Et à 15 h 54, le coeur de l’EPR se mit à battre
Le 57e réacteur du parc nucléaire français a divergé le mardi 3 septembre 2024. Pour célébrer ce moment historique dans l’écosystème de l’énergie nucléaire, la Sfen est revenue sur les étapes ayant conduit à cette première criticité… et sur les suivantes.
Après avoir reçu, le 2 septembre, l’aval de l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) pour le démarrage de l’EPR Flamanville 3, les équipes d’EDF ont effectué la divergence du réacteur dès le lendemain mardi 3 septembre, à 15 h 54. Le moment est historique car il s’agit du premier démarrage d’un réacteur en France depuis 20 ans et que Flamanville 3 devient le quatrième EPR à être mis en service dans le monde (après les deux EPR de Taishan en Chine et celui d’Olkiluoto en Finlande). Ce chantier difficile doit maintenant passer par de nombreuses étapes avant de faire atteindre sa pleine mesure au réacteur le plus puissant au monde1.
Plan large sur le démarrage de Fla 3
Depuis le chargement du combustible réalisé début mai 2024, l’EPR de Flamanville 3 est entré dans sa phase de démarrage. Le processus se déroule en étroite relation avec l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) et se subdivise en quatre sous-phases (DEM 3.1 à DEM 3.4), du chargement du combustible à la connexion au réseau.
Avant la première réaction en chaîne, un lourd programme de tests (phases 3.1 et 3.2) a été mené. Pour le réaliser, une nouvelle organisation a été définie. Au total, ce sont plus de 1 000 personnes qui sont mobilisées durant la phase de mise en service. « Les équipes de Framatome conduisent et réalisent les essais selon le programme, assurent le calcul post-traitement et analysent la conformité des résultats avec les hypothèses de conception, expose Gregory Heinfling, directeur de la centrale Fla 3 chez EDF. L’équipe de conception et de mise en service d’EDF assure la supervision des essais et la conformité de leurs résultats avec les critères de sûreté, tandis que l’équipe d’exploitation d’EDF réalise toutes les opérations, techniquement et concrètement, depuis la salle de contrôle principale ou sur le site même du réacteur, dont elle vérifie les paramètres par rapport aux spécifications techniques de fonctionnement ».
Préparation physique de la criticité
Durant le mois précédant la criticité, une séquence de tests a été réalisée (phase 3.2). Une première séquence d’essais à froid a été conduite, avec notamment la ventilation statique et dynamique des circuits primaires pour l’entraînement des pompes et moteurs de refroidissement. Dans cette phase, le démarrage des systèmes de mesures et de cartographie du flux neutronique (le système AMS – Aeroball Measurement System) a été effectué et d’autre part, des essais ont été menés sur le système de contrôle et de surveillance de la position des barres de contrôle (RGL). Ainsi les 89 barres ont suivi un test de calibration et ont été extraites une à une du noyau pour vérifier leur fonctionnement et leur positionnement.
À la fin des essais à froid, un niveau d’environ 55 degrés et 26 bars a été atteint dans le circuit primaire, ce qui a permis de mesurer le flux primaire à froid. Puis les fonctions du réacteur ont été vérifiées à différentes températures : 120, 180 et 280 degrés. « Enfin, une dernière montée en pression et en température est effectuée jusqu’à 155 bars et 300 degrés pour mener les tests précritiques à chaud avec notamment les tests de régulation, sur l’instrumentation du coeur et sur les systèmes de pulvérisation », précise Fabien Hensch, directeur du projet Fla 3 chez Framatome.
L’ensemble de ces tests permet en outre de vérifier le bon fonctionnement du réacteur à travers plusieurs transitoires – les changements d’état du réacteur, comme l’arrêt automatique par les soupapes de sécurité, ainsi que l’arrêt des pompes. Au terme de la séquence qui a été réalisée avec succès à la fin du mois d’août, les équipes sont entrées dans la phase 3.3, marquant le fait que le réacteur est prêt pour la divergence.
Atteinte de la criticité et bref arrêt du coeur
Accordée le 2 septembre par l’ASN, l’autorisation de la première criticité se déroule elle aussi à travers une succession d’étapes nombreuses et rigoureusement suivies. D’abord, la concentration en bore du circuit primaire a dû être réduite. Cela représente environ 10 heures de dilution avec 340 mètres cubes d’eau pure. Puis, une séquence de pompage a été effectuée, processus durant lequel les barres de contrôles sont relevées pour accroître le niveau de réactivité du coeur. Si la criticité n’est pas atteinte, les barres de contrôle sont alors réintroduites, la concentration en bore est à nouveau réduite grâce à l’injection d’eau, et la recherche de criticité est à nouveau testée. « Après neuf séquences, la criticité a été déclarée dans la salle de contrôle par l’équipe de 20 physiciens en charge, le 3 septembre à 15 h et 54 minutes », explique Loïc Andries, ingénieur de recherche en neutronique chez Framatome.
