Aujourd’hui, le parc nucléaire français est essentiellement composé de réacteurs à eau pressurisée. L’une des raisons de l’abandon de la filière UNGG s’explique notamment par des raisons économiques. Des études ont montré que la taille maximum des réacteurs qu’il était raisonnablement possible de construire se situait autour de 700 MWe, ce qui excluait tout gain économique futur par effet de taille [2].
1973 : La guerre du Kippour et la crise pétrolière
Le 6 octobre 1973, lors de la fête juive de Yom Kippour, les troupes égyptiennes et syriennes lancent une offensive pour reconquérir les territoires occupés par Israël depuis 1967 [3]. L’Organisation des pays exportateurs de pétrole (OPEP) fait pression sur Israël et ses alliés via un embargo pétrolier. Le prix du baril de brut quadruple, passant de 2,9 dollars en juin 1973 à 11,6 dollars en janvier 1974. La facture pétrolière de l’Hexagone, d’un montant de 15 milliards de francs en 1972, atteint 52 milliards de francs en 1974 [4]. Cette crise met ainsi en lumière la forte dépendance de la France à des puissances étrangères. Le 30 novembre 1973, le Premier ministre Pierre Messmer (1916-2007) prend la parole sur les chaînes de l’Office de radiodiffusion-télévision française (ORTF) pour annoncer une accélération du programme nucléaire français. Il souligne également la nécessité d’une politique énergétique européenne et annonce la construction « d’une grande usine d’enrichissement de l’uranium » dans la Drôme, Eurodif, qui sera en service de 1978 à 2012.
1974 : l’annonce du plan Messmer au journal de 20 heures
Le 6 mars 1974, à vingt heures, Jean-Marie Cavada, journaliste et, par la suite, homme politique français, s’entretient avec Pierre Messmer. Le Premier ministre présente son plan énergétique qui vise à limiter la dépendance au pétrole à travers la construction d’un parc nucléaire d’une part, et une série de mesures de sobriété énergétique d’autre part, une véritable politique écologique avant l’heure. À l’occasion de cette intervention, il identifie et classe les réactions à la crise pétrolière en deux catégories. La première comprend ceux qui considèrent qu’il s’agit d’une crise passagère et soutiennent en conséquence « des mesures circonstancielles comme l’interdiction de circuler le dimanche », ironise le Premier ministre. La seconde catégorie d’observateurs, dont Pierre Messmer et son gouvernement se revendiquent, identifie « un rapport nouveau » entre les producteurs de matières premières et ses consommateurs. C’est pour répondre à ce changement durable dans les relations internationales que le gouvernement s’oriente vers des mesures « méditées, réfléchies, et de longue durée », précise le chef du gouvernement.
Interrogé aussi sur les choix du gouvernement pour la protection de l’indépendance énergétique du pays, Pierre Messmer répond : « Il est vrai que la France n’a pas été très favorisée par la nature en matière de ressources énergétiques. Nous n’avons presque pas de pétrole sur notre territoire, nous avons beaucoup moins de charbon que l’Angleterre et l’Allemagne, et moins de gaz que la Hollande [6] », avant d’assurer que « notre grande chance est notre énergie électrique d’origine nucléaire ». Messmer annonce en conséquence, face caméra, la construction de « treize centrales nucléaires de 1 000 MW », donc 13 000 MW de capacité installée supplémentaire, soit la puissance totale d’EDF disponible en 1962 : « aucun pays au monde, sauf les États-Unis, ne fait un effort comparable ». Ce programme industriel mis en musique par le Premier ministre est en plein accord avec le Rapport de la Commission pour la Production d’électricité d’origine nucléaire (PEON) publié en mars 1973, qui recommandait déjà « 13 000 MWe de commande de nouvelles centrales à mettre en service au cours des années 1978-1982 » [7].
Concernant les économies d’énergie, l’objectif est clair, il s’agit de « ne pas consommer plus de produits pétroliers en 1974 et 1975 que nous n’en avons consommés en 1973 ». Les économies seront faites dans le bâtiment afin de limiter la consommation énergétique du chauffage : plafonnement de la température du chauffage, utilisation limitée à la période du 15 octobre au 15 avril, sauf exceptions régionales. Un effort dans les transports est également prévu avec le soutien aux transports en commun et la construction de nouvelles voies de chemin de fer.
Pierre Messmer
Né le 20 mars 1916 à Vincennes, Docteur en droit, diplômé de l’École nationale des langues orientales vivantes - qui est aujourd’hui l’Institut national des langues et civilisations orientales (INALCO). Pierre Messmer entre à l’École d’administration des colonies en 1938. Résistant au sein des Forces françaises libres (FFL) dès 1940, il devient ministre des Armées de 1960 à 1969, ministre chargé de l’Outre-Mer en 1971 et Premier ministre de Georges Pompidou de 1972 à 1974. Sous sa mandature, il a dirigé trois gouvernements successifs et a achevé son mandat sous la présidence par intérim d’Alain Poher, suite au décès de Georges Pompidou en avril 1974.