Nucléaire : à quand le retour de l’Etat stratège ?
A quand le retour de l’Etat stratège ? C’est la question que pose Marie-Claire Cailletaud porte-parole de la Fédération Mines Energies de la CGT. Pour cette membre du CESE (Conseil Economique Social et Environnemental), l’absence de vision fragilise EDF, met en danger la filière nucléaire, crée des tensions sur le réseau électrique, jusqu’à craindre des black-out et fabrique même des bulles spéculatives dans les renouvelables.
EDF est-elle « au bord de la rupture » comme l’a dit le syndicat FO de l’entreprise ?
Marie-Claire Cailletaud – Je ne sais pas si on peut employer ce terme-là. En tout cas, ce qui est sûr, c’est qu’EDF est fragilisée financièrement par la politique de son actionnaire principal, le gouvernement.
Cela fait également une quinzaine d’années qu’EDF prend des coups de boutoir de la Commission européenne qui veut absolument libéraliser le marché de l’énergie en Europe et en France.
Par ailleurs, on demande à EDF, qui fait face à de grands enjeux comme le programme Grand carénage, de racheter en même temps des entreprises en difficulté… Ajoutez à cela des tarifs de l’électricité relativement bon marché et… vous obtenez une situation globalement préoccupante.
Transition énergétique, restructuration de la filière nucléaire… Emmanuel Macron parle d’un retour de l’Etat stratège, qu’en pensez-vous ?
MCC – On aimerait bien voir un retour de l’Etat stratège ! Pourtant, quand on regarde l’état de la filière nucléaire, on constate que l’Etat a manqué de stratégie. Il vient de vendre la partie énergie d’Alstom aux Etats-Unis, il est en train de démanteler AREVA, EDF n’est pas en très grande forme…
Pour AREVA, il ne s’agit pas d’une stratégie industrielle de long terme. L’Etat est en train de voir comment il va pouvoir refinancer l’entreprise de manière momentanée, sans mettre la main à la poche. A terme, cela conduira à une privatisation d’AREVA.
Pour ce qui est de la loi sur la transition énergétique, nous sommes loin d’avoir une stratégie industrielle. Les deux mesures auxquelles nous nous sommes opposés à la CGT, la diminution dogmatique du nucléaire et l’ouverture des concessions hydrauliques à la concurrence, relèvent plus de la politique politicienne et des alliances électorales de court-terme.
Que vous inspire la crise du marché de l’électricité en Europe ?
MCC – Cette volonté à tout prix d’introduire la concurrence sur un secteur comme l’énergie et l’électricité ne fonctionne pas. On est en train de désoptimiser et de complexifier le système.
Avant, on avait une production d’électricité organisée autour des besoins de l’usager et des industries. Aujourd’hui, le système est en train de s’inverser complètement. On va de plus en plus demander aux consommateurs de s’adapter : aux particuliers en leur demandant de s’effacer et aux industries en les obligeant à arrêter de consommer l’électricité sur le réseau.
A terme, ces situations extrêmement tendues pourraient créer des black-out en Europe et même en France.
Quels sont les grands défis de la filière nucléaire française ?
MCC – Ils sont de plusieurs ordres. Le premier est d’être en capacité de faire les travaux de Grand carénage pour continuer à exploiter les centrales actuelles plus longtemps. Le deuxième est de pouvoir avoir un modèle de réacteurs qui sera le candidat pour renouveler le parc nucléaire au fur et à mesure des besoins. Enfin, dernier point : la question des réacteurs de 4e génération qu’il faudra mettre au point pour donner des perspectives à la filière nucléaire.
Pensez-vous que la filière soit capable de relever ces défis ?
MCC – Je pense qu’elle en a les capacités. La condition pour cela est de raisonner sur des stratégies industrielles de long terme. Mais aujourd’hui, on n’est pas dans ce cadre-là.
Si la question est : « Comment se met-on en capacité de répondre aux besoins énergétiques du pays tout en diminuant les émissions de gaz à effet de serre ? » et donc « Comment on se met en capacité de reconstruire une filière nucléaire qui a été mise à mal depuis des dizaines d’années ». Alors là, oui, on serait capable de reconstruire des collectifs de travail, de reconstruire les formations, de faire les transferts entre générations, etc…
L’avenir n’est-il pas plutôt dans les renouvelables ?
MCC – A la CGT, nous n’opposons pas les formes d’énergie les unes aux autres. Nous pensons que par rapport aux enjeux qui sont posés – transition énergétique, changement climatique…- nous ne pouvons mettre aucune forme d’énergie de côté.
Parler de « bouquet énergétique », cela veut dire que l’on choisit la meilleure combinaison d’énergies. Pour cela, on regarde toujours les aspects économiques, industriels, sociaux, environnementaux… Dans ce bouquet, il y a du nucléaire. Et évidemment des énergies renouvelables.
Actuellement, la politique de développement des énergies renouvelables est suicidaire. On a créé des bulles spéculatives qui explosent et qui ne permettent pas un vrai développement d’une filière industrielle avec des emplois sur le territoire.
Nous disons « oui » au développement des renouvelables, mais « non » aux bulles spéculatives qui se sont développées dans l’éolien, le photovoltaïque et bientôt dans la méthanisation.