Recycler le combustible nucléaire pour préserver l’environnement
Depuis son histoire jusqu’au détail de ses activités, en passant par ses dispositions de sûreté spécifiques, Pascal Aubret vous raconte tout sur l’usine de traitement-recyclage de la Hague dont il est le Directeur. Une interview réalisée par Thibault Leigné et Marie Kirchner.
SFEN Jeune Génération : pouvez-vous nous présenter votre parcours et ce qui vous a amené à travailler dans le nucléaire, et particulièrement dans les activités liées au cycle du combustible ?
Pascal Aubret : j’ai débuté, dans les années 1990, dans le domaine de l’industrie automobile pour le groupe Fiat où j’ai pris la direction d’une usine de production en 1998. Ensuite j’ai intégré PSA et sa filiale Faurecia.
Mon arrivée dans le secteur nucléaire date de 2004, sur le site AREVA de la Hague en tant que chargé de mission « Performance industrielle » puis directeur de la maintenance en 2006. J’ai ensuite rejoint l’usine de MELOX sur le site de Marcoule en 2008 et en ai pris la direction en 2009. Enfin j’ai été nommé directeur du site de la Hague en novembre 2013.
Quelles sont les activités de l’usine de traitement-recyclage de la Hague ? Quelles activités du cycle du combustible ne couvre-t-elle pas ?
L’usine AREVA la Hague assure la première étape du recyclage des combustibles usés provenant des centrales nucléaires afin d’en extraire les matières valorisables et de conditionner les déchets ultimes.
96 % du combustible usé est recyclable : on en extrait l’uranium (95 %) pour refaire du combustible qui, une fois ré-enrichi aura les mêmes propriétés que de l’uranium naturel, ainsi que du plutonium (1 %), qui sert à faire un combustible appelé MOX.
Les 4 % restants, dits « déchets ultimes », sont incorporés dans du verre pour un conditionnement sûr et stable sur le très long terme. Quant aux déchets métalliques, ils sont compactés pour réduire d’un facteur 5 leur volume.
Par ailleurs, le démantèlement est devenu une autre activité importante sur le site de la Hague, avec l’usine UP2 400 dont la production a cessé en 2004. Nous sommes dans une phase de montée en puissance pour cette activité qui va se poursuivre dans les années à venir.
Au total, 4 000 collaborateurs AREVA et 1 000 salariés d’entreprises sous-traitantes travaillent sur le site, qui est le premier employeur privé de Basse Normandie.
Quand a été créée l’usine de la Hague ?
La décision de création est prise en 1959 ; la première pierre est posée en 1962 et la première unité de retraitement des combustibles irradiés est mise en service en 1966 (UP2 400). En mai de la même année, les premières matières nucléaires arrivent à la Hague en provenance du jeune réacteur de Chinon (Indre-et-Loire) de la filière graphite-gaz.
Les premières matières nucléaires issues des réacteurs à eau légère, comme les réacteurs d’aujourd’hui, arrivent en 1976.
La capacité de traitement de la Hague augmente avec la construction de deux nouvelles unités, UP3 mise en service en 1990 et UP2 800 en 1994.
Enfin, en 2004 est prononcé l’arrêt définitif du traitement de combustibles sur la première usine UP2 400 dont les opérations de démantèlement ont débuté.
On entend régulièrement parler des convois radioactifs dans la presse. D’où viennent-ils ? Quand un colis arrive à la Hague ou en sort, qu’y a-t-il dedans ? Que conservez-vous sur l’établissement ?
Les combustibles usés en provenance des centrales nucléaires françaises ou étrangères arrivent sur le site de la Hague par camion. Ils sont acheminés au préalable par voie ferroviaire jusqu’au terminal AREVA de Valognes ou celui du port de Cherbourg pour la voie maritime. Environ 200 convois arrivent chaque année sur le site.
Les combustibles usés sont transportés dans des emballages ultra-sécurisés qui répondent à des normes très strictes.
En sens inverse, les emballages une fois vidés repartent vers les centrales nucléaires. Les matières valorisées (uranium et plutonium) sont, elles, acheminées vers les usines AREVA pour produire de niveaux combustibles, tandis que les déchets ultimes sont renvoyés vers nos clients.
Les combustibles usés sont entreposés en moyenne 6 à 7 ans dans des piscines pour leur permettre de refroidir avant les opérations de traitement.
