Le rapport Folz, tirer les leçons de l’EPR Flamanville - Sfen

Le rapport Folz, tirer les leçons de l’EPR Flamanville

Publié le 29 octobre 2019 - Mis à jour le 28 septembre 2021
  • EPR de Flamanville
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Les retards et les difficultés successifs de l’EPR Flamanville sont une déception, à commencer pour la filière nucléaire elle-même, la 3ème filière industrielle française. Le rapport Folz rendu public lundi 28 octobre dernier analyse et synthétise, pour la première fois, l’ensemble des aspects de ce projet sans exception, et propose des recommandations afin de retrouver un cadre compétitif pour le renouvellement du parc.

Le rapport Folz sur « La construction de l’EPR de Flamanville » rendu public lundi 28 octobre dernier était très attendu par son commanditaire, le gouvernement, mais aussi par EDF et l’ensemble de la filière nucléaire. Ce rapport avait fait l’objet d’une demande officielle de Jean-Bernard Lévy, PDG d’EDF en juillet 2019, suite à la décision de l’ASN le 19 juin 2019 de remettre à niveau les huit soudures de traversée de l’enceinte de confinement avant la mise en service de l’EPR Flamanville, et à une demande du gouvernement en général et du ministère de l’économie, en particulier.

  

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Conférence de presse le 28 octobre 2019, twitter 

Un rapport riche en informations concrètes et précises

Force est de constater que le rapport Folz a passé au crible tous les aspects du projet de l’EPR Flamanville, de la genèse du projet franco-allemand dans les années 1980, aux différentes époques politiques, en passant par une analyse approfondie des problèmes rencontrés, d’ordre technique, réglementaire et humain du projet lui-même.

A la lecture des critiques, avis et commentaires depuis la publication officielle du rapport Folz, objet d’une conférence de presse en présence de Bruno Le Maire, ministre de l’Economie, et de Jean-Bernard Lévy, ce rapport est avant tout utile, voire précieux pour EDF et la filière nucléaire. C’est la première fois qu’il met à plat de manière claire, transparente, précise, concise, toutes les raisons qui ont conduit aux difficultés de la construction de l’EPR Flamanville.

Sans nul doute, ce rapport constitue une base de travail pour mettre en place un plan d’actions réaliste et constructif, attendu sous un mois par le ministère de l’Economie.

Un rapport justifié à un moment crucial pour établir une vision à moyen et long terme de la filière nucléaire. En effet, le rapport Folz constitue une contribution importante dans le programme d’instruction, en cours, du projet de Programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE), publié fin janvier 2019, et qui précisait : « le gouvernement conduira avec la filière d’ici 2021 un programme de travail permettant d’instruire, entre autres, l’option de construire de nouveaux réacteurs nucléaires ». Pour ce faire, il paraissait nécessaire de faire le point des difficultés cumulées sur l’EPR Flamanville… mais aussi de faire un retour d’expérience sur la construction des deux réacteurs EPR qui fonctionnent aujourd’hui à pleine puissance en Chine.

Les raisons des retards et des surcoûts de l’EPR Flamanville

Ces raisons sont explicites dans le rapport :

– une « gouvernance de projet inappropriée », dont un manque de maîtrise d’ouvrage clairement identifié avec une « confusion des rôles dans la gestion d’un projet » entre « maitrise d’ouvrage et maîtrise d’œuvre »,

– un « manquement dans le management de projet » avec une « insuffisance de l’encadrement local par les équipes du projet »… « malgré des efforts tardifs de transfert de ressources humaines sur le chantier »…,

– une « organisation complexe des ressources d’ingénierie », comportant des « interfaces nombreuses, nécessitant des efforts coûteux de coordination et de surveillance et entraînant des incohérences… »,

– « des études insuffisamment avancées au lancement » du projet comportant une « immaturité des études au lancement des mesures de correction tardives… »,

– et ce, dans « un contexte réglementaire en évolution continue »… où l’accident de Fukushima en 2011 a conduit notamment à un « réexamen de la situation de toutes les centrales nucléaires ». [BMN1] Les exigences, renforcées, de qualité des fabrications industrielles sont également soulevés,

– « des relations insatisfaisantes avec les entreprises », en termes de contrats, notant « de nombreuses modifications au cours des contrats, de relations parfois difficiles entre les entreprises »… ;

De plus, la question de « perte de compétences généralisée », expliquée en partie du fait de l’absence de construction de réacteurs nucléaire en France pendant une longue période d’absence, – une vingtaine d’années environ. En particulier, les défaillances dans les métiers techniques, souffrant d’une image négative dans la société française, et pourtant extrêmement utiles dans l’industrie, sont soulevés.

