Financement du nouveau nucléaire britannique : qui veut du RAB ? - Sfen

Financement du nouveau nucléaire britannique : qui veut du RAB ?

Publié le 18 mars 2019 - Mis à jour le 28 septembre 2021
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Les ambitions énergétiques du Royaume-Uni…

Premier pays au monde à exploiter une centrale nucléaire dès 1956, le Royaume-Uni se trouve aujourd’hui dans une situation énergétique particulière : diminution des ressources d’hydrocarbures en mer du Nord, objectif affiché de réduction des émissions de CO₂ (fermeture programmée des centrales à charbon), difficulté intrinsèque à la technologie des réacteurs AGR (Advanced Gas-cooled Reactors) pour l’extension de leur durée de vie, éolien offshore déjà fortement développé et interconnexions modérées. Afin de maintenir la sécurité énergétique et décarboner la production électrique, le gouvernement britannique a fait entre autres le choix depuis dix ans (« White Paper on Energy » de 2007, « Energy Act » et « Climate Change Act » de 2008, « Low Carbon Transition Plan » de 2009) de la relance d’un programme de construction de centrales nucléaires.

Ce programme de nouveau nucléaire (« new build »), qui fait l’objet d’un consensus transpartisan et d’une bonne acceptabilité du public, prévoit la construction de 16 GW électriques d’ici 2030 et s’accompagne d’une remontée en puissance de tous les segments nécessaires à cette renaissance : éducation, formation, industrie et R&D.  Cette nouvelle stratégie intégrée a pour ambition de redonner au Royaume-Uni une place prépondérante sur la scène internationale, le chantier de Hinkley Point C (HPC) en étant la première manifestation tangible. Elle s’est également matérialisée par la publication du Nuclear Sector Deal en juin 2018 qui se présente comme un pacte entre le gouvernement et les industriels avec des engagements significatifs, notamment sur la réduction des coûts, tant pour les nouveaux projets nucléaires que pour le démantèlement.

…à l’épreuve du pragmatisme anglais

Le gouvernement britannique est conscient que la réussite de la renaissance nucléaire du pays ne peut se réaliser que par une maîtrise stricte et rigoureuse des coûts. Le BEIS (Department for Business, Energy and Industrial Strategy), insiste à ce titre sur le défi complexe de pouvoir assurer une énergie de façon sécurisée, décarbonée et à moindre coût : « the energy trilemma ».

En effet, le financement des projets nucléaires (investissement et coût du capital)  est devenu le principal point d’achoppement, en particulier face aux coûts en diminution des énergies renouvelables. Le consommateur britannique accepte le nucléaire mais il est très sensible au rapport coût/avantage (« value for money »). Deux chiffres sont souvent cités au Royaume-Uni, à titre d’exemple : 92.5£/MWh pour le Contract for Difference (CfD) de HPC (plus de 100 £/MWh avec l’inflation aujourd’hui) et  57.5 £/MWh attribués aux derniers projets éoliens en mer pour des durées de quinze ans. Même si ces deux chiffres ne sont pas vraiment comparables (intermittence, coûts systèmes…), ils forment des marqueurs forts dans l’esprit du public.

La question du financement, et du risque pris par les investisseurs peut faire dérailler le programme nucléaire britannique, l’actualité de ces derniers mois en est la preuve : Toshiba a annoncé en novembre 2018 la liquidation du projet NuGen à Moorside (construction de réacteurs AP1000) faute d’investisseurs et Hitachi a suspendu le projet Horizon à Wylfa Newydd (construction de réacteurs ABWR) en janvier 2019 en l’absence d’entente sur les modalités de financement du projet avec le gouvernement britannique, et donc de la répartition du risque, essentielle dans le cas de projets avec des têtes de série au Royaume-Uni. La négociation du CfD dans le cadre de HPC est quant à elle encore largement critiquée et ne sera sans doute pas de nouveau utilisée. Greg Clark, le Secrétaire d’Etat au BEIS, a mentionné à ce titre: « UK wants nuclear but not at any price ».

Ces contraintes et un certain pragmatisme ont ainsi forcé tous les acteurs à se pencher sur de nouveaux modèles de financement du nucléaire, notamment en vue de la construction du projet de réacteur EPR de Sizewell C (SZC) dans le Suffolk avec le recours à une ingénierie financière éprouvée mais jamais appliquée au nucléaire, le Regulated Asset Base (RAB) ou Base d’Actifs Régulés.

Le RAB : un modèle déjà testé et éprouvé

Le RAB est défini comme « une méthode comptable principalement utilisée par les organes de régulation économique pour calculer les revenus autorisés du secteur privé » [1]. Dans ce cadre, les financements des investisseurs sont révisés périodiquement par un régulateur indépendant qui estime si les dépenses d’investissement de capital (CAPEX) sont conformes aux projections acceptées ex ante. Le régulateur doit disposer d’une licence délivrée par le gouvernement qui se charge de lancer l’appel d’offres [2] et d’établir le taux de rentabilité. Le risque de construction est ainsi réparti entre les investisseurs et le consommateur et le versement des revenus est assuré dès la phase de construction. En faisant appel à un régulateur qui joue le rôle de médiateur, le modèle RAB permet de remédier aux difficultés que peuvent occasionner le financement et les aléas d’un projet pour la réalisation de grandes infrastructures sur une très longue échelle de temps.



Au Royaume-Uni, c’est le Competition and Markets Authority (CMA) qui se tient derrière le régime des régulateurs.


Pierre-Yves Cordier, Conseiller nucléaire, Ambassade de France au Royaume-Uni – Camille Bussière, adjointe au conseiller nucléaire, Ambassade de France au Royaume-Uni.