[Décryptage] Civaux : cinq points pour comprendre le partenariat entre EDF et la Défense

EDF a annoncé lundi 18 mars avoir été saisie par l’État, afin de réaliser un service d’irradiation à la centrale nucléaire de Civaux, en appui du CEA, pour le compte de la Défense. L’électricien a déclaré que cette demande n’aura pas d’impact sur l’exploitation de la centrale de Civaux et sa finalité, la production d’électricité bas carbone.
Le 18 mars dernier, le ministre de la Défense Sébastien Lecronu s’est rendu sur la centrale de Civaux (Vienne). L’objectif était de présenter aux salariés du site le projet « d’installer un service d’irradiation de matériaux sur le site. Il s’agit d’exploiter la puissance des deux réacteurs de Civaux pour, en marge d’une production d’électricité inchangée, irradier dans le cœur des réacteurs des matériaux particuliers contenant du lithium. Une fois irradiés, ces derniers seront transférés vers un site du CEA afin de produire du tritium, un gaz rare indispensable aux armes de la dissuasion », explique le ministère dans un communiqué. Il précise encore que « cette collaboration était à l’étude depuis les années 1990 ».
De son côté, EDF explique dans un communiqué que « La destination des réacteurs nucléaires du parc de production d’EDF, y compris ceux de Civaux, est la production d’électricité pilotable décarbonée au service de la transition énergétique française. Cette activité complémentaire annexe viendra s’ajouter à la mission principale de production d’électricité ». L’entreprise rappelle de plus que les deux réacteurs de Civaux restent soumis au régime des installations nucléaires civiles. Une convention entre l’État, le CEA et EDF sera signée fixant le périmètre des activités, les droits et obligations de chacune des parties dans le respect des règles de gouvernance d’EDF.
1 – Le tritium n’est pas un produit fissile
Le tritium est l’isotope de l’hydrogène. Sa masse atomique est de 3 : son noyau compte 1 proton et 2 neutrons. Le tritium n’est pas fissile. Aussi, il n’est pas retenu parmi les « produits fissiles » du Traité de non-prolifération (TNP) et ne fait pas l’objet de contrôles pour l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA). En revanche, il est radioactif et se désintègre en hélium 3 (3He) avec une demi-vie relativement courte de 12,3 ans.
Le tritium est un élément clef de la fusion nucléaire, qu’elle soit à des fins militaires ou civiles. Dans la réaction de fusion, des noyaux de deutérium et de tritium entrent en collision et fusionnent, produisant de l’hélium, des neutrons, et une grande quantité d’énergie.
Pour produire le tritium dont elle a besoin, la Défense dispose de ses moyens propres. Cependant, suite à l’arrêt d’une partie d’entre eux, les réacteurs Célestin du site CEA de Marcoule en 2009, elle a choisi d’utiliser, pour garantir la redondance de ses moyens, une centrale civile.
2 – Production de lithium
La collaboration entre EDF et la Défense consiste à installer un service d’irradiation de matériaux contenant du lithium. Le lithium 6, présent dans le lithium naturel à raison de 7,5 %, capture les neutrons pour donner des noyaux d’hélium et de tritium.
Des grappes contenant du lithium seront donc insérées dans le cœur à l’occasion des rechargements, puis déchargées en piscine au cycle suivant. Ce procédé d’irradiation de matériaux en réacteur civil est déjà utilisé pour d’autres applications, par exemple dans le médical pour la production de Cobalt 60 radioactif à partir de Cobalt 59 (isotope stable). Un accord a d’ailleurs été signé en ce sens entre EDF et Westinghouse en 2021. Le choix de Civaux, la plus jeune centrale du parc (mis en service 1997 et 1999), permet d’assurer le service sur le temps long.
3 – Pas d’activité Secret Défense à Civaux
EDF ne fournit que le service d’irradiation et ne produira pas de tritium. Aucune activité classifiée Secret Défense ne sera menée à la centrale. Une fois irradiés, les éléments contenant le lithium seront transférés vers un site du CEA (Direction des applications militaires) de production du tritium. L’opération ne produira donc aucun rejet de tritium dans l’environnement, et ne doit pas, selon le cahier des charges à l’étude, impacter la production.
Dans la mesure où il s’agit d’une installation civile, cette activité complémentaire se fera conformément à la réglementation actuelle en matière de sûreté et de protection de l’environnement. Elle sera réalisée sous le contrôle de l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN), et selon les règles de transparence en vigueur. À l’occasion de sa visite à Civaux le 18 mars, le ministre de la Défense, Sébastien Lecornu, a pu rencontrer des membres du personnel de la centrale et des membres de la CLI, pour répondre à leurs questions.
4 – Pas de lien avec la situation en Ukraine
Selon Heloise Fayet, chercheuse à l’Ifri, la relance de production du tritium est pensée depuis des années, indépendamment de la situation géopolitique : « Il ne s’agit pas d’un signal stratégique au sens habituel ». L’annonce est en fait liée au passage d’un nouveau jalon du projet. La demande d’autorisation de modification nécessaire à la réalisation de cette activité doit être soumise à l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) pour instruction. Alors que les travaux se sont déroulés jusqu’à présent sous le sceau du secret défense, il est nécessaire désormais, alors que de plus en plus de personnels et d’institutions seront impliqués, de rendre le projet public.
5 – Encore des années de travail
Une convention entre l’État, le CEA et EDF doit être signée fixant le périmètre des activités, les droits et obligations de chacune des parties dans le respect des règles de gouvernance d’EDF. À noter que les tests et la montée en puissance prendront certainement plusieurs années. ■