induits par une transformation des modes de vie, au vu de la prise de conscience progressive par les citoyens des enjeux associés au changement climatique.

Volet environnemental

Le choix du mix électrique, et des réseaux associés, a un impact sur les besoins de certains matériaux. RTE montre un facteur 2 entre les besoins du scénario 100% ENR (M0) et ceux du scénario 50% nucléaire (N03), pour le cuivre et l’aluminium. Ce ratio résulte de l’intensité matière plus importante des ENR par rapport au nucléaire et surtout d’un besoin accru de réseau pour un mix avec davantage d’ENR. Ceci représente de nouveau un avantage significatif supplémentaire au scénario plus équilibré nucléaire-ENR.
RTE estime que l’atteinte de l’objectif de décarbonation  du système électrique est atteignable dans tous les scénarios mais avec cependant des points de vigilance :

• Elle est en partie conditionnée à la faculté de décarboner totalement le gaz utilisé dans les centrales thermiques, notamment dans les scénarios sans nouveau nucléaire. En cas de non-¬atteinte des objectifs  de développement des énergies renouvelables ou du nucléaire, un risque de compensation par des centrales au gaz fossile est identifié.
Les scénarios de mix électrique n’ont pas le même bilan sur la trajectoire de décarbonation en France, en particulier le scénario N03. A la différence des autres, qui suivent la trajectoire de fermeture des réacteurs nucléaires de la PPE, ce dernier ne prévoit pas de fermeture avant 2030. Toutes choses étant égales par ailleurs, la fermeture de réacteurs nucléaires conduit à une diminution plus lente de la production d’électricité d’origine thermique fossile, en France mais surtout en Europe, car les exports français d’électricité s’en trouvent réduits. ■

[1] Rappel scénario N3 : Prolongement de certains réacteurs existants au-delà de 60 ans, développement de 14 EPR2 d’ici 2050, et développement de 5 GW de petits réacteurs modulaires).

 

Par la Sfen.
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