Le nucléaire à l’heure de l’open innovation - Sfen

Le nucléaire à l’heure de l’open innovation

Publié le 23 février 2016 - Mis à jour le 28 septembre 2021

Depuis quelques années, l’innovation ouverte (« open innovation ») s’est imposée comme un moyen de mobiliser les compétences de multiples acteurs en dehors même du secteur d’étude. Historiquement plus fermée par sa nature stratégique, l’industrie nucléaire s’est  progressivement ouverte à un écosystème plus large de partenaires industriels et académiques et aux autres secteurs pour innover plus et plus vite. Rencontre avec Laurence Boisset, responsable de projet pour le Pôle de Valorisation des Sites Industriels, au CEA.

 

 

Foisonnement d’idées

Pour Laurence Boisset, responsable de projet pour le  Pôle de Valorisation des Sites Industriels, au CEA, « la notion d’innovation ouverte vient du fait que nous sommes confrontés à des systèmes technologiques de plus en plus complexes, intégrés et dont il devient de plus en plus difficile d’assurer seul la maîtrise, tant les champs disciplinaires sont étendus. D’où une réflexion sur la chaîne de valeur, le repositionnement des acteurs sur leur cœur de métier et l’externalisation de certaines fonctions… Dans cette logique, la recherche de solutions innovantes dépasse la frontière de l’entreprises et s’ouvre de facto ».

Dans un monde où tout s’accélère et où la concurrence ne cesse de se renforcer, les avantages de l’innovation ouverte sont nombreux estime Laurence Boisset : « plus on ouvre, plus on foisonne, plus on a de chance de trouver le bon acteur, la bonne solution dans un délai qui doit être  de plus en plus court… ».

L’open innovation présente de multiples formes suivant le secteur dans lequel elle est employée. D’un côté, il y a l’open innovation dans un réseau d’acteurs ayant une certaine proximité : innovation collaborative (clusters, pôles de compétitivité), innovation avec les fournisseurs et l’innovation avec ses concurrents (co-opétition). De l’autre, il y a l’open innovation sur plateformes digitales, ouverte à une communauté « sans frontière ». « Cette forme semble peu adaptée à l’industrie nucléaire compte-tenu des très fortes barrières à l’entrée notamment » précise Laurence Boisset.

A l’instar d’autres secteurs industriels majeurs dont les écosystèmes sont  historiquement (relativement) fermés du fait de leur caractère stratégique, le nucléaire évolue aussi dans sa stratégie d’innovation. En Région Languedoc-Roussillon-Midi-Pyrénées par exemple, les filières nucléaire et aéronautique travaillent ensemble sur l’électronique et la robotique.

L’innovation collaborative est très présente dans le secteur nucléaire. « Il y a des clusters, des logiques de partenariats dans le cadre d’appels à projet qui constituent une voie d’innovation ouverte mixant des acteurs d’horizons variés, précise Laurence Boisset. Dans le démantèlement par exemple, avec PVSI, nous essayons de mettre en place au travers une plateforme collaborative à la fois numérique (pour le partage de retour d’expérience) et technologique (avec des moyens physiques) pour favoriser les échanges et stimuler l’innovation partenariale ».

Si c’est encore peu connu, les grands industriels aussi se mettent à l’heure de l’open innovation, comme en témoignent les fablabs d’AREVA et d’EDF. « Il s’agit  aussi d’une forme d’innovation ouverte interne dans le sens où elle mobilise les salariés de façon différente à la logique de l’organisation d’entreprise, pour stimuler la créativité… Innover, c’est aussi rompre avec les modèles établis ! » souligne la responsable de projet.

 

Objectif N°1 : s’approprier l’innovation

« L’innovation ouverte est le corollaire d’une industrie de plus en plus complexe et intégrée » analyse Laurence Boisset pour qui « l’innovation – ou plutôt notre façon d’innover – peut être un facteur de transformation d’un secteur industriel ». Il est ainsi intéressant de regarder de de près ce qui se fait dans l’aéronautique et l’automobile où les grands acteurs transfèrent l’innovation à d’autres partenaires de leur écosystème et ce faisant, répartissent avec eux le risque et les bénéfices de l’innovation.

Un modèle qui pourrait, d’une façon ou d’une autre, inspirer le nucléaire ou tout au moins qui invite à s’interroger: quel est le niveau de responsabilisation des fournisseurs de rang 1 ? Le modèle économique pousse-t-il les sous-traitants à innover ? Quel est le retour sur investissement de l’innovation pour les entreprises de la filière et comment se décline t’il sur les différents rangs de la chaine de production ?

Derrière toutes ces questions, une réflexion plus profonde doit s’engager pour faire en sorte que l’ensemble du secteur industriel, donneurs d’ordre et sous-traitants, s’approprie l’innovation et se sente concerné par cette démarche.

 

L’usine du futur

Dans une industrie du temps long comme le nucléaire, les cycles industriels diffèrent des cycles technologiques conventionnels. Si ces derniers se sont accélérés avec l’avènement du digital, le nucléaire comme d’autres industries « lourdes » intègre lentement ces nouvelles évolutions. « Par exemple, dans l’électronique : les temps de qualification sont très longs. Or, nous avons besoin d’un retour d’expérience suffisant avant d’intégrer de nouvelles applications. ».

Pour intégrer les nouvelles technologies à ses processus industriels, le nucléaire doit s’adapter. Si les nouvelles technologies de l’information sont au cœur de la révolution que connaissent les industriels, il faut se méfier des « effets de mode » et reconnaître les « lames de fond ». 

Laurence Boisset a décelé plusieurs évolutions structurantes qui constitueront l’usine du futur et pénètreront l’industrie nucléaire de demain : l’internet des objets (pour que les machines communiquent entre elles), les puces RFID, de la famille de l’internet des objets (pour renforcer la traçabilité des matériaux), la modélisation et la réalité virtuelle (pour la construction, l’exploitation et le démantèlement d’une installation) et les techniques de big data qui permettent d’exploiter des quantités importantes de données. « Dans le démantèlement d’une installation qui a été exploitée 40 années, il faut des outils capables d’analyser des dizaines de milliers de documents qui sont parfois de nature différente. Cette analyse permet ensuite de mettre en place des solutions et des innovations adéquates ».

Crédit photo – EDF

Publié par Boris Le Ngoc (SFEN)