Diagnostic de performance énergétique (DPE) : corriger une réglementation qui favorise les énergies fossiles
Mise à jour – 27 août 2025 : Depuis la rédaction de cet article, le gouvernement a publié un arrêté qui réforme le mode de calcul du DPE au 1er janvier 2026. Celui-ci ne réduit que légèrement une pénalité appliquée au chauffage électrique qui n’a pas lieu d’être: le calcul basé sur l’énergie primaire et non l’énergie finale, avec de plus une méthodologie de calcul non rigoureuse, continue à avantager le chauffage au gaz, en contradiction avec les objectifs de décarbonation.
Le DPE continue de pénaliser l’électricité bas carbone au profit des énergies fossiles, à cause d’un mode de calcul fondé sur un coefficient arbitraire hérité des années 1970. La réforme en cours, portée par le ministère du Logement et soutenue par la Sfen, corrige partiellement cette incohérence, mais une refonte plus profonde de la méthode s’impose, fondée sur la consommation d’énergie finale.
Le ministère chargé du Logement a ouvert du 15 juillet jusqu’au 5 août 2025, une consultation publique en ligne sur un projet d’arrêté concernant les règles de calcul du Diagnostic de performance énergétique (DPE). Le projet vise à faire évoluer le coefficient en énergie primaire (CEP), actuellement utilisé dans le calcul de la performance énergétique des logements, de 2,3 pour l’électricité consommée à 1,9, soit la valeur par défaut fixée au niveau européen. Le projet permettrait, selon le gouvernement, à mieux tenir compte des spécificités du mix électrique français et à focaliser les efforts de rénovation énergétique sur les logements les plus émetteurs de gaz à effet de serre.
La Société française d’énergie nucléaire (Sfen) a répondu à la consultation et soutient cette mesure. Elle représente un pas en avant pour corriger une réglementation qui favorise aujourd’hui les énergies fossiles aux dépens de l’électricité, pourtant bas carbone à près de 95 % en France en 2024 [1]. La Sfen estime que les règles de calcul du CEP sont contestables sur le plan scientifique (le chauffage au gaz et au fioul bénéficie d’un CEP à 1), et que la performance des logements devrait être établie en énergie finale.
DPE et CEP : de quoi parle-t-on ?
En 2024, le secteur des bâtiments représentait 60 % de la consommation nationale de gaz et 15 % des émissions de CO2. D’après le Haut Conseil pour le Climat [2], la baisse des émissions s’est fortement ralentie en 2024 : pour atteindre les objectifs de la Stratégie nationale bas carbone (SNBC 3), la baisse des émissions pour ce secteur devrait être neuf fois plus importante.
Le DPE est un outil essentiel de pilotage de la politique énergétique dans le bâtiment, en renseignant sur la performance énergétique et climatique d’un logement ou d’un édifice. Depuis juillet 2021, il comporte deux étiquettes, chacune allant de A à G : une étiquette liée à la consommation énergétique conventionnelle du logement (chauffage, eau chaude sanitaire, refroidissement, éclairage, auxiliaires), et une étiquette liée aux émissions de CO2 associées. On estimait au 1er janvier 2024 à 4,2 millions [3] (environ 14 % des résidences principales) le nombre de logements ayant une étiquette F ou G. Ces logements sont qualifiés de « passoires énergétiques ». La loi Climat et Résilience (2021), dans l’objectif d’accélérer le rythme de rénovation des logements les plus mal isolés, a établi l’interdiction de louer un logement ayant une étiquette énergétique G après 2025, F après 2028 et E après 2034.
Le mode de calcul du DPE (approche normalisée 3CL-DPE) établit la consommation sur la base d’un confort normatif. Elle est ainsi calculée à partir des caractéristiques du bâti et des équipements, et est donc indépendante des habitudes d’usages des occupants. Mais, le DPE est établi également sur la base d’un calcul de la consommation en énergie primaire [4] (l’énergie contenue dans les ressources extraites de la nature comme le pétrole, le charbon, ou l’uranium), et non pas l’énergie finale (l’énergie livrée au consommateur et utilisée directement dans le logement). Cette dernière fait, en pratique, l’objet d’un comptage et d’une facturation. La consommation en énergie primaire du logement, qui n’est pas mesurable, est calculée de manière conventionnelle en multipliant la consommation d’énergie finale par un coefficient de conversion de l’électricité en énergie primaire (CEP).
Le CEP est à l’origine une convention statistique adoptée en 1972 [5] pour des calculs bilans énergétiques nationaux. À cette date, 70 % de l’électricité produite en France provenait de centrales thermiques conventionnelles au charbon et au fioul. Sur la base de calculs de rendement de ces installations, le CEP avait été fixé à 2,58 [6] pour l’électricité. Le Grenelle de l’environnement en 2009 a continué de retenir l’utilisation du calcul en énergie primaire, avec le CEP de 2,58, pour le bâtiment. La consommation en énergie primaire est devenue le seul critère d’appréciation de la performance énergétique des bâtiments dans la réglementation thermique RT2012, ce qui allait à contre-courant des politiques de baisse d’émissions. Les méthodologies n’ont évolué qu’en 2020, avec un passage du CEP de 2,58 à 2,3, actant la prédominance du nucléaire sur les centrales thermiques au fioul et au charbon et le développement des énergies solaires et éoliennes.
