Fukushima dix ans après, un chantier devenu local - Sfen

Fukushima dix ans après, un chantier devenu local

Publié le 23 février 2021 - Mis à jour le 28 septembre 2021
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Le séisme de magnitude 9 survenu le 11 mars 2011 à 150 km au nord de Tokyo au Japon, et le tsunami[1] qui s’en est suivi, ont affecté gravement le territoire, avec des conséquences majeures pour les populations et les infrastructures. En dévastant le site de la centrale nucléaire de Fukushima Daiichi mais aussi toute la région[2], ces événements naturels exceptionnels ont été à l’origine de la fusion des cœurs de trois des six réacteurs et de la perte de refroidissement de 4 piscines d’entreposage de combustibles usés. Des explosions sont survenues dans les bâtiments des réacteurs 1 à 4 du fait notamment de la production d’hydrogène lors de la dégradation des combustibles à très haute température. S’en sont suivis des rejets radioactifs dans l’environnement nécessitant l’évacuation de près de 80 000 habitants. L’accident a été classé au niveau 7 de l’échelle internationale INES. Dix après, où en est le chantier ? Peut-on vivre à nouveau à Fukushima ?

Dix ans après l’accident nucléaire de Fukushima, la Sfen vous propose une série d’articles relatifs à la situation sur le site et aux conséquences énergétiques, climatiques, sociales et sanitaires.

La situation au 11 mars 2011 avant le séisme et le tsunami

Pour rappel, la centrale de Fukushima comptait 6 réacteurs à eau bouillante (REB) mis en service entre 1971 et 1979, pour une puissance installée totale de 4 696 MWe. Le 11 mars 2011 à 14h46 heure locale, les réacteurs 1 (460 MW), 2 et 3 (784 MW chacun) fonctionnaient à pleine puissance, tandis que le réacteur 4 (784 MWe) était arrêté depuis le 29 novembre 2010 pour maintenance. Les réacteurs 5 (784 MWe) et 6 (1100 MWe) étaient aussi arrêtés depuis janvier 2011 pour maintenance. Le cœur de ces trois derniers réacteurs avait été évacué dans leur piscine respective de stockage des combustibles usés.

Bilan de la centrale nucléaire après le séisme et le tsunami

Dans le détail, quelques mois après l’accident de Fukushima, les analyses à commencer par celles de l’électricien TEPCO ont conclu :

– à la fusion totale du cœur et à la percée de la cuve du réacteur 1, avec épandage de corium (mélange de combustible fondu, de gaines en zircaloy oxydées et de métaux) dans le fond de l’enceinte de confinement ;

– à une dégradation importante des cœurs des réacteurs 2 et 3, considérée depuis, également comme complète.

Dans ces trois unités 1 à 3, le corium a percé le fond de la cuve, et une partie significative s’est retrouvée au fond du puits de cuve, une structure massive de béton qui supporte la cuve dans l’enceinte de confinement métallique. 

– Le réacteur 4, qui avait été particulièrement ébranlé lors du séisme et du tsunami, a fait l’objet d’une évacuation des combustibles de la piscine, réalisée dans un délai exceptionnellement court (novembre 2014), après confortement du réacteur et la reconstruction des moyens de manutention.

– Les réacteurs 5 et 6 n’ont pas été affectés du fait qu’ils étaient construits sur une plate-forme située une dizaine de mètres plus haut que les quatre autres réacteurs et qu’ils ont conservé une alimentation électrique de secours opérationnelle (il est important de rappeler que le séisme lui-même avait dévasté toute la région et que le réseau de haute tension qui alimentait le site avait été perdu).

– Concernant les quatre piscines d’entreposage de combustibles usés, elles contenaient l’équivalent de 5 à 6 cœurs de réacteurs usés, avec en particulier du césium 137[3]. La priorité a été de rétablir un appoint d’eau et un refroidissement pour éviter la dispersion des radioéléments.

