La relance n’est plus une promesse, elle est devenue réalité
La Société française d’énergie nucléaire publie la troisième édition de son rapport de veille consacré à la relance du nucléaire dans le monde. Les deux premières publications avaient surtout mis en avant les nouveaux programmes, les changements de doctrine, les intentions affichées. En 2025, le ton change. Les financements affluent, les décisions se multiplient, les projets se concrétisent. Après les discours, le nucléaire entre dans la phase de la mise en oeuvre.
Les États-Unis et le Canada en leaders occidentaux
Aux États-Unis, le président Donald Trump a rehaussé l’ambition fixée par l’administration Biden. L’objectif n’est plus de tripler mais de quadrupler la capacité nucléaire d’ici 2050, pour atteindre 400 GW. Washington soutient les redémarrages de réacteurs (Palisades, Three Mile Island, Duane Arnold) et encourage les projets de réacteurs avancés. Le Département de l’énergie a retenu onze lauréats dans son programme d’accélération, avec l’objectif de voir trois prototypes SMR/AMR en construction dès 2026. Le Canada, de son côté, joue sa partition avec détermination. Le site de Darlington (Ontario) accueille la première centrale SMR en construction dans le bloc occidental, avec à terme quatre BWRX-300 (GE-Hitachi), dont la première mise en service est prévue en 2030. Le pays prolonge par ailleurs son parc de réacteurs Candu grâce à un vaste programme de remise à neuf, envisage jusqu’à 10 GW de nouveaux réacteurs de forte puissance, et renforce son rôle stratégique dans l’uranium, dont il est le deuxième producteur mondial.
En Europe, du sursaut aux chantiers
Le rapport Draghi et le nouveau Programme indicatif nucléaire (Pinc) témoignent d’un tournant pour la zone européenne. Les 27 prévoient désormais 109 GW de grands réacteurs et 53 GW de SMR d’ici 2050, soit une hausse des ambitions de 50 % par rapport aux projections de 2019. La dynamique est portée par un mouvement politique inédit : la Belgique et la Serbie ont abrogé leurs lois antinucléaires, l’Italie et le Danemark préparent leur retour.
La France a retrouvé une production nucléaire de 362 TWh en 2024, redevenant le premier exportateur européen d’électricité, et avance sur son programme EPR 2 (6 à 14 unités). Au Royaume-Uni, la décision finale d’investissement pour Sizewell C (deux EPR 2) a été validée en juillet 2025, confirmant le basculement d’une Europe des annonces à une Europe des chantiers.
Avec ce changement de paradigme, la compétition industrielle se structure. L’accord trouvé début 2025 entre Westinghouse et le coréen KHNP sur la propriété intellectuelle de l’APR1400 a conduit Séoul à se retirer de plusieurs appels d’offres européens. De facto, c’est désormais un duel EDF – Westinghouse qui s’installe sur le marché européen.
La Chine en locomotive mondiale
La Chine impressionne par son ambition et le rythme de ses réalisations. Le pays dispose de 58 réacteurs en service tandis que 56 sont en construction ou à l’état de projet. Pékin bat des records : son premier CAP1400 a été construit en un peu plus de cinq ans, et la centrale de Haiyang alimente déjà 400 000 habitants en chaleur urbaine.
Le pays déploie des réacteurs rapides (CFR600), développe des SMR (ACP100), investit massivement dans la recherche sur les réacteurs à haute température et sur la fusion, avec un calendrier qui prévoit un démonstrateur d’ici 2035 et une commercialisation à l’horizon 2050. Pékin ne se contente plus d’être le plus grand constructeur mondial : il se positionne déjà comme l’innovateur de référence.
Montée en puissance de l’Inde et come-back du Japon
L’Inde a considérablement revu ses ambitions à la hausse : elle vise 100 GW de puissance installée en 2047 contre 7,5 GW aujourd’hui, avec déjà cinq chantiers en cours et dix autres projets validés par le gouvernement. Le programme nucléaire indien est le deuxième plus important au monde derrière la Chine.
Le Japon, de son côté, redémarre progressivement son parc arrêté après Fukushima et mise sur la modernisation. Il reste un acteur majeur de la recherche, notamment avec le réacteur expérimental à haute température, le HTTR, ou le tokamak JT-60SA. Tokyo souhaite également la construction d’un démonstrateur à neutrons rapides pour une mise en service dans les années 2040. D’autres pays asiatiques confirment leur intérêt pour l’atome : le Kazakhstan, et l’Ouzbékistan, qui accueillent leurs premiers projets nucléaires, ou encore le Vietnam.
La Russie et son pivot vers l’Orient
Malgré les sanctions occidentales, la Russie reste un acteur central de l’atome civil. Rosatom poursuit 18 chantiers de réacteurs à l’export (Bangladesh, Turquie, Inde, Égypte, Chine, Hongrie) et devrait construire les premières centrales ouzbek et kazakh. Moscou mise sur les petits réacteurs modulaires. Les RITM-200, déjà utilisés pour les brise-glaces nucléaires, sont déclinés en versions terrestres et marines (barges nucléaires). Moscou vise 30 GW de nouvelles capacités d’ici 2042 et avance sur la fermeture du cycle avec ses réacteurs rapides. Sa stratégie est claire : consolider son influence en Asie et au Moyen-Orient.
De nouveaux entrants en série
Le Moyen-Orient et l’Asie centrale sont en pleine effervescence. Le Bangladesh et la Turquie s’apprêtent à connecter leurs premières centrales nucléaires. L’Arabie saoudite, le Kazakhstan, l’Ouzbékistan et le Vietnam accélèrent leurs projets. En Amérique latine, l’Argentine et le Brésil poursuivent leurs programmes.
La relance du nucléaire en quelques points clés
- Investissements : + 50 % en cinq ans, atteignant 70 milliards de dollars en 2025 (AIE).
- Capacité installée : l’AIEA projette jusqu’à 992 GW en 2050, soit 2,5 fois plus par rapport à aujourd’hui.
- SMR : plus de 120 modèles recensés par l’AEN, avec un premier chantier occidental lancé au Canada.
- Chaleur nucléaire : 43 réacteurs alimentent déjà des réseaux urbains, de la Suisse à la Chine.
- Datacenters & IA : la consommation mondiale d’électricité pourrait doubler d’ici 2030 (950 TWh), les géants du numérique se tournant naturellement vers l’atome pour fournir leurs installations en énergie.
- Approvisionnement : les pays occidentaux investissent dans de nouvelles capacités d’enrichissement pour réduire leur dépendance à la Russie.
- Financement : la Banque mondiale et la BEI, longtemps réticentes, financent à nouveau le nucléaire.