La médecine nucléaire : un enjeu de santé publique
Détecter, comprendre mais aussi guider et soigner… peu connue du grand public, la médecine nucléaire offre une palette d’interventions pour de nombreuses maladies.
En introduisant des substances radioactives à l’intérieur même de l’organisme, elle permet de réaliser des actes ciblés et puissants, du diagnostic au traitement. Les enjeux dans ce domaine sont à la fois sanitaires et économiques.
Apporter la radioactivité au cœur de l’organisme, pour diagnostiquer ou traiter des maladies : c’est le principe de la médecine nucléaire. Cette spécialité médicale consiste à introduire dans le corps, par injection ou voie orale, des médicaments radiopharmaceutiques qui ont la propriété de se fixer sur des organes ou des tissus précis. Qu’est-ce qu’un « radiopharmaceutique » ? C’est l’alliance d’un isotope radioactif appelé « marqueur » et d’un « traceur » (par exemple une molécule particulière), qui permet que le marqueur soit concentré dans l’organe ou le tissu cible. Les différentes techniques de médecine nucléaire offrent un important panel de couple traceur-marqueur (on dit aussi « traceur marqué ») pour traiter des maladies comme les cancers, mais aussi pour les détecter et observer les organes.
Dynamique d’un organe
Contrairement à la radiologie, qui utilise les rayons X et où le rayonnement traverse le corps pour former une image précise de sa structure, l’imagerie nucléaire renseigne sur le fonctionnement de l’organe ciblé. On parle alors d’imagerie « fonctionnelle ». Pour ce faire, le patient reçoit des traceurs radioactifs par voie intraveineuse ou orale. Après un délai de quelques minutes à quelques heures, le traceur marqué est, grâce au traceur, suffisamment concentré dans le ou les organes ciblés ; il peut alors être localisé grâce au marqueur qui émet un rayonnement qui peut être capté par des caméras particulières. Les principales techniques d’imagerie fonctionnelle sont la scintigraphie (émission de rayonnements gamma) et la tomographie par émission de positons (TEP).
Avantage : elles offrent la possibilité de visualiser l’activité d’un organe, étape par étape. Les applications sont nombreuses : cardiologie, oncologie, neurologie, endocrinologie, urologie, rhumatologie… Il est ainsi possible d’observer la fonction séparée des reins, de surveiller un patient après un infarctus du myocarde, de diagnostiquer une embolie pulmonaire, et de faire le diagnostic très précoce de la maladie d’Alzheimer…
« Outre le diagnostic, la visualisation par médecine nucléaire nous permet d’orienter la thérapeutique. Par exemple, en cas de cancer du sein ou de la prostate, le traitement ne sera pas le même en l’absence ou en présence de métastases osseuses dépistées par une scintigraphie osseuse, » souligne le Pr André Aurengo, spécialiste en médecine nucléaire et membre de l’Académie de médecine.
Au contact de la tumeur
S’opposant à la « radiothérapie externe », la curiethérapie, inventée par Pierre et Marie Curie vers 1901, consiste à placer un émetteur de rayonnement au contact, ou au sein même des zones à irradier (par exemple en implantant des aiguilles radioactives, au sein d’une tumeur de la prostate). La curiethérapie, utilisée pour plus de la moitié des patients atteints de cancer, irradie directement la zone à traiter, à très forte dose, en engendrant peu d’effets secondaires. La médecine nucléaire thérapeutique utilise cette technique, notamment pour traiter les hyperthyroïdies ou les cancers thyroïdiens avec des gélules d’iode 131 radioactif. L’iode est naturellement capté par les cellules thyroïdiennes, normales ou cancéreuses, qui sont détruites par le rayonnement émis par l’iode 131. De même, l’ytrium-90 peut traiter des lymphomes et le strontium-89 des métastases osseuses.
Risque de pénurie
Matériels, logiciels, radiopharmaceutiques : la médecine nucléaire connaît des progrès continus… Mais les producteurs d’isotopes radioactifs ne sont pas nombreux. En France, 80 % des scintigraphies sont réalisées à partir de technétium-99m (99mTc). Il est préparé à partir de molybdène-99, fourni par les réacteurs nucléaires. Or, ce molybdène pourrait venir à manquer. En cause : la fermeture programmée, cette année, du réacteur français Osiris, qui couvre plus de 10 % de la demande mondiale… alors que quelques-uns des huit autres réacteurs mondiaux dédiés exploités depuis 40 ans doivent être arrêtés pour maintenance. En attendant que le réacteur Jules-Horowitz (RJH) – en cours de construction à Cadarache – prenne la relève, les experts tirent la sonnette d’alarme : « Une période de pénurie est certaine de 2016 à 2018 si rien n’est fait pour la prévenir », alertait l’Académie de médecine en février 2014. Cela poserait problème pour certaines indications majeures, comme la détection du ganglion sentinelle, systématique pour le traitement des patientes atteintes de cancer du sein et qui représente 55 000 examens par an.