Les travaux sur les réacteurs et les piscines, à février 2021

Aujourd’hui, un total de 2 700 éléments de combustible stockés dans les 4 piscines des réacteurs 1 à 4 sont en cours de sécurisation.

Les chantiers d’évacuation des trois piscines, dont 1 et 2 prévus initialement pour être achevés vers 2020/2021 sont complexes, et devraient être terminés dans environ 10 ans. L’enlèvement des débris du hall du réacteur 1 est en voie d’achèvement et la reconstruction des moyens de manutention est en préparation. Les dégâts dans la piscine du réacteur 2 étant limités, le contenu sera vidé en dernier.

Le contenu de la piscine du réacteur 3 devrait être évacué totalement courant 2021.

 

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Mise en place de l’enceinte de confinement au-dessus du réacteur 3, en 2018

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Enceinte de confinement de l’unité 4
 

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Hall de l’unité 1, après démontage de l’enceinte de confinement en 2017
 

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Enceinte de confinement de l’unité 2
 

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Nombre d’assemblages de combustible au 11 mars 2011.

L’évacuation du corium

Un deuxième chantier entrepris dès 2011 a été de restaurer la réfrigération des trois coriums des réacteurs 1, 2 et 3, contenant les débris de 1496 éléments combustibles, pour les solidifier et limiter les émissions. Les explorations du fond des puits de cuve par des robots ont confirmé que les coriums étaient désormais froids en raison de la décroissance radioactive et de l’arrosage par un débit continu d’eau. TEPCO envisage d’ailleurs de pouvoir arrêter cet arrosage dans le futur.

Cette action a cependant eu pour conséquence la production d’une quantité importante d’effluents liquides radioactifs (400 à 500 m3 par jour dans les premières années). Aussi, des installations d’épuration des eaux contaminées et de stockage ont été construites rapidement. Ces installations sont désormais totalement opérationnelles et les stockages sont considérés comme sûrs par les autorités.

Ces eaux contaminées proviennent de l’arrosage des coriums mais également de l’eau de la nappe phréatique qui a pénétré dans les trois réacteurs (1, 2, 3). Une partie est depuis, toujours pompée, traitée et recyclée, mais une autre partie, qui poursuivait son chemin souterrain vers la mer, en aval, devait aussi être gérée. Il a donc été décidé de créer un sarcophage souterrain descendant à 28 m autour des quatre réacteurs sur 1500 m environ, entre 2015 et 2018, afin de limiter les entrées d’eaux souterraines et les rejets en aval. Le débit a ainsi été réduit de de 540 m3/jour en mai 2014 à près de 170 m3/jour en 2019, et sont de l’ordre de 150 m3/j en 2021. L’objectif est de réduire encore le débit d’eau à moins de 100 m3/j en 2025.

Par ailleurs, une paroi étanche de 800 m le long de la mer a été achevée en 2015 et les eaux à l’aval du réacteur sont depuis pompées et épurées avant rejet en mer. Les émissions de produits radioactifs vers la mer (hors tritium[4], celui-ci ayant un impact sanitaire mineur) ont ainsi été drastiquement réduites (facteur 400 environ) et l’impact des eaux du port à proximité est très inférieure aux normes internationales.

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Schéma – source Jean-Pierre Pervès

Comment évacuer le corium ?

Les schémas ci-dessous montrent que les enceintes de confinement et les blocs réacteurs souffrent d’absence d’étanchéité. La réparation semble aujourd’hui complexe, le niveau d’eau ne pouvant être relevé au-dessus des coriums avec la difficulté d’extraire les coriums en bénéficiant de la protection de l’eau, en l’état.

