Europe : quelle électricité pour demain ?
EDF vient de publier une étude (Technical and economic analysis of the European system with 60% RES) sur les conséquences pour le système électrique européen d’une montée à 60 % d’énergies renouvelables (ENR) dont 40 % d’ENR variables (éolien et panneaux photovoltaïques) et 20 % d’hydraulique et biomasse. Décryptage avec Alain Burtin, Directeur de Programme R&D chez EDF, qui a dirigé l’étude.
Pourquoi EDF a mené cette étude ?
Alain Burtin – L’étude ne prétend pas définir un mix optimal de moindre coût. EDF R&D a simulé le scénario haut 2030 de la feuille de route européenne qui va bien au-delà des objectifs affichés à l’horizon de 2030 qui tablent sur un taux de 45 % d’ENR dans le mix électrique européen. L’objectif de l’étude sur le périmètre européen vise à explorer les conditions de faisabilité d’un tel scénario : développement des réseaux pour connecter les moyens de production à la consommation, besoins de flexibilité pour équilibrer la variabilité de la production renouvelable dans le système électrique, stabilité et comportement en fréquence du système dans un contexte de développement massif de l’électronique de puissance, valorisation économique des différentes filières de production dans ce scénario.
Quels sont les enseignements de l’étude ?
AB – Elle confirme que la mise en place d’un fort taux de pénétration ENR variables – de l’ordre de 40 % – nécessite de disposer d’une capacité de production conventionnelle d’environ 500 GW en complément pour assurer la sécurité d’alimentation du réseau européen. Le scénario étudié montre la complémentarité de la production ENR avec la production nucléaire (89 GW et 14 % du mix dans le scénario UE) pour décarboner efficacement le mix électrique européen. Un mix ENR/nucléaire, complété par des moyens de pointe gaz permet de franchir un seuil de décarbonation de 100 gCO2/kWh (passage de 350 gCO2/kWh aujourd’hui à 73 gCO2/kWh).
L’étude montre également, qu’un pilotage adéquat de la montée en charge des ENR coordonnée avec la construction d’interconnexions entre les pays est nécessaire pour permettre la mise en place des ENR à coûts système optimisés et en particulier en limitant les investissements dans des dispositifs de stockage.
Cette étude fera date. Pourquoi est-elle importante ?
AB – C’est une étude d’une ampleur inégalée. Elle est d’une grande fiabilité car bâtie sur des scénarios de production européenne en tenant compte des chroniques météo sur la plaque Europe : 30 ans de données météo ont été utilisés. Les variations géographiques de production ont été étudiées. Sur une même journée à l’échelle de l’Europe, en fonction des conditions climatiques, on constate une variabilité de la production éolienne et photovoltaïque de l’ordre de 50 % de la demande européenne. Dans ces conditiosn, pour satisfaire la demande, la flexibilité de la demande et du stockage ne peuvent pas remplacer les moyens de production conventionnels. Ainsi malgré le développement de 700 GW d’ENR variables, la capacité installée conventionnelle nécessaire ne varie pas significativement dans le scénario par rapport à la puissance actuelle.
Cette étude met aussi en évidence qu’avec le développement de la production ENR connectée via l’électronique de puissance, le système sera moins stable face à une brusque variation de la puissance raccordée (+/- 3,5 GW). Cela pourrait conduire à limiter la part de la production raccordée en électronique de puissance dans les situations critiques si le système ne dispose pas des solutions de réglage de la fréquence rapide adaptées, comme la fourniture d’inertie synthétique par les éoliennes. Le système est d’autant plus stable qu’il comporte une demande importante, ceci renforce l’intérêt de l’interconnexion des systèmes.
Pour conclure, en publiant cette étude, EDF évalue la faisabilité technique de l’insertion des ENR intermittentes dans le réseau électrique européen, sans se fixer d’horizon de date. Il ressort que le challenge va croissant avec le taux de pénétration des ENR variables dans le système. Dans ce contexte, l’étude confirme l’intérêt technique d’une meilleure intégration européenne des réseaux nationaux avec le développement des interconnexions et montre la complémentarité des moyens de production nucléaires, hydrauliques, biomasse et les ENR variables pour la décarbonation de l’électricité en Europe, en limitant le recours aux moyens de production carbonés aux situations de back-up.
Photo copyright : EDF – Rudy Lamboray