Les faibles doses, sources de leucémies ? - Sfen

Les faibles doses, sources de leucémies ?

Publié le 6 janvier 2016 - Mis à jour le 28 septembre 2021

L’été dernier, une étude[1] coordonnée par le Centre international de recherche sur le cancer (CIRC), agence de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) montre que le risque de décès par leucémie augmente linéairement avec la dose de rayonnement ionisant. Décryptage.

 

Un échantillon de plus de 300 000 travailleurs

Intitulée INWORKS (International Nuclear Workers Study ), cette étude vise à quantifier les risques de cancer et pathologies non cancéreuses chez les travailleurs du nucléaire exposés aux faibles doses et débits de dose.

Pendant 27 ans, 308 297 travailleurs du nucléaire ont été suivis dans trois pays (Etats-Unis, France et Royaume-Uni) sur une période entre 1943 et 2005. La cohorte française de plus de 59 000 individus, constituée par l’IRSN, regroupe des travailleurs d’AREVA, du CEA et d’EDF.

L’étude montre que la dose de rayonnements X ou gamma cumulée sur l’ensemble de la carrière professionnelle est de 24 mSv en moyenne et l’âge en fin de suivi est de 58 ans. Un total de 66 632 décès a été observé dont 17 957 par cancer solide, 531 par leucémie non lymphoïde chronique et 27 848 décès sont dus à des pathologies circulatoires.

Cette étude fait écho à une autre étude publiée en 2007[2]. Réalisée auprès d’un échantillon plus large de 15 pays[3] – incluant ceux de l’étude INWORKS – celle-ci avait alors conclu à l’absence d’association positive significative entre l’exposition aux rayonnements ionisants et le décès par leucémie…

 

« Une petite augmentation du risque de leucémie »

Les auteurs de l’étude INWORKS concluent qu’il existe une évidence forte d’association positive entre une exposition prolongée aux rayonnements ionisants à de faibles doses et une augmentation du risque de décès par leucémie.

« L’étude montre que les travailleurs du nucléaire font l’objet d’une petite augmentation du risque de décès de leucémie au fur et à mesure qu’augmente leur exposition aux rayonnements. » explique le Dr Ausrele Kesminiened, chercheur au CIRC et co-auteur de l’étude, dans le communiqué de presse de l’OMS.

L’association positive obtenue chez des travailleurs exposés mise en évidence dans cette étude, est comparable à celle observée chez les survivants d’Hiroshima et Nagasaki, exposés à des doses et  débits de dose élevés.

Cependant, cela ne signifie pas pour autant qu’une forte mortalité par leucémie soit à craindre chez les travailleurs du nucléaire. Les niveaux d’exposition moyens étaient en effet très faibles, de l’ordre de 1,1 mGy par an. Un employé correctement protégé ne voit son « sur-risque » de leucémie que très faiblement augmenter. 

 

D’autres paramètres auraient dû être pris en compte

Plusieurs paramètres auraient dû être pris en compte. Tout d’abord, l’étude ne prend pas en compte l’exposition à des facteurs confondants comme le tabac, le benzène et autres toxiques, ou l’exposition médicale aux rayonnements ionisants.

Par ailleurs, INWORKS s’intéresse exclusivement à l’irradiation externe, exclut la contamination interne et celle attribuable à l’exposition aux neutrons. Or 13 % de la population des travailleurs suivis est exposée à des neutrons (15% en France).

Enfin, comme toute étude, des erreurs portant, par exemple, sur la classification de la cause de la mort indiquée sur le certificat de décès peuvent influencer le résultat.  

 

Les méthodes de radioprotections confortées

Suite à la publication de cette étude, l’IRSN – qui a participé à l’élaboration de l’étude INWORKS – a conclu que les résultats « soutiennent la justification d’une protection radiologique des populations exposées aux faibles doses de rayonnements ionisants (travailleurs de l’industrie nucléaire, personnels médicaux, exposition médicale diagnostique…). »

Dans l’industrie nucléaire, un panel de mesures a été mis en place pour prévenir les risques radiologiques. Ainsi, les travailleurs intervenant en zone nucléaire disposent de deux appareils pour mesurer en continu et en permanence le rayonnement auquel ils sont exposés. Ces données sont systématiquement enregistrées et analysées par la médecine du travail pour permettre une prise en charge immédiate en cas de suspicion d’exposition. 

Depuis plusieurs années, ces mesures de prévention ont démontré leur efficacité. En 2014, l’IRSN a ainsi évalué que la dose individuelle moyenne dans l’industrie nucléaire était de 1,16 mSv. Un bilan positif au regard des résultats obtenus dans d’autres secteurs comme l’industrie « classique » (1,45 mSv) et l’aviation (1,76). Pour mémoire, la limite réglementaire fixée pour les travailleurs du nucléaire en France est de 20 mSv par an.

 

[1] K Leuraud, DB Richardson, E Cardis, RD Daniels, M Gillies, JA O’Hagan, GB Hamra, R Haylock, D Laurier, M Moissonnier, MK Schubauer-Berigan, I Thierry-Chef, A Kesminiene –  Ionising radiation and risk of death from leukaemia and lymphoma in radiation-monitored workers (INWORKS): an international cohort study – The Lancet Haematology, Volume 2, Issue 7, Pages e276–e281, July 2015.

[2] The 15-Country Collaborative Study of Cancer Risk among Radiation Workers in the Nuclear Industry: Estimates of Radiation-Related Cancer Risks

[3] E Cardis et al. – The 15-Country Collaborative Study of Cancer Risk among Radiation Workers in the Nuclear Industry: Estimates of Radiation-Related Cancer Risks. Radiat. Res. 167, 396 – 416, 2007.

Préparation des techniciens à la formation pour intervention en zone contrôlée, Centrale nucléaire de Nogent sur Seine. Crédit photo : EDF

Publié par Isabelle Jouette (SFEN)