L’IRSN juge la cuve de l’EPR « apte » au fonctionnement
De leur instruction commune du dossier transmis par AREVA NP, l’IRSN et l’ASN concluent que, si l’aptitude au service du couvercle et du fond de la cuve du réacteur EPR de Flamanville est démontrée, des dispositions de suivi en service doivent être mises en œuvre. A ce stade, la faisabilité de ces contrôles apparaît acquise pour le fond de la cuve, il n’en est pas de même pour le couvercle.
Entretien avec Thierry Charles, directeur général adjoint chargé de la sûreté des installations nucléaires à l’IRSN.
L’existence d’une concentration en carbone excessive remet-elle en cause les propriétés mécaniques du fond et du couvercle de cuve ?
Thierry Charles – Fin 2014, EDF a découvert une anomalie concernant la composition chimique de l’acier constitutif du couvercle et du fond de la cuve du réacteur EPR de Flamanville fabriquée par Creusot Forge. L’anomalie constatée est constituée par la présence de carbone (teneur atteignant localement 0,3 %), en excès par rapport aux spécifications (au maximum 0,22 %), dans l’acier de la partie centrale des calottes hémisphériques utilisées pour fabriquer le couvercle et le fond de la cuve de ce réacteur. Cette anomalie est susceptible de remettre en cause des caractéristiques mécaniques de l’acier attendues à la conception, notamment sa ténacité (capacité à résister à la propagation d’une fissure en cas de défaut préexistant).
Les résultats du programme d’essais réalisé par AREVA NP sur des calottes sacrificielles représentatives de celles constituant le couvercle et le fond de la cuve du réacteur EPR ont permis de conclure que le comportement mécanique du matériau ségrégé reste celui attendu pour un acier ferritique faiblement allié qui est le type d’acier utilisé pour les calottes de l’EPR et pour les autres cuves de réacteur du parc électronucléaire.
La modification des propriétés mécaniques induite par l’existence d’une concentration localement excessive en carbone dans le matériau se traduit principalement par une augmentation de la température de transition entre le comportement fragile du matériau et son comportement ductile, de l’ordre d’une dizaine à quelques dizaines de degrés selon la méthode d’appréciation employée. Aussi, AREVA NP a retenu une ténacité cohérente avec l’augmentation de la température de transition issue des essais réalisés pour effectuer l’étude du risque de rupture brutale des pièces concernées.
Y’a-t-il un risque de rupture brutale de ces pièces ?
TC – Les conclusions de l’analyse menée par l’IRSN montrent que les propriétés mécaniques du matériau en zone ségrégée sont suffisantes pour prévenir le risque de rupture brutale. Les marges obtenues, tout en étant plus faibles que celles qui seraient obtenues pour un matériau exempt de ségrégation positive de carbone, restent supérieures aux critères de conception, incorporant des coefficients de sécurité.
Le principe de défense en profondeur est-il remis en cause ?
TC – Les défaillances affectant le processus de qualification technique du procédé de fabrication, l’utilisation d’un procédé ne permettant pas de s’affranchir d’une ségrégation résiduelle en carbone de concentration supérieure à la concentration maximale spécifiée et la réduction des marges pour le risque redouté de rupture brutale traduisent le fait que le premier niveau de défense en profondeur est affecté.
La démarche de justification de l’aptitude au service des calottes de cuve du réacteur EPR, si elle permet de démontrer la suffisance des marges, ne permet pas, seule, de restaurer l’ensemble des garanties que doit apporter ce premier niveau de défense en profondeur. Aussi, la démarche de justification proposée par AREVA NP nécessite d’être complétée par des dispositions de suivi en service pour contrôler périodiquement ces équipements durant l’exploitation du réacteur. Relevant du deuxième niveau de défense, elles permettront de renforcer la démarche d’ensemble de défense en profondeur. A ce stade, si la faisabilité de tels contrôles est acquise pour la calotte de fond de cuve, moyennant des compléments, il n’en est pas de même pour la calotte de couvercle.
Quelles sont les spécificités de la cuve et du couvercle de cuve de l’EPR par rapport aux réacteurs en exploitation ?
TC – La cuve du réacteur de l’EPR présente des spécificités par rapport aux cuves des autres réacteurs en fonctionnement en France. Les principales évolutions apportées à sa conception sont les suivantes :
- dimensions plus importantes du fait de l’augmentation du nombre d’assemblages de combustible contenus (241 contre 205 pour les réacteurs de 1450 MWe) ;
- suppression des traversées de fond de cuve afin d’éliminer le risque de fuite ou de brèche associé ; l’ensemble de l’instrumentation pénètre par le couvercle qui comporte de ce fait un nombre plus important de traversées (107 contre 78 pour les réacteurs de 1450 MWe) ;
- limitation du nombre de soudures : la virole porte-tubulures et la bride de cuve (pièces élémentaires composant la cuve) ont été fabriquées en une seule pièce monobloc ;
- conception facilitant l’inspection en service et permettant le suivi de l’irradiation sur 60 ans, durée de fonctionnement prévue pour l’installation.
Légende : Mise en place du couvercle de cuve dans la zone de stockage. Crédit : Alexis Morin – EDF