Si les raisons de délais et de surcoûts évoquées sont essentiellement de la responsabilité d’EDF, le rapport revient aussi sur le contexte politique et industriel particulier qui a accompagné le lancement de ce projet. Ainsi, le manque de visibilité politique et les rivalités EDF-Areva – non arbitrées à l’époque par le gouvernement – n’ont pas été sans conséquences sur les choix organisationnels d’EDF.

 

La concrétisation des EPR Taishan

Pour la première fois, le rapport Folz a le mérite aussi de fournir des informations « nouvelles » et précieuses sur les deux tranches d’EPR construites à Taishan en Chine. Si là aussi le dépassement des budgets initiaux est noté, le coût total des deux tranches de 1600 MW s’élève à 12,35 milliards d’euros, soit le coût d’une tranche de l’EPR Flamanville.

Le rapport Folz détaille les facteurs des « meilleures performances » du chantier mené en Chine.  

Il faut rappeler que les réacteurs chinois ont bénéficié des premiers retours d’expérience « de l’avancement des études et … des chantiers finlandais et français ». Ensuite, comme déjà souligné par la SFEN, dans sa dernière note technique[1], une construction a minima par paire fait baisser le coût global du chantier et limite les risques de délais et de surcoûts associés. De plus, le rapport souligne, en termes de management, « la présence sur place dès l’origine de l’équipe en charge du projet, dont les responsables n’ont pas changé pendant le déroulement de celui-ci….». La mention est aussi faite sur « la configuration du site en construction où de larges emplacements ont pu être viabilisés et rendus disponibles » pendant la durée du chantier.

Enfin, toutes les compétences sont réunies en Chine, un pays qui « compte aujourd’hui 47 réacteurs nucléaires en exploitation » et qui est « pleinement convaincu » que 6 à 8 nouvelles unités de génération III seront mises en service par an », selon le Président de CNNC, J. Gu, lors de la conférence internationale « le changement climatique et le rôle de l’énergie nucléaire » tenue à Vienne du 7 au 11 octobre dernier.

Des avancées remarquées en France et des recommandations

Malgré cette description sévère du projet EPR de Flamanville, le rapport note les mesures correctives décidées par EDF en 2015, en particulier sur « la mise en place d’une équipe de projet puissante, disposant de moyens propres importants et d’effectifs pérennes, clairement indépendante des entités d’études et d’ingénierie auxquelles elle fait appel à son initiative… ».

Le rachat de Framatome par EDF et la création commune Edvance ont permis de « rationaliser et de simplifier… l’organisation des ressources scientifiques et techniques dans les projets nucléaires ».

Autres points de redressement positifs soulignés par le rapport, « une profonde remise à niveau des capacités industrielles et des ressources humaines chez Framatome »… avec une attention particulière aux métiers de soudage. Ces recherches de compétences techniques d’ailleurs été largement traités par la SFEN au travers d’une série d’interviews menées auprès de décideurs de la filière nucléaire. Extrait : Tous les décideurs « rappellent que les métiers techniques peuvent offrir des carrières intéressantes. « Nous avons un problème en France. On ne valorise pas assez les formations et les parcours de carrières en filière technologique », rappelle fataliste un dirigeant, « on parle de réindustrialisation, mais cela doit commencer par la formation des talents de demain sur l’ensemble des métiers de l’industrie », explique une autre. »

La décision du renouvellement du parc doit être dissociée du démarrage de l’EPR Flamanville

Contrairement aux propos d’Elisabeth Borne, ministre de la Transition écologique et solidaire, sur le fait « d’attendre le démarrage de l’EPR Flamanville pour prendre la décision du renouvellement du parc… », la SFEN affirme la nécessité pour la France de décider sans tarder du lancement d’un programme de constructions neuves, et ce pour deux raisons : d’abord pour des questions de calendrier énergétique. Il s’agit d’assurer à long terme le socle nucléaire nécessaire pour l’approvisionnement en électricité bas carbone de la France. Aussi pour des questions de calendrier industriel : il s’agit de garantir à la filière la visibilité dont elle a besoin – plus que jamais pour permettre aux industriels d’être en capacité de construire aux échéances requises.

Lire le rapport Folz, de 33 pages, très instructif.

 

[1] Quand décider d’un renouvellement du parc nucléaire français ? – Avril 2019


Cécile Crampon (SFEN)

  • EPR de Flamanville