PPE : décryptage

Le 27 novembre 2018, le président de la République, Emmanuel Macron, s’est exprimé sur la Programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE), qui avait fait l’objet d’un débat public national au printemps dernier. Cette allocution était suivie d’une conférence de presse présentée par le ministre de la Transition écologique et solidaire, François de Rugy, portant sur la Stratégie française pour l’énergie et le climat, avec une présentation détaillée de la PPE et de la stratégie nationale bas-carbone.
Le président de la République s’est positionné sur la transition écologique et sociale en insistant sur la « responsabilité de garantir à nos concitoyens l’accès à une énergie pour se déplacer, se chauffer, s’éclairer, travailler, qui soit suffisamment peu coûteuse pour que personne n’en soit privé, et suffisamment propre pour que nos enfants n’en payent pas le prix avec leur santé ou leur propre avenir ». Cette responsabilité doit se traduire dans les faits par « nous désintoxiquer des énergies fossiles », à l’horizon 2050, en rappelant que 75 % de l’énergie consommée en France est d’origine fossile (charbon, pétrole gaz naturel), laquelle est responsable de la grande majorité des émissions de gaz à effet de serre. Le gouvernement a ainsi annoncé de nombreux objectifs et mesures dans les domaines des bâtiments (chaleur renouvelable), des transports (projet de loi « mobilité », et du gaz renouvelable).
Concernant le secteur électrique, le Président a rappelé que « l’électricité va prendre une place de plus en plus grande à mesure que nous allons cesser d’utiliser du pétrole, du charbon et du gaz naturel », et a prédit que le mix électrique sera marqué en profondeur par « l’essor des énergies renouvelables ». La PPE prévoit donc ainsi d’ici 2030, entre autres, un triplement du parc éolien terrestre, et une multiplication par 5 du solaire. Pour cela, le gouvernement a annoncé qu’il porterait le soutien aux énergies renouvelables, qui représente 5,5 milliards d’euros dans le budget 2019 jusqu’au niveau de 8 milliards d’euros sur 10 ans.
S’agissant du nucléaire, le président de la République a précisé qu’il s’agit d’une énergie sur laquelle la France s’appuie et s’appuiera, car elle est « fiable, décarbonée, à bas coût ». Il faut rappeler à cette occasion que le nucléaire est en effet reconnu par le GIEC comme une source d’énergie bas-carbone. Il permet, aux côtés des énergies renouvelables, à ce que la production électrique de la France soit déjà décarbonée à 90 %. Notre pays est aujourd’hui le moins émetteur de gaz à effet de serre des membres du G7 par habitant. Le nucléaire permet aussi aujourd’hui à la France d’avoir le prix de l’électricité pour les ménages le plus bas de l’Europe de l’Ouest : un ménage allemand paie aujourd’hui son électricité près de 70% plus cher qu’un ménage français (source : Eurostat). Le président a confirmé l’objectif d’atteindre une part du nucléaire au sein du mix électrique de 50%, avec un nouvel horizon fixé désormais à 2035. L’horizon 2025, initialement inscrit dans a loi relative à la transition énergétique sur la croissance verte (LTECV) de 2015, avait déjà été abandonné fin 2017, après la publication du bilan prévisionnel de RTE. Ce rapport indiquait que, pour tenir l’échéance de 2025, le gouvernement aurait dû garder les centrales à charbon et construire près de 20 nouvelles centrales à gaz.
Selon le gouvernement, l’atteinte du nouvel objectif impliquera la fermeture de 14 réacteurs nucléaires d’ici 2035, avec l’arrêt définitif des 2 réacteurs de Fessenheim au printemps 2020, 4 à 6 réacteurs supplémentaires d’ici 2030, et le reste entre 2030 et 2035. Selon le président Macron, si des scénarios de référence ont été développés, les dates précises dépendront des progrès réalisés dans le domaine du stockage de l’électricité car « on ne peut remplacer une capacité de production d’énergie nucléaire par une capacité de production de renouvelable ; la seconde est intermittente ». Il a aussi évoqué l’idée d’une « vraie stratégie européenne intégrée » de transition dont la cohérence serait que « tous les pays qui ont encore des centrales à charbon les ferment ». Si le président précise que la fermeture des réacteurs fera l’objet d’une « stratégie concertée », la SFEN avait rappelé lors du débat sur la PPE que de nombreuses incertitudes subsistent sur la sécurité d’approvisionnement française d’ici à 2030.
La première incertitude porte sur l’évolution de la demande d’électricité. A souligner à cet égard la position du ministre de la Transition écologique et solidaire qui a déclaré que « à échéance de 10 ans il y aura une augmentation assez nette du fait de l’électrification d’un certain nombre de consommations d’énergie que ce soit dans les transports ou que ce soit aussi dans le chauffage ».
La deuxième incertitude porte sur la stratégie de nos voisins européens en matière énergétique. C’est le cas de l’Allemagne, l’Espagne, la Belgique et la Suisse, qui peuvent avoir besoin d’importer une plus grande part de leurs besoins, de France notamment, pour assurer une sécurité d’approvisionnement.
Enfin la troisième incertitude concerne la capacité des énergies renouvelables, et aussi du stockage, de se déployer au rythme nécessaire. Fermer hâtivement et prématurément des réacteurs nucléaires dont on pourrait avoir besoin pourrait alors entraîner la nécessité de devoir construire des centrales à gaz (avec un risque de « lock-in » pour de nombreuses années) pour assurer la sécurité d’approvisionnement. Au-delà de notre pays, le nucléaire français contribue aujourd’hui à décarboner l’Europe : la France exporte environ 10 % de son électricité à ses voisins qui ont tous, à part la Suisse, un mix plus carboné que le nôtre.
Concernant les nouvelles constructions nucléaires, le Président de la République a précisé que l’EPR « doit faire partie du bouquet d’options technologiques pour demain ». Le projet de PPE précise que « la France doit conserver une capacité industrielle de construction de nouveaux réacteurs nucléaires pour des enjeux de souveraineté » et indique que le gouvernement conduira avec EDF un programme de travail portant entre autres sur « les questions de capacité industrielle de la filière » et « d’optimisation économique d’un nouveau modèle de réacteur ».
A ce jour, tous les grands scénarios mondiaux de décarbonation, que ce soit ceux de l’OCDE, l’AIE ou ceux récemment publiés par le GIEC, prévoient une part importante de nucléaire en 2050. Dans l’étude réalisé par la SFEN « Le nucléaire français dans le système énergétique européen » sur la base des scénarios européens PRIMES, le socle nucléaire est estimé à 40 GWe en France en 2050 (63,2 GWe en 2018) et à 70 GWe dans le reste de l’Union européenne.
Toujours sur l’EPR, EDF a déclaré viser ainsi un objectif de 60 à 70€ par MWh. Dans sa note « Le coût du nouveau nucléaire français », la SFEN avait montré que de nombreuses pistes existent pour diminuer le coût de l’investissement initial, principale composante du coût de production futur. La construction de réacteurs par paire sur un même site est préconisée : construire 3 paires de 2 réacteurs permettrait de réduire les coûts de 30 % des investissements. Un bon cadencement des chantiers permettrait aussi aux entreprises de calibrer leurs investissements dans leurs outils industriels et leurs recrutements. Enfin, en se basant sur l’expérience britannique, il serait possible de réduire de l’ordre de 50 % les coûts financiers.