Une réglementation qui favorise les fossiles (gaz et fioul), sans méthodes scientifiques
Selon les normes actuelles (avec un CEP à 2,3), un logement équipé au gaz actuellement classé D avec une consommation de 180KWh/m2.an, deviendrait classé F s’il était équipé d’une solution électrique. En effet, avec l’application du CEP (180X2,3=414 KWh/m2.an), il serait fortement dégradé, alors que son bâti aurait exactement les mêmes caractéristiques. Pourtant, c’est la consommation d’énergie finale (et non l’énergie primaire) qui caractérise le bâtiment, en particulier l’isolation des différentes surfaces en contact avec l’extérieur, et qui détermine si oui ou non on est en présence d’une « passoire énergétique ».
Cette caractéristique est intrinsèquement indépendante du mode de chauffage. Un logement mal isolé laisse s’échapper de la chaleur et ceci reste vrai quel que soit le mode de production de la chaleur. Autrement dit changer de mode de chauffage ne modifie pas la taille des trous de la passoire. La Sfen, ainsi que plusieurs voix associatives (Équilibre des énergies, Sauvons le Climat), estime que, même si la réforme en cours va dans le bon sens, le CEP de l’électricité devrait être ramené à 1. Une disposition qui est rendu possible par la directive européenne sur la performance énergétique des bâtiments qui indique, dans son annexe 1, que : « Les États membres appliquent un coefficient par défaut de 1,9, sauf s’ils font usage de leur pouvoir discrétionnaire de définir un coefficient différent en fonction des circonstances nationales justifiées ». Un CEP de 1 pourrait être justifié en France par le fait que notre électricité est décarbonée à 95 %.

On a pu argumenter dans le passé (cf. avis de l’Opecst lors du Grenelle de l’Environnement) que les calculs en énergie primaire sont basés sur des « méthodes scientifiques ». Or, les valeurs utilisées aujourd’hui pour les CEP des différentes sources d’électricité ont plus une valeur conventionnelle qu’une valeur scientifique.
L’observatoire de l’électricité note ainsi que le CEP pour l’électricité renouvelable a été fixé de manière conventionnelle à 1, alors que la transformation d’énergie primaire (flux d’ensoleillement et de vent) en énergie finale ne se fait pas avec un rendement de 100%, principalement pour des complexités de prise en compte des énergies de flux. Cette convention ne prend pas en compte non plus les rendements internes des turbines dans le cas de l’hydraulique.
Dans le cas du gaz ou du fioul, on peut comprendre qu’un système de chauffage avec combustion directe est plus efficace qu’un système passant par une étape intermédiaire de conversion à l’électricité via une centrale thermique. Pourtant, les chaines de valeur d’extraction, de transformation et de transport des hydrocarbures n’atteignent certainement pas une efficacité de 100% ni pour le gaz, ni pour le charbon, ni pour le fioul. Le CEP tendrait d’autant plus à se dégrader dans le cas du gaz que la part du Gaz naturel liquéfié (GNL) a progressé dans les importations de 35 % en 2021 à 59 % en 2023 [7]. Or la chaine du GNL est complexe et implique plusieurs étapes, chacune avec ses propres pertes et consommations que ce soit lors de l’extraction (fuites, torchage), la liquéfaction (le gaz naturel est refroidi à environ -162°C), le transport par méthanier, la regazéification et la distribution. La liquéfaction à elle seule utiliserait entre 10 et 15 % [8] de l’énergie du gaz.
De nombreuses idées reçues sur l’utilisation des solutions électriques dans le bâtiment
Le déploiement du chauffage électrique (essentiellement à effet Joule) s’est déroulé dans les années 1980, souvent dans des logements mal isolés, et en même temps que la construction du parc nucléaire. Chauffage électrique (souvent associé à l’image du « grille-pain ») et nucléaire ont souvent eu les mêmes détracteurs. Le recours à l’électricité pour le chauffage a connu une deuxième phase, depuis 2010, portée par des technologies plus performantes ainsi que par les pompes à chaleur qui est avant tout une solution renouvelable. L’électrique est aujourd’hui utilisée par 9 millions de personnes pour son mode de chauffage principal (RTE BP 2023).
Une première idée reçue est que la pointe de consommation électrique en hiver serait un vrai problème dont le chauffage électrique serait responsable.
