Baromètre : les ONG en manque de transparence ?
La Fondation Prometheus publie la sixième édition de son baromètre de transparence des ONG. Pour Bernard Carayon, ancien député et président-fondateur de la Fondation, le constat est amer : les ONG, incarnations revendiquées des aspirations de la société civile, demeurent opaques.
Les ONG sont-elles de plus en plus nombreuses ?
Bernard Carayon – Oui, indéniablement. Mais pour avoir une vue d’ensemble, il faut prendre un spectre large, qui inclue donc les ONG et les associations, fondations ou autres entités privées ayant une activité non principalement marchande, agissant dans un but d’intérêt public. Ne pas considérer un think tank comme une ONG serait à mon sens une erreur.
Leur nombre réel est difficile à évaluer. La branche des Nations Unies dédiée aux ONG souligne que 4 351 de ces organisations sont dotées d’un statut consultatif à l’ONU, et facilite « la participation de plus de 47 000 autres ONG aux activités de l’ONU ».
Sur quelles informations vous appuyez-vous pour évaluer le niveau de transparence des ONG ?
BC – Nous travaillons en sources ouvertes, exclusivement à partir des informations disponibles sur le site Internet des ONG. Il s’agit de la plate-forme de présentation par excellence et tout le monde est ainsi logé à la même enseigne. Nous estimons qu’un internaute désireux de s’informer sur une organisation doit pouvoir avoir accès aux informations la concernant en naviguant sur son site, sans avoir à collecter des éléments épars.
Transparence : la situation a-t-elle évolué ces dernières années ?
BC – L’évolution des notes est la suivante : en 2008, seules 20,4 % des ONG obtenaient la moyenne à notre baromètre, 43 % en 2009, une amélioration en 2010 avec 53,1 %, encore en 2011 avec 53,8 %, un léger recul en 2012-2013 avec 53 %, puis une moyenne générale de 49,5 % pour notre édition 2015-2016. Nous tournons donc toujours globalement autour de 50 %. Par ailleurs, en 2011, nous avions souligné que 57 ONG avaient amélioré leur note depuis 2009.
Depuis notre dernière édition, la bonne volonté des ONG s’est toutefois dégradée : 38 (sur 102) avaient accepté de nous répondre en 2012-2013, contre seulement 20 (sur 106) pour 2015-2016. L’influence croissante des ONG les rendrait-elle dédaigneuses ?
D’où vient ce manque de transparence ?
BC – Pour ne pas généraliser sur des initiatives multiples et de tailles variables, je dirais que ce défaut de transparence provient d’une absence de cadre normatif exigeant le respect d’un certain nombre de critères obligeant les ONG à présenter des informations jugées pertinentes pour le public. Proposons-en quelques-uns : les membres du bureau directeur sont-ils élus ou nominés ? Quel est le montant exact des dons de chaque organisme privé dont bénéficie l’ONG ? Etc.
Il faut ici compléter notre analyse avec une grille de lecture orientée « guerre économique ». Aujourd’hui, les Etats ne peuvent pas s’en prendre directement aux entreprises concurrentes des pays étrangers. Les ONG constituent un relais efficace, et leur réputation de bienfaitrices de l’humanité disqualifie, a priori, toute critