[Décryptage] Les États-Unis à marche forcée pour reprendre la tête sur les réacteurs innovants - Sfen

[Décryptage] Les États-Unis à marche forcée pour reprendre la tête sur les réacteurs innovants

Publié le 26 novembre 2025 - Mis à jour le 27 novembre 2025

Portée par une série de décrets présidentiels, la stratégie nucléaire américaine pour les AMR connaît en 2025 une accélération sans précédent. Les petits réacteurs avancés sont au cœur de cette dynamique. Washington mise à la fois sur un nouveau programme de réacteurs pilotes, la simplification réglementaire et la sécurisation des combustibles stratégiques pour satisfaire son ambition de « domination énergétique ».

A l’occasion de l’ouverture de la conférence de l’Amercian Nuclear Society (ANS) le 10 novembre dernier, le secrétariat américain à l’Énergie, Chris Wright, donne le ton : « Gagner la bataille de l’Intelligence artificielle est le combat du XXIe siècle [..] Nous avons besoin de faire croître notre production d’électricité, et le nucléaire jouera un rôle central ». Il ajoute que le nucléaire ne concerne pas que l’électricité, le pays aura besoin de sources de production de « chaleur industrielle » (process heat) pour relocaliser ses activités.

En quelques mois, la Maison Blanche et le Département de l’Énergie (DOE) ont orchestré une mobilisation d’ampleur. Objectif : lancer la construction de 10 nouveaux réacteurs de puissance avant 2030 et accélérer le développement des réacteurs innovants. Cette stratégie s’appuie notamment sur un programme de réacteurs pilotes, piloté directement par le DOE pour la sûreté. Il prévoit la mise à disposition de matières fissiles, de lignes de fabrication de combustible et de partenariats industriels inédits.

Un régime spécifique d’autorisation pour les réacteurs pilotes

En mai 2025, le président Donald Trump signe quatre Executive Orders consacrés à la relance de l’industrie nucléaire. L’un d’eux, intitulé Deploying Advanced Nuclear Reactors for National Security, place les réacteurs avancés au cœur de la stratégie nationale. Il prolonge une dynamique engagée dès 2020 avec le programme Advanced Reactor Development Program. Ce programme avait alors retenu dix projets, dont huit relevant de la quatrième génération. Trois sont aujourd’hui en route vers la construction de démonstrateurs : TerraPower et X-Energy pour des versions pré-commerciales, et Kairos Power pour un démonstrateur à finalité technologique.

Pour amplifier cet effort, l’administration lance en parallèle un nouveau Reactor Pilot Program. Il doit permettre la construction et la divergence de trois prototypes d’ici le 4 juillet 2026. L’objectif est de renouer avec les exploits passés des National Labs. Ils ont autrefois accueilli des dizaines de réacteurs de test, avec des temps de développement très rapides. Les archives témoignent de la construction de 52 réacteurs à INL (Idaho), 13 à Oak Ridge (Tennessee) et 28 à Argonne (Illinois). « L’industrie nucléaire a été calme pendant des décennies. Nous voulons voir maintenant des vrais coups de pioches pour la construction de réacteurs », selon Chris Wright.

En août, une liste de dix entreprises candidates est rendue publique[1]. Particularité notable : à condition qu’ils n’aient pas d’usage commercial, ces projets pourront suivre le cadre d’autorisation simplifié du DOE. Ils éviteront ainsi les procédures plus longues de la Nuclear Regulatory Commission (NRC). Selon Chris Wright, la NRC doit elle-même se réformer, pour passer de « bureaucracy, safety, bureaucracy » à « safety, safety, safety ». Les modèles de réacteurs approuvés par le DOE seront traités en priorité pour l’obtention future d’une licence de la NRC.

Selon l’ANS, plusieurs des entreprises sélectionnées avancent à un rythme jamais vu depuis les années 50, ce qui rend difficile de se tenir au courant des dernières informations. Mi-novembre, le DOE avait approuvé deux Nuclear Safety Design Agreement (NSDA) et trois entreprises avaient déjà lancé leurs projets.