RTE, dans son BP 2023-2035, souligne que les courbes de charge hivernales et estivales présentent des différences notables en niveau, du fait des différences de températures extérieures et des usages de climatisation (en été) et surtout de chauffage (en hiver). Le système électrique français se caractérise ainsi par une forte thermo-sensibilité induite par le chauffage électrique : le gradient hivernal (sensibilité de la consommation à la baisse de température en hiver) est aujourd’hui estimé à 2 400 MW/°C. Les courbes de consommation électrique sont à un niveau plus élevé en hiver qu’en été, et le système électrique français est organisé et dimensionné en conséquence. Les arrêts pour rechargement de combustible des réacteurs nucléaires sont positionnés plutôt en été, pour avoir le maximum de ressources disponibles en hiver. RTE note aussi que les courbes hivernales et estivales possèdent beaucoup de caractères communs, dictés par le rythme des activités économiques et domestiques. La consommation est plus élevée le jour que la nuit, et en jours ouvrés qu’en week-end, les tarifications heures pleines/heures creuses déclenchent un certain nombre d’usages.

Source : RTE BP 2023-2035 chapitre 2 (consommation)
Une seconde idée reçue est que le chauffage électrique serait responsable de la précarité énergétique des ménages, et que la réforme dispenserait les propriétaires de passoires énergétiques de faire des travaux.
Selon le gouvernement, sur les 5,8 millions de logements classés F ou G, près de 850 000 habitations devraient voir leur étiquette énergétique s’améliorer avec la réforme. Ceci montre tout d’abord que la très grande majorité des passoires énergétiques ne sont justement pas des logements chauffés à l’électricité. À noter que la réforme n’a pas pour objet, comme on peut l’entendre, de « sortir ces logements de la catégorie des passoires thermiques » : les plus mauvais G en termes de performance vont en effet rester en G, une partie passera de G en F, et une autre partie encore passera de F en E. La réforme vise à accentuer les efforts sur les logements dont la performance est la plus mauvaise. Prioriser les efforts sur les logements les plus énergivores est d’autant plus important que la France n’arrive pas aujourd’hui à tenir le rythme des rénovations programmé. Enfin, la réforme n’aura a priori pas pour effet de « réinstaller des radiateurs partout » comme certains semblent le craindre et le propagent. En revanche elle pourrait aider à relancer l’installation de pompes à chaleur (PACs), alors que le rythme d’installation s’est fortement ralenti sur le premier semestre 2025.
Selon RTE [8], les systèmes de chauffage basés sur l’électricité (aujourd’hui principalement des radiateurs à effet joule) sont surreprésentés dans les logements de petite taille, mais aussi dans les logements ayant les meilleures performances énergétiques. Il est important aussi de rappeler, quand on parle de précarité énergétique, que les ménages chauffés à l’électricité sont plus taxés que ceux chauffés au gaz. L’électricité, pourtant bas carbone en France à près de 95 % (RTE 2024), est non seulement discriminée par le mécanisme du CEP, mais aussi deux fois plus taxée que le gaz fossile pour le particuliers. Au 1er aout 2025, l’accise sur le gaz est à 15,43 euros par mégawattheure (MWh), soit deux fois moins que l’accise sur l’électricité pour la catégorie « ménages et assimilés » (29,98 euros/MWh). Selon l’Observatoire de l’électricité[9], la consommation d’électricité est taxée à hauteur de 1 262 € par tonne de CO2 émise en 2025, 11 fois plus que la combustion de fioul domestique et 8 fois plus que la combustion de gaz naturel.

Source : observatoire de l’électricité
Une méthode à repenser
Corriger le coefficient de conversion est un premier pas nécessaire. Mais tant que le DPE restera basé sur l’énergie primaire, il continuera de pénaliser l’électricité bas carbone au profit d’énergies fossiles plus émettrices. Pour répondre aux objectifs climatiques, la méthode elle-même doit évoluer, au profit d’un calcul fondé sur l’énergie finale et sur les émissions réelles. ■
Par Valérie Faudon, Déléguée générale de la Sfen
Image : étiquette DPE – ©Shutterstock
[1] RTE Bilan électrique 2024
[2] HCC : relancer l’action climatique face à l’aggravation des impacts et à l’affaiblissement du pilotage juillet 2025
[3]ONRE : le parc de logements par classe de performance énergétique au 1er janvier 2024
[4] Observatoire de l’électricité : primaire ou finale, comment comptabiliser l’énergie juillet 2024
[5]Connaissance des énergies : tribune JP Hauet « il-faut-abandonner-le-coefficient-de-conversion-de-lelectricite-en-energie-primaire »
6] MTE chiffres clefs de l’énergie 2024
[7] IEA June 2025 Assessing emissions from LNG supply and abatement options
[8] RTE BP 2023 Chapitre 10 Volet bâtiment
[9] https://observatoire-electricite.fr/politique-energetique/article/prix-de-l-electricite-en-france-la-fiscalite-de-l-electricite