Nucléaire spatial : la course aux étoiles s’accélère
Des batteries à l’américium aux réacteurs pour les bases lunaires et aux vaisseaux à propulsion nucléaire, Américains, Européens et industriels privés multiplient les initiatives pour préparer le retour durable sur la Lune et, à terme, les voyages vers Mars.
Le nucléaire est en passe de devenir un pilier de l’exploration spatiale. Alors que le solaire et le chimique atteignent leurs limites, l’atome offre une densité énergétique, une fiabilité et une autonomie indispensables pour envisager les missions de longue durée. En 2025, les annonces se sont multipliées, confirmant que le retour de l’homme dans l’espace, loin de l’orbite terrestre, ne se fera pas sans le nucléaire.
Un premier réacteur américain sur la Lune dès 2030
« Gagner la deuxième course à l’espace ». Telle est la mission donnée à la Nasa par Sean Duffy, secrétaire aux Transports depuis janvier 2025 et administrateur par intérim de l’agence spatiale. Dans une directive adressée le 31 juillet 2025 à la Nasa, il appelle l’agence américaine à accélérer les projets de développement de réacteurs nucléaires destinés à être construits sur la Lune pour les futures bases permanentes. Une fenêtre de tir a ainsi été fixée au début des années 2030 pour la construction du premier réacteur nucléaire américain sur l’astre.
Pour ce faire, un appel à propositions avait été lancé auprès d’entreprises spécialisées pour concevoir un réacteur nucléaire capable de produire au moins 100 kWe, de quoi répondre aux besoins de toute une base. En juillet dernier, Sean Duffy donnait 60 jours à l’agence spatiale américaine pour étudier les propositions industrielles et désigner un responsable pour le programme. Le 29 août 2025, la Nasa a publié un projet de propositions de partenariat, dans le cadre de son initiative Fission Surface Power. Elle vise à recueillir les contributions « d’un ou plusieurs » industriels pour la version définitive de son système opérationnel d’énergie de surface lunaire.
Lors du Congrès international d’astronautique de Sydney à la fin du mois de septembre, Sean Duffy a une nouvelle fois manifesté sa volonté de « construire un village » sur la Lune. Pour y parvenir, le nucléaire est la technologie idoine, qui permet notamment de faire face aux conditions hostiles de la Lune (températures, longueurs des nuits, etc.). Mais cela n’ira pas sans défis puisqu’il est nécessaire de développer « des systèmes nucléaires très spécifiques, axés sur des rapports poids/puissance les plus faibles possibles et sur des systèmes simples et robustes, à très bonne fiabilité », comme l’a récemment rappelé dans nos colonnes Joël Guidez, responsable scientifique de la veille multi-filière au sein de la direction de l’Énergie nucléaire du CEA.
L’américium-241, fuel idéal des batteries nucléaires spatiales
En 2022, le groupe Orano et Zeno Power, une société américaine spécialisée dans le développement de batteries nucléaires, entament une collaboration. Leur objectif : étudier la faisabilité technique et économique d’une production industrielle de l’américium-241. Trois ans plus tard, le partenariat porte ses fruits, puisque les deux sociétés signent, le 24 septembre 2025, un accord stratégique visant un approvisionnement fiable de cet élément. Issu du retraitement des combustibles usés dans les usines de La Hague, l’Am-241 sera utilisé dans les batteries nucléaires d’une capacité allant de 10 à 100 watts électriques conçues par Zeno Power. À terme, l’entreprise prévoit d’injecter plusieurs millions de dollars pour obtenir un accès prioritaire et annuel à de grandes quantités de cet isotope.
L’américium-241 est considéré depuis plusieurs années comme un candidat idéal à l’alimentation des appareils électriques utilisés dans l’espace. En raison de sa demi-vie conséquente, soit 432 ans, et de sa densité énergétique élevée, il est performant là où les énergies solaire et chimique montrent leurs limites. Il servira ainsi de combustible aux systèmes d’énergie radio isotopique (RPS) de Zeno Power, permettant d’alimenter en électricité les appareils spatiaux (rovers, atterrisseurs et infrastructures) des programmes Artemis et Moon to Mars de la Nasa. La livraison des premières batteries est attendue pour 2027.
La propulsion nucléaire prend son envol
Alimenter en énergie les appareils et les habitats dans l’espace est une chose, propulser une fusée en est une autre. Là encore le nucléaire peut trouver sa place. C’est notamment la raison d’être d’un nouveau partenariat stratégique annoncé le 19 mars 2025 entre les deux sociétés californiennes ExLabs, fondée en 2023, et Antares, sélectionnée dans le programme pilote du Department of Energy (DOE) en août 2025. Leur ambition est de développer « le premier vaisseau spatial commercial à propulsion nucléaire pour les missions dans l’espace lointain ». Nommé Science Exploration & Resources Vehicle (Serv), il sera équipé du microréacteur nucléaire d’Antares d’une capacité allant de 100 à 500 kWe. La première mission du vaisseau à propulsion nucléaire est prévue pour fin 2028 ou courant 2029. Elle aura pour objectif de valider la technologie en orbite géostationnaire. « Elle ouvrira la voie à une adoption plus large des technologies nucléaires pour les missions au-delà de l’orbite géostationnaire », indique ExLabs.
D’autres projets également sur la table n’avancent pas sans difficultés. C’est en effet le cas du programme Draco (Demonstration Rocket for Agile Cislunar Operations) de la Darpa et de la Nasa, dont la première mission de démonstration d’une fusée thermique nucléaire, prévue en 2027, a été avortée pour des raisons budgétaires. D’autres tout aussi ambitieux sont toujours en cours de développement, comme celui présenté en février 2025 par le centre de recherche Langley de la Nasa. Nommé Marvl (Modular Assembled Radiators for NEP VehicLes), il s’agit d’un système innovant de propulsion nucléaire électrique pour les missions vers Mars.
L’Europe s’invite dans la conquête spatiale nucléaire
Du côté européen, des initiatives sont lancées de manière à tenir le rythme d’une course effrénée. Framatome et l’Agence italienne pour les nouvelles technologies, l’énergie et le développement durable (Enea) ont signé un protocole d’accord le 25 septembre 2025 visant à explorer des solutions technologiques avancées pour la conception de réacteurs à fission nucléaire destinés à alimenter les futures colonies lunaires. Cet accord se décline en trois axes principaux : des études sur le combustible des réacteurs « spatiaux », afin d’en garantir l’efficacité et la sûreté ; le développement de nouveaux matériaux capables de résister aux conditions extrêmes de l’espace ; et l’utilisation de la fabrication additive pour les composants des réacteurs.
En fin d’année 2023, Framatome avait officiellement lancé sa nouvelle branche « Framatome Space » pour mettre à profit son expertise nucléaire et industrielle au service des missions spatiales. La réalisation de partenariat comme celui-ci renforce une nouvelle fois l’importance d’avoir un acteur industriel et historique à l’initiative de ce type de programme. La mutualisation et l’intégration des expertises des deux acteurs contribue au rayonnement international de leurs activités et permet en outre d’enrichir le portefeuille de connaissances et de capacités de l’Europe. En multipliant les partenariats et les projets, le Vieux Continent compte bien ne pas se laisser distancer dans la course pour un retour des humains sur la Lune et pour les futurs voyages vers Mars.