La première criticité marque le démarrage des tests de physique à puissance nulle. Le coeur du réacteur sera successivement placé dans de multiples configurations (variations de températures, déplacements des tiges, etc.). L’objectif est de mesurer différents paramètres du coeur et de les comparer aux valeurs théoriques calculées en amont. Un appareil spécifique, nommé réactomètre, est aussi employé. Il est directement connecté à l’instrumentation du noyau nucléaire et calcule en direct la réactivité à l’intérieur du coeur.
Peu de temps après la divergence du réacteur, celui-ci a subi un arrêt inattendu. Sans conséquence malgré un fort écho médiatique, cet événement est dû à une erreur humaine. Pour effectuer les premiers tests de physique à puissance nulle, des paramètres doivent être modifiés sur trois divisions du système contrôle-commande. La procédure requiert qu’une division soit redémarrée lorsqu’un nouveau paramètre y est implanté afin de la rendre à nouveau disponible et pour valider les critères de sûreté testés. Une procédure qui doit en outre être effectuée dans son intégralité, en passant à la division suivante uniquement après avoir terminé la précédente. En l’espèce, la première division a été modifiée mais n’a pas été redémarrée, les opérateurs passant à la deuxième puis à la troisième. Le système détectant trois divisions indisponibles a alors logiquement déclenché la protection du réacteur.
Bien que cet événement fût par nature inattendu, cet arrêt a permis de faire ressortir des points positifs non négligeables, ont assuré les opérateurs. Les protections ont fonctionné comme convenu et le système de contrôle-commande a bien communiqué les informations au réacteur. Par ailleurs, les équipes d’exploitation se sont parfaitement emparées de la situation, ont suivi toutes les procédures de sûreté et pu procéder au redémarrage de façon optimale.
Aussi, la deuxième criticité a été atteinte le samedi 7 septembre à 8 heures en suivant le même processus que pour la première. Les équipes s’attendent tout de même à avoir d’autres déclenchements involontaires du réacteur, puisque celui-ci est toujours en phase de test, les procédures devant encore être rodées et le personnel mis à l’épreuve jusqu’à la pleine puissance et la connexion au réseau. Les retours d’expérience de Taishan en Chine et d’Olkiluoto 3 en Finlande, avec respectivement 10 et 6 arrêts inopinés de réacteurs, ont aussi été intégrés dans les procédures de Fla 3. « Mais chaque réacteur a sa propre histoire, chaque équipe a sa propre histoire et ses propres imperfections. Il est pour moi normal et évident que nous ayons parfois à faire à de tels événements », explique Gregory Heinfling.
Montée en puissance de l’EPR
Un important programme de mise en exploitation reste encore à parcourir pour faire en sorte que le réacteur soit complètement disponible pour le réseau. Les prochaines étapes de test se poursuivent sur le coeur du réacteur mais aussi sur les systèmes secondaires et la turbine. Une fois que la turbine et les systèmes associés auront été totalement validés et que l’EPR aura atteint 25 % de sa puissance nominale, il sera connecté au réseau électrique. Les tests de cette première étape de montée en puissance comprennent également de nombreuses étapes transitoires de variation de charge sur le coeur et sur les systèmes secondaires. Parallèlement, on profite de ces tests pour effectuer des formations du personnel pour chacun de ces transitoires sur le simulateur, installé sur le site.
Après l’atteinte des paliers de 60 % et de 100 % de puissance, le réacteur et la turbine suivront à nouveau une batterie de tests avec des variations de charge et des déclenchements (phase 3.4). Le réacteur sera poussé dans ses « retranchements » à de multiples reprises pour tester son fonctionnement dans tous types de situations, opérationnelles ou accidentelles. Ce n’est qu’à la fin de ce programme, avec des résultats entièrement validés et après plusieurs centaines d’heures de fonctionnement, que l’EPR de Flamanville 3 pourra être considéré comme entièrement disponible et à pleine puissance.
Alors que l’EPR, à l’heure où ces lignes sont écrites, monte en puissance, les équipes de Flamanville anticipent d’ores et déjà le premier arrêt de tranche. Après son premier cycle de fonctionnement, la machine sera inspectée sous toutes les coutures. Ce sera aussi l’occasion de remplacer le couvercle de la cuve de l’EPR, comme convenu avec l’Autorité de sûreté nucléaire. Mais dès à présent, Gregory Heinfling se réjouit de ce lancement : « Je pense que chacun sur le site a vécu sa propre histoire, son aventure avec Flamanville 3, chacun a ressenti ses propres sensations. Mais pour tout le monde, c’était un grand moment, une grande joie. C’est aussi un moment très important pour le nucléaire à l’échelle mondiale ».
1. Cet article reprend les éléments d’un webinaire « Insights on Flamanville 3 EPR first criticality », à retrouver sur la page YouTube de la Sfen.