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Graphique sur la situation des cœurs des 4 réacteurs – Jean-Pierre Pervès
 

L’objectif actuel est de caractériser les débris dont la composition physico-chimique et les caractéristiques mécaniques restent à définir. Compte-tenu des difficultés d’accès à ces coriums et du niveau d’irradiation, des mini-robots ont été conçus sur près de 22 m. C’est ainsi que les premières images ont été obtenues en 2016 et qu’un premier contact a été acquis en 2018. Le corium est froid (inférieur à 30 °C en surface) mais reste radioactif. Il est constitué de débris mobiles, qui pourraient être prélevés, mais également de parties « vitrifiées » qui devront être cassées avant extraction.  Un robot destiné à faire les premiers prélèvements en 2020 était en cours de réalisation par Veolia Nuclear Solutions UK, mais sa mise en œuvre a été reportée en raison du Covid-19 et sa réalisation est reprise en local en 2021. L’objectif de ce bras sera de prélever des petits morceaux de corium (au départ les seuls débris mobiles) pour caractérisation complète.

Dès 2022, l’extraction des débris devrait connaître un rythme de quelques grammes par jour, puis de quelques kilos par jour. Les derniers essais de qualification se feront directement sur site. En tout état de cause, la totalité de l’extraction du corium est estimée entre 2041 et 2051, avant de procéder au démantèlement des réacteurs eux-mêmes.

 

Les déchets nucléaires, une autre priorité gérée en parallèle

Les déchets du site sont pris en charge localement via une extension. Ils concernent les déchets issus des réacteurs eux-mêmes, notablement radioactifs, mais aussi les déchets faiblement radioactifs résultant du nettoyage du site pour réduire la dosimétrie des travailleurs.

Hors site, des volumes de déchets, faiblement radioactifs, ont résulté de travaux très importants de décontamination des sols par enlèvement de la couche superficielle.  Les volumes sont estimés à 50 m3/hectare. Faute d’avoir trouvé une préfecture acceptant un site de stockage national de ces terres faiblement contaminées en 2014, le gouvernement a demandé à chaque préfecture de prendre en charge leur entreposage. En parallèle, en novembre 2017, la NUMO (nuclear waste management organization of Japan), équivalent de l’Andra en France, a annoncé la préselection de deux sites de stockage,  à proximité de la ville de Suttsu et du village de Kamoenai sur l’ile d’Hokkaido pour accueillir les déchets de haute activité.

On peut vivre à nouveau près de la centrale nucléaire de Fukushima

Les Japonais mettent tous les moyens tant techniques que financiers pour assainir le site et la région proche et démontrent le niveau d’exigence et de rigueur élevé qui caractérisent la population. En termes d’impact sanitaire, les mesures de la radioactivité en divers lieux de la préfecture de Fukushima, entre mars et novembre 2011, se mesuraient en quelques microsieverts/heure, correspondant à une radioactivité locale de 10 millisieverts (mSv) sur l’ensemble de l’année 2011. A titre de comparaison, la radioactivité naturelle en France est de l’ordre de 2,4 mSv/an en moyenne mais elle peut monter à 80 mSv/an, par exemple, comme au Brésil ou en Inde. 

La gestion des retours de la population a été rendue très complexe car le gouvernement s’était fixé au départ pour objectif de n’autoriser les réimplantations que si la radioactivité résultant de l’accident était, après décontamination des sols, inférieure à 1 mSv par an, ce qui n’était pas justifié sur un plan sanitaire (comme écrit précédemment, la radioactivité naturelle sur Terre est comprise entre 1 et plus de 80 mSv, selon la géologie ou l’altitude). Cette position a été assouplie depuis, ce qui a permis des réimplantations dans les anciennes zones désormais assainies. La seule zone interdite, essentiellement montagneuse couverte de forêts et donc inappropriée pour l’habitat ou l’agriculture, est réduite à près de 300 km2.

Tous les efforts conduits tant par les autorités nippones que l’électricien tendent vers un retour à la normale dans l’environnement du site, même si le gouvernement japonais a interrompu l’attribution d’aides aux personnes évacuées de zones rouvertes à l’habitation depuis mars 2018.

