A propos du sondage de l’Ifop pour l’ANCCLI - Sfen

A propos du sondage de l’Ifop pour l’ANCCLI

Publié le 9 juillet 2014 - Mis à jour le 28 septembre 2021
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Un sondage Ifop commandé par l’ANCCLI a été largement relayé, tant dans les médias que sur les réseaux sociaux. Entre autres gros titres, nous avons pu lire tout et son contraire et notamment, que « pour 66% des Français, le nucléaire reste un sujet tabou ». Décryptage.

Le sondage ne comportait que trois questions pour traiter un sujet aussi vaste que l’appréhension du nucléaire. Et la question qui a incité les commentateurs à diagnostiquer un « manque de transparence » de l’information, ne parle ni de transparence, ni d’information !

Cette question parle d’un « tabou ». Ce terme même de tabou devrait être banni de toutes les enquêtes d’opinion, comme le sont tous les mots polysémiques ou ambigus. En effet, un tabou peut être quelque chose dont on ne doit pas parler, mais aussi quelque chose qui fait peur, ou encore dont on ne veut pas parler, soit au moins trois sens assez différents quant à la signification du mot.

Transposé à un débat public comme l’est la sécurité nucléaire, on multiplie alors les sens possibles : Le nucléaire est un tabou de la société dans son ensemble ? Un tabou des politiques ? Des industriels ? Des médias ? Curieusement, les commentateurs ne l’évoquent pas…

On ne saura jamais ce qu’ont voulu répondre les 66% de Français qui estiment que « le nucléaire reste un tabou en France ». Si ce n’est qu’ils ont manifesté une fois encore leur esprit de défiance. Et on pourrait s’amuser à poser cette même question sur le pétrole, les médicaments, les vacances scolaires ou la voiture. On obtiendrait aussi une majorité qui répondrait « tabou », tout simplement parce que la réponse est inscrite dans la question !

L’autre question approximative est celle de la « distance de sécurité ». Là encore, l’imprudence des sondeurs se conjugue à la mauvaise foi. Imprudence qui consiste à calculer une moyenne (330 km) à partir des distances énoncées par les interviewés, sans tenir compte de la dispersion des réponses. C’est pourtant une règle de base de la statistique…

Or, quand on examine un peu sérieusement les résultats, on constate que 65% des interviewés ont donné une distance inférieure à 250 km, et 33% inférieure à 100 km ! On est certes encore loin des distances officielles, mais on peut dire qu’un tiers des répondants n’est pas si loin de la réalité, ce qui est un bon résultat compte-tenu du sujet.

Comment imaginer qu’un Français, interrogé deux ans après Fukushima et des alertes qui sont allées à l’époque jusqu’à Tokyo, voire la côte Est des Etats-Unis, réponde 30 km ?

Est-ce que la réponse traduit pour autant de la peur ? Ou plutôt la conscience d’un risque ? Ce n’est pas vraiment la même chose.

Au fond, les réactions au sondage traduisent cette naïveté vis-à-vis du savoir du public et des mécanismes d’information : s’imaginer que les Français connaissent la distance d’évacuation des centrales consiste à penser que tous les Français ont reçu au moins une fois dans leur vie cette information (hypothèse absurde) et qu’ils l’ont mémorisée (hypothèse encore plus absurde !).

L’interprétation qui déduit de cette question des distances une « peur » du nucléaire, est un tour de force, que certains ont manifestement décidé de relever allègrement, en méprisant les résultats de la troisième question du sondage, qui exprime exactement l’inverse !

Car si le nucléaire était une angoisse quotidienne, comment expliquer que les deux évocations ultra majoritaires du mot « nucléaire » soient simplement les mots « électricité » et « centrale » ? Et que le mot « accident » ne soit cité que par 15% des sondés à la 4ème place ?

Les Français sont décidément très joueurs…  Ou alors, ils ont décidé de saboter par leurs réponses illogiques, les sondages idiots. Ce qui serait assez réjouissant !

Publié par Isabelle Jouette (SFEN)