Une fois séparés, les déchets ultimes sont vitrifiés et les déchets métalliques issus des assemblages de combustibles sont compactés avant d’être entreposés dans des bâtiments spécifiques. Ces déchets génèrent de la chaleur qui est évacuée grâce à des dispositifs de ventilation naturelle. Ainsi, la sûreté continue d’être assurée même en cas de perte d’alimentation électrique.
Les déchets étrangers sont ensuite expédiés vers leurs propriétaires qui prennent en charge leur gestion, comme le prévoit la loi française.
Les déchets français sont entreposés sur le site de la Hague en attente de la mise en service du centre de stockage en profondeur CIGEO.
Y a-t-il des rejets en mer et si oui quels sont-ils ?
Comme toute activité industrielle, les opérations menées sur le site de la Hague produisent des rejets, qu’ils soient liquides ou gazeux. Nous traitons et mesurons en permanence ces effluents qui sont de deux natures : conventionnels, c’est-à-dire comparables à ceux des autres industries, ou faiblement radioactifs respectant les seuils autorisés par la réglementation.
Nous nous en assurons grâce à des prélèvements systématiques, même sur les rejets qui ne sont pas issus de matières radioactives. Chaque année nous effectuons plus de 20 000 prélèvements dans l’environnement qui donnent lieu à plus de 70 000 analyses. Nous comparons les résultats à la radioactivité naturelle, c’est-à-dire la radioactivité émise par une personne, l’eau, la terre, etc. L’impact du site est ainsi 100 fois inférieur à la radioactivité naturelle : notre activité n’a donc aucun impact sanitaire.
Tous les rapports sont publics et consultables sur le site internet d’AREVA www.areva.com .
Qu’appelle-t-on le combustible MOX ? Quelle est son utilisation ? Sa plus-value ?
Le terme MOX est l’abréviation de « Mélange d’OXydes » (ou Mixed OXides en anglais). Le combustible MOX est un combustible nucléaire recyclé constitué d’environ 7 % de dioxyde de plutonium venant du site de la Hague et 93 % de dioxyde d’uranium appauvri. Seul AREVA détient le savoir-faire pour produire ce combustible dans l’usine MELOX, située dans le Gard.
Le potentiel énergétique du plutonium est exceptionnel, il serait dommage de s’en priver: 1 gramme de plutonium fournit plus d’énergie qu’une tonne de pétrole. Par ailleurs, sans le MOX, le volume de déchets serait plus important et leur toxicité serait supérieure car ces derniers contiendraient du plutonium.
10 % de l’électricité nucléaire française est actuellement produite avec du MOX et 22 réacteurs nucléaires français sont actuellement « moxés ». Dans le monde, 40 réacteurs ont fonctionné avec ce combustible depuis 40 ans.
Parlez-nous des dispositions de sûreté spécifiques sur le site AREVA la Hague.
Comme c’est le cas pour les centrales nucléaires d’EDF, l’Autorité de Sûreté Nucléaire vous a-t-elle demandé des évaluations complémentaires de sûreté pour prendre en compte le retour d’expérience de Fukushima ?
Sûreté des installations et sécurité des personnes sont nos priorités absolues.
Les dispositions de sûreté sont en premier lieu le respect des règles de conception nucléaire et le respect des principes de sûreté nucléaire, tels que le principe de défense en profondeur, qui nous pousse à multiplier les barrières de défense avant accident, ou le principe ALARA (« As Low As Reasonably Achievable » qui se traduit en français par « [un niveau de risque] aussi bas que raisonnablement possible »). Ces règles sont valables quel que soit le type d’installation nucléaire.
Concrètement, à la Hague, cela s’est traduit entre autres par le développement d’un savoir-faire spécifique en ce qui concerne le travail à distance avec les télémanipulateurs, les techniques de confinement et de refroidissement des locaux, une gestion de la sûreté 24h/24 avec une usine qui ne s’arrête jamais, ni la nuit, ni les jours fériés ! Le site doit être en permanence prêt à faire face à une situation de crise, c’est pourquoi les équipes s’entrainent régulièrement lors d’exercices.
Des inspections sont menées par différents organismes indépendants tels que l’Autorité de sûreté nucléaire qui en a réalisé 59 en 2013, l’Agence Internationale de l’Energie Atomique (AIEA) ou encore la Communauté européenne de l’énergie atomique (EURATOM) dont des représentants sont installés sur le site.