Un engagement pour sécuriser les matières critiques

Depuis le déclenchement de la guerre en Ukraine, le DOE s’est fixé pour objectif de reconstruire une capacité nationale d’enrichissement, afin de réduire la place occupée jusque-là par l’industrie russe dans l’approvisionnement américain. Plusieurs appels d’offres ont été publiés pour développer des services d’enrichissement, de déconversion et de stockage d’uranium faiblement enrichi (Leu) et moyennement enrichi (Haleu). Des industriels ont été présélectionnés, dont Orano avec son projet Ike à Oak Ridge.

Pour répondre aux besoins les plus immédiats, le Haleu Availability Program met à disposition vingt tonnes de Haleu issues des stocks fédéraux et complétées par un programme de démonstration mené avec Centrus Energy, dont la production atteint 900 kg/an. Cinq entreprises ont été retenues en avril 2025 — Triso-X, Kairos Power, Radiant Industries, Westinghouse et TerraPower — puis trois supplémentaires en août : Antares Nuclear, Standard Nuclear et Natura Resources.

Au-delà de cette première tranche, le DOE a formalisé une politique d’acquisition de Haleu destinée à stimuler durablement la production commerciale. Les besoins de l’industrie sont estimés à cinquante tonnes par an d’ici 2035. En octobre 2025, l’administration franchit une étape supplémentaire en lançant un appel d’offres pour mettre à disposition environ vingt tonnes de plutonium excédentaire provenant des stocks militaires, conformément aux Executive Orders. Quatre entreprises — Curio, Lightbridge, Oklo et Newcleo — ont déjà manifesté leur intérêt pour le recyclage de cette matière, et trois d’entre elles ont annoncé des collaborations.

Accélérer la conception, la qualification et la fabrication des combustibles :

En complément du programme de prototypes, le DOE met en place un Fuel Line Pilot Program visant à construire et exploiter des lignes de production de combustible destinées à la recherche, au développement et à la démonstration. Ces lignes devront également alimenter les futurs réacteurs du Reactor Pilot Program. Standard Nuclear est la première sélectionnée en août 2025 pour produire du Triso. Un mois plus tard, quatre entreprises rejoignent le dispositif : Oklo pour le combustible métallique, Terrestrial Energy pour les sels fondus, Triso-X pour de nouvelles capacités Triso et Valar Atomics pour des combustibles du même type. Comme pour les réacteurs pilotes, ces installations seront supervisées par le DOE. En revanche, leur construction, leur exploitation et leur démantèlement seront à la charge des entreprises.

Industriels en mouvement

Cette stratégie fédérale suscite une accélération simultanée du côté des industriels. Framatome et Standard Nuclear ont annoncé la création d’une coentreprise baptisée Standard Nuclear-Framatome, qui vise la production initiale de deux tonnes de particules Triso par an dès 2027, sur le site de Richland, dans l’État de Washington.

De son côté, Oklo multiplie les initiatives. L’entreprise a déposé en avril 2025 une demande d’autorisation auprès de la NRC pour construire une usine de recyclage du combustible usé à Oak Ridge, avec une entrée en production envisagée au début des années 2030. Un accord avec Newcleo est conclu en octobre pour investir ensemble dans une installation de fabrication de combustible. Parallèlement, Oklo prépare l’ouverture d’une ligne pilote au sein de l’Idaho National Laboratory, où doit également être implanté son premier réacteur au sodium Aurora.

Le mouvement est tout aussi dynamique pour Terrestrial Energy, qui s’est associée à Westinghouse afin de développer une ligne pilote destinée au combustible du réacteur à sels fondus IMSR, dont la construction est prévue au Texas. Enfin, Triso-X, filiale de X-Energy, a franchi une étape décisive en novembre 2025 en lançant la construction de sa première usine commerciale à Oak Ridge. Baptisée TX-1, elle vise une capacité suffisante pour alimenter douze réacteurs Xe-100. L’entreprise prévoit aussi un laboratoire pilote, construit dans le cadre du Fuel Line Pilot Program, afin d’assurer l’intégration technologique, la formation et la validation des systèmes associés à cette nouvelle unité. ■

Par Valérie Faudon, Déléguée générale de la Sfen

Image : A droite, Chris Wright, lors de l’ouverture de la conférence annuelle de l’American Nuclear Society – @ANS

[1] Aalo Atomics, Antares Nuclear, Atomic Alchemy, Deep Fission, Last Energy, Natura Resources, Oklo (Deux projets), Radiant Industries, Terrestrial Energy, Valar Atomics.