« Il y a encore beaucoup d’innovations possibles dans le nucléaire » Gérald Bronner - Sfen

« Il y a encore beaucoup d’innovations possibles dans le nucléaire » Gérald Bronner

Publié le 20 octobre 2014 - Mis à jour le 28 septembre 2021

A l’occasion de la sortie de son ouvrage La planète des hommes, Gérald Bronner pointe du doigt « l’idéologie de la peur ». Selon lui, les promoteurs de l’« heuristique de la peur », comme le sociologue allemand Hans Jonas, commettent une erreur qui pourrait être fatale à l’humanité en tentant de mettre sous contrôle le moindre de nos gestes. Dans ce contexte, le sociologue français nous invite à construire une nouvelle histoire de notre avenir commun, de réenchanter le risque, pas seulement pour sortir d’un climat morose, mais pour notre survie même. Interview.

Notre société est-elle gouvernée par « l’idéologie de la peur » ?

Gérald Bronner : L’idéologie de la peur est devenue extrêmement présente dans l’esprit de nos concitoyens. On trouve notamment des traces de cette idéologie dans les fictions hollywoodiennes qui nous décrivent des apocalypses écologiques. A la différence des années 50 où les apocalypses étaient fondées sur l’imaginaire des soucoupes volantes ou de la guerre thermonucléaire, aujourd’hui la fin des temps viendra de l’action de l’homme et des conséquences désastreuses de son action.

La caractéristique de cette idéologie de la peur, c’est la crainte a priori que l’action de l’homme puisse déséquilibres possibles de la nature. Cette crainte peut se muer en une détestation et la crainte de l’action de l’homme, ce que j’appelle « l’antrophobie ».

La loi sur la transition énergétique s’inscrit-elle dans cette idéologie ?

GB : La loi sur la transition énergétique s’inscrit dans un fait historique qui est celui de la question climatique. Une question réelle, qu’il faut prendre au sérieux, mais qui sert en quelque sorte d’otage à cette idéologie de la peur. Sur la base des dérèglements climatiques, et des conséquences désastreuses qui ne manqueront pas de survenir, on en infère des scénarios apocalyptiques qui devraient suspendre toutes nos actions y compris nos actions technologiques.

Or, je pense qu’il y a un grand danger à suspendre nos actions : c’est celui de ne pas penser les conséquences catastrophiques de notre inaction. En ce sens, la loi sur la transition énergétique tient compte d’une certaine façon d’un certain nombre d’enjeux idéologiques qui cherchent à regrouper ensemble des considérations opportunistes et qui n’ont pas grand-chose à faire ensemble. Par exemple, plafonner la production nucléaire en France est problématique si on considère que le but est de lutter contre les énergies émettrices de gaz à effet de serre. Dans ce cas, pourquoi ne pas plus se préoccuper d’autres énergies comme le gaz ou le pétrole ?

On se préoccupe beaucoup des énergies renouvelables, des bâtiments, des transports, du stockage énergétique ; si dans ces domaines des innovations sont à prévoir, elles ne doivent pas nous faire oublier qu’en France, l’une des technologies de pointe est la technologie nucléaire et qu’il y a encore beaucoup d’innovations technologiques à prévoir dans ce domaine.

Même s’il est encore trop tôt pour l’évaluer, le contre-exemple de l’Allemagne, qui a décidé de miser sur les énergies renouvelables et de fait sur un « back-up » charbonnier – ce qui est catastrophique pour l’écologie – devrait nous faire réfléchir.

Est-il possible de réanchanter le risque ?

GB : C’est non seulement possible mais c’est absolument nécessaire. C’est en effet l’objet de mon livre « La planète des hommes », je suis assez préoccupé du fait que toute l’idéologie contemporaine nous oriente sur les conséquences possibles de notre action. Si nous devons être comptables des conséquences de notre action, cette idéologie nous rend totalement aveugle quant aux conséquences possibles de notre inaction. Celle-ci pourrait avoir des coûts cataclysmiques.

Par exemple, pour le vaccin, on constate que la couverture maximale baisse y compris dans notre pays et qu’augmentent les craintes concernant le vaccin. En 2000, 9 % des français se méfiaient des vaccins, ils sont près de 40 % en 2010. Cette méfiance aura des conséquences terribles sur les générations futures.

Il y a bien des dangers qui pourraient nous menacer, le danger climatique en est un, mais il en est d’autre. Par exemple, même si cela peut paraître fictionnel, la percussion d’une météorite annoncerait la fin de notre civilisation et peut-être même de la vie sur terre, ce qui c’est déjà produit à plusieurs reprises dans l’histoire de la terre.

Ces questions ne peuvent avoir que des réponses technologiques. Hors, ces réponses technologiques, nous ne les avons pas encore. Ce de quoi je déduis que toute tentative d’enfermement des technologies du présent pourrait constituer un drame pour les générations futures. En d’autres termes, bâillonner le présent c’est désespérer le futur.

Le réanchetement du risque passe par une première étape celui de la conscience que le risque zéro n’existe pas. En effet, chacune de nos actions charrie une part incompressible de risque. La seconde étape consiste à dire que nous ne pouvons pas ne pas prendre de risque et qu’il n’y a pas de plus grand risque que celui de ne pas en prendre. A partir de là, il nous faut gérer de manière beaucoup plus raisonnable le rapport des coûts et des bénéfices de toutes innovations technologiques.

Nous devons prendre garde de ne pas tomber dans des formes de démagogies qui excitent les aspects les plus obscures de notre réflexion ; car nous sommes très mal équipés pour penser raisonnablement le risque.

Publié par Boris LE NGOC