[Elles ont fait le nucléaire] Chien-Shiung Wu, celle qui a défié les lois de la physique - Sfen

[Elles ont fait le nucléaire] Chien-Shiung Wu, celle qui a défié les lois de la physique

Publié le 11 août 2025

Elles s’appelaient Lise Meitner, Ida Noddack ou Leona Woods… Physiciennes, ingénieures, chimistes, elles ont joué des rôles majeurs dans l’histoire de la science nucléaire, souvent moins reconnues que leurs homologues masculins. Cet été, la RGN met en lumière ces femmes essentielles de l’atome. Aujourd’hui, découvrons Chien-Shiung Wu, figure clé du projet Manhattan et pionnière d’une révolution expérimentale en physique.

Parmi les nombreux contributeurs au projet Manhattan, une brillante physicienne, âgée de seulement 27 ans, a joué un rôle déterminant dans son succès : Chien-Shiung Wu. Cette physicienne sino-américaine a participé à résoudre un défi critique. Après quelques heures seulement, une réaction en chaine auto-entretenue dans le réacteur nucléaire faiblissait fortement. Il a fallu identifier le rôle de poison neutronique que joue le Xénon. Par la suite, elle a également contribué à l’amélioration du processus de séparation de l’uranium en isotopes U-235 et U-238 par diffusion gazeuse, une étape clé dans la production de grandes quantités d’uranium pour la première bombe atomique.  Malgré cette participation, à l’instar de nombreuses femmes scientifiques, elle n’apparaitra pas dans le film Oppenheimer de Christophe Nolan.

De la Chine au monde subatomique

Née en Chine, Chien-Shiung Wu a entamé son parcours académique à l’Université centrale nationale à Nanjing, l’un des établissements d’enseignement supérieur les plus anciens de Chine. S’intéressant à l’origine aux mathématiques, Wu s’est rapidement concentrée sur la physique, profondément influencée par les travaux pionniers de Marie Curie et de sa professeure Jing-Wei Gu.

Les troubles internes et les relations dégradées avec le Japon, rendent la vie en Chine difficile. Elle décide d’émigrer aux États-Unis pour son doctorat. Elle ne remettra les pieds dans son pays natal que 36 ans plus tard et n’aura jamais l’occasion de revoir ses parents. À 24 ans, elle approfondit ses connaissances sur un sujet très recherché à l’époque, les produits de la fission de l’uranium à l’Université de Californie à Berkeley.

Après la Seconde Guerre mondiale, Chien-Shiung Wu commence à se passionner pour les secrets des particules qui composent la matière. À cette époque, deux physiciens théoriciens, Tsung Dao Lee et Chen-Ning Yang, s’interrogent sur une toute nouvelle particule : le kaon. Son comportement étrange laisse penser qu’elle pourrait remettre en cause une loi fondamentale de la physique : la symétrie de parité.

Cette loi affirme que les phénomènes physiques doivent être identiques si on les observe dans un miroir : gauche et droite devraient se comporter pareil. Mais Lee et Yang ont un doute. Ils pensent que certaines particules pourraient faire exception… et demandent à Wu de les aider à le vérifier.

C’est elle qui conçoit une expérience brillante et très difficile à réaliser. Elle utilise le cobalt-60, qu’elle refroidit à une température proche du zéro absolu. Avec un champ magnétique, elle aligne les noyaux des atomes, puis observe la direction dans laquelle les électrons sont émis pendant leur désintégration. Si la nature respecte vraiment la symétrie miroir, les électrons devraient partir également à gauche et à droite. Mais ce n’est pas ce qu’elle voit. Les électrons partent majoritairement d’un seul côté ! C’est une découverte stupéfiante : la symétrie de parité est violée dans certaines interactions physiques, notamment dans le cadre de l’interaction faible.

Une reconnaissance importante aux États-Unis

Grâce à cette expérience, Chien-Shiung Wu a pu valider la théorie de Lee et Yang. Son expérience a réfuté une loi fermement ancrée dans la physique.  Mais bien que sa participation ait été déterminante, elle ne remporte pas le prix Nobel en 1957, contrairement à ses deux homologues masculins. Outre un sexisme courant alors, la théorie était souvent privilégiée sur la démonstration expérimentale.

Cependant, elle finira par être reconnue à sa juste valeur. Elle remporte la médaille nationale de la science et le Prix Wolf en 1978. Elle est aussi la première femme à remporter le prix Comstock de physique, décerné par l’Académie des sciences, à obtenir un doctorat honorifique en sciences de l’université de Princeton et à présider la Société américaine de physique.

Retrouvez tous les épisodes de notre série [Elles ont fait le nucléaire].

Par Floriane Jacq, Sfen

Image : Chien-Shiung Wu