Suite à l’accident de Fukushima, le site de la Hague a mené, comme les réacteurs en fonctionnement, des Évaluations Complémentaires de Sûreté sous le contrôle de l’ASN et de l’IRSN, qui ont confirmé la robustesse des installations. Au titre de ces évaluations, des postes de commandement de repli, des moyens de communication satellitaire et de déblaiement supplémentaires ont été mis en place.
Nous bénéficions également d’un dispositif mis en place au niveau national, la Force d’Intervention Nucléaire AREVA (FINA) qui regroupera, à terme, 1 000 collaborateurs volontaires, prêts à assister un site industriel du groupe en cas d’incident.
En quoi est-il important de recycler les combustibles nucléaires ?
Tous les pays n’ont pas la même approche. Certains ne recyclent pas le combustible usé et le considèrent comme un déchet ultime. En France, nous le considérons au contraire comme une matière valorisable qui va permettre de produire à nouveau de l’électricité sans utiliser de nouvelles ressources naturelles. L’autre avantage du recyclage, c’est d’offrir une solution sûre et pérenne sur le très long terme pour la gestion des déchets, en réduisant leur radiotoxicité par 10 et leur volume par 5.
Le recyclage du combustible nucléaire contribue donc, dans une certaine mesure, à la préservation de l’environnement.
Combien y-a-t-il d’usines comme celle de la Hague dans le monde ? Y a-t-il aujourd’hui des projets de construction de telles usines ? Quel serait l’impact de telles constructions sur l’activité de retraitement en France ?
Le site de La Hague n’est pas unique. Il existe une usine à Sellafield au Royaume-Uni, une à Rokkasho-Mura au Japon ; il y a également un projet d’usine de recyclage en Chine pour lequel AREVA est en phase de négociation avec les autorités du pays.
Nous sommes donc 3 usines dans le monde à exercer ce métier, bientôt 4. Connaissant les enjeux associés au traitement-recyclage du combustible nucléaire en matière environnementale, il est bénéfique que plusieurs entreprises soient compétentes dans ce métier.
C’est d’ailleurs pourquoi nous apportons de l’aide à nos homologues anglais, japonais et chinois en partageant notre savoir-faire avec eux. Nous nous appuyons pour cela sur 45 ans d’expérience et plus 30 000 tonnes traitées sur le site de la Hague.
Y a-t-il des projets, des recherches en cours sur le retraitement et le stockage des déchets ?
Les recherches sur le stockage sont assurées par l’Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs (Andra), notamment avec le projet de Centre industriel de stockage géologique (CIGEO) vers lequel seront envoyés à terme les déchets ultimes français entreposés actuellement sur le site de la Hague.
Par ailleurs, AREVA et le CEA (Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives) possèdent un laboratoire commun pour les recherches sur le procédé de vitrification des déchets ultimes. Nous réfléchissons aussi avec le CEA au traitement des combustibles et à la gestion des déchets issus des réacteurs de 4ème génération.
Comment évolue le volume de matière traitée à la Hague et à quoi s’attend-on pour le futur ?
Dans les années 2005-2006, nous traitions de l’ordre 900 tonnes de combustibles usés par an. En 2013, nous avons traité 1 172 tonnes, le plus gros volume depuis 10 ans, et nous envisageons de porter ce niveau à 1 250 tonnes d’ici 3 ans.
Nous sommes donc dans une dynamique de croissance !
Un mot pour les jeunes, intéressés par une carrière dans le nucléaire ?
Le domaine nucléaire est passionnant, il couvre une multitude de disciplines dans lesquels les talents peuvent s’exprimer, allant de la métallurgie, à la mécanique en passant par la chimie, la maintenance ou la logistique. En fait, il couvre quasiment tous les domaines d’expertise, à tous les niveaux.
C’est donc un milieu pour les personnes qui aiment la technique mais les carrières dans le nucléaire offrent aussi, on s’en rend peut-être moins compte, des opportunités dans des métiers transverses comme la performance, le progrès continu, la sûreté, la sécurité, sans parler du management.
Je dirais enfin que le nucléaire nous offre une vision sur plusieurs années, ce qui peut apparaître comme un luxe par les temps actuels, et des perspectives pour toute une carrière.