Un retour dans la région s’est traduit par une décontamination au préalable de toutes les terres alentours. Les terres sont cultivables depuis 2014 où riz et poissons locaux peuvent être exportés. Les services essentiels, y compris les écoles, sont réouverts. En 2020, les autorités estiment que 20 % de la population est revenue. Ce pourcentage faible s’explique en partie par le fait qu’une grande partie de la population a « refait sa vie ailleurs » depuis dix ans. 

 

 

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Source : IRSN

Par ailleurs, si l’impact sanitaire des retombées a été très limité sur la population, voire indétectable, le traumatisme des évacuations a été fortement ressenti (stress post-traumatique, dépressions, etc.), tant pour les populations évacuées à cause de l’accident que pour celles évacuées suite au tsunami incroyablement dévastateur. En 2020, les décès prématurés reconnus, suite à des déclarations de familles et donnant lieu à compensation financière, étaient d’environ 2 300 pour l’accident. Il était inférieur de 80 % environ pour les évacués du tsunami.

En 2021, Fukushima est devenu un chantier local 

Aujourd’hui, tous les experts et autorités de contrôle japonais et dans le monde s’accordent à dire que la situation est stabilisée sur le site. La priorité des les autorités locales et nationales est de renforcer encore la protection de l’environnement, des populations et du personnel. D’ailleurs, l’Etat japonais avait annoncé depuis quelques années déjà, son intention de recevoir la flamme des Jeux olympiques à Fukushima, en mars 2020 ; événement malheureusement reporté du fait du début de la crise sanitaire mondiale. Mais cette volonté montre concrètement que la région est à nouveau accessible et qu’aucun autre accident ne devrait conduire à déserter un territoire, ce qui est aujourd’hui intégré dans la doctrine de sûreté notamment en France et en Europe[5].  Au contraire, les Nippons montrent à quel point la réhabilitation d’un site tel que Fukushima est possible.

Ce qu’il reste à faire sur le site de la centrale nucléaire de Fukushima-Daiichi est considérable et s‘étalera sur des dizaines d’années mais la France ne peut que saluer les moyens et méthodes mises en œuvre pour assainir durablement ce site et la volonté de ce peuple, résilient, de réhabiliter l’environnement du site, même si une part du territoire est destinée à devenir une zone naturelle d’accès limitée.

Cette résilience se traduit par un retour de l’énergie nucléaire au Japon qui voit ses émissions de gaz à effet de serre remonter au détriment de la santé de ses populations, sa sécurité d’approvisionnement fragilisée et sa souvernaineté nationale affaiblie. A terme, il s’agit résolument pour ce grand pays de se tourner uniquement vers les énergies propres afin de décarboner son élecricité mais aussi les transports, l’industrie, et l’habitat : les renouvelables intermittentes appuyés par le nucléaire, pilotable. 

 

[1] L’épicentre du tsunami était situé dans l’océan Pacifique à 145 km de Fukushima.

[2] Ces deux évènements naturels, séisme et tsunami, ont dévasté 250 km de la côte Nord-Est du Japon sur 5 à 10 km à l’intérieur des terres, faisant entre 20 et 30 000 victimes.

[3] Le césium 137 est un élément radioactif dont la durée de vie est considérée comme moyenne, et ses rayonnements sont de type bêta-gamma. Sa période (temps au bout de laquelle l’isotope perd la moitié de sa radioactivité) est de 30,1 ans. Il est produit lors de la réaction en chaine en réacteur (produit de fission).

[4] Tritium, désinformation rectifiée : https://www.sfen.org/rgn/tritium-desinformation-rectifiee

[5] https://www.asn.fr/Informer/Actualites/Rapport-sur-le-suivi-des-stress-tests-des-centrales-nucleaires


Par Cécile Crampon (Sfen) avec l’appui technique de Jean-Pierre Pervès – expert Japon

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