La Commission européenne prête à intégrer le nucléaire dans la taxonomie
Après des années de débat, la Commission européenne est prête à intégrer le nucléaire dans la taxonomie des activités vertes, un label indispensable pour que les investissements dans l’atome soient considérés comme favorables à la protection du climat et de l’environnement. Si cette classification envoie un signal très positif pour toute l’industrie européenne, restent des points de vigilance importants et des contradictions à clarifier dans le document publié par Bruxelles.
Le 31 décembre, quelques heures avant minuit, la Commission européenne a envoyé à la plateforme sur la finance durable et au groupe d’experts des États membres son projet d’acte délégué de la taxonomie européenne dédié aux secteurs du nucléaire et du gaz. Dans le document de 60 pages qui a largement fuité, il est indiqué que « le gaz fossile et l’énergie nucléaire peuvent contribuer à décarboner l’économie de l’Union européenne ». Un positionnement qui intervient après plusieurs mois de bataille entre les États membres, en particulier l’Allemagne et la France, au sujet de l’inclusion de ces deux énergies.
C’est une étape très importante pour l’industrie nucléaire européenne, dont le rôle de première énergie bas carbone en Europe et de support à la transition de nombreuses autres industries est reconnu. En particulier, il est précisé que l’atome respecte le principe clé de Do Not Significant Harm (DNSH), c’est-à-dire qu’il favorise au moins l’un des six objectifs de la taxonomie (atténuation du changement climatique, adaptation au réchauffement, protection de l’eau, économie circulaire, prévention des pollutions et protection de la biodiversité), sans porter atteinte aux autres.
La fermeture du cycle
Cette vertu est attribuée autant aux réacteurs existants de deuxième génération, qu’aux réacteurs de troisième génération (du type EPR et EPR2) et aux réacteurs à venir de quatrième génération. Pour ces derniers, l’acte délégué insiste sur la nécessité de l’économie circulaire et de fermeture du cycle : « Un plan de gestion des déchets non radioactifs et radioactifs est en place et garantit une réutilisation ou un recyclage maximal de ces déchets en fin de vie ».
Le document met en avant l’atome « pour produire de l’électricité et/ou de la chaleur industrielle, y compris à des fins de chauffage urbain ou pour des procédés industriels tels que la production d’hydrogène ». Il est également précisé « qu’en fournissant une production stable, l’énergie nucléaire facilite le déploiement des sources renouvelables intermittentes ». Enfin, il est explicitement écrit que ce secteur a un « potentiel avéré pour permettre de réduire et d’éliminer (les émissions) d’autres secteurs et activités économiques » et cela est mis en regard de son « développement technologique rapide ».
Quelques points de vigilance
Demeurent cependant quelques contradictions. Tout d’abord, ce projet d’acte délégué met en avant des dates limites pour certains projets. La prolongation des réacteurs doit être décidée avant 2040 et la construction de nouveaux réacteurs avant 2045 pour s’inscrire dans le cadre de la taxonomie. Des échéances qui semblent incompatibles par exemple avec l’émergence des réacteurs de quatrième génération, qui permettront la valorisation des matières radioactives mise en avant dans le projet d’acte délégué.
Ensuite, les activités du cycle du combustible et les activités minières ne sont ni incluses, ni exclues de la taxonomie. Leur position devra être clarifiée à l’avenir. Également, la Commission reconnaît que « pour les déchets radioactifs de haute activité et le combustible usé, le stockage géologique en profondeur représente la solution de pointe largement acceptée par la communauté d’experts du monde entier comme l’option la plus sûre et la plus durable pour le point final de ces déchets ». Mais plus loin, il est attendu que les États membres nucléarisés exploitent de telles infrastructures en 2050. Si cette échéance ne posera pas de souci pour la France, la Suède ou l’Allemagne, elle sera difficile à respecter pour certains pays en Europe de l’Est.
Enfin, la Commission européenne demande à ce que soit employée la « best available technology » en matière de sûreté. Une demande légitime. Mais elle souhaite se donner un droit d’expertise sur les technologies, ce qui pourrait remettre en question les décisions des autorités de sûreté nationale, comme l’ASN en France.
Encore quatre mois de débats
Ces incertitudes demandent à être levées dans les semaines qui viennent, alors que le texte doit être analysé par la plateforme sur la finance durable et celles du groupe d’experts des États membres. Ils ont jusqu’au 12 janvier pour apporter leurs contributions. S’ouvrira ensuite une période de consultation de quatre mois, au cours desquelles le Conseil européen doit réunir une majorité renforcée (72 % des États membres) et le Parlement une majorité simple pour s’opposer au texte avant son adoption définitive.
Il est important que cet acte délégué soit sans ambiguïté puisque l’enjeu est bien d’orienter les flux financiers en Europe vers des activités qui sont au service de l’environnement et du climat. Or les investisseurs sont à la recherche de clarté et de transparence. Toute incertitude aurait forcément pour effet de les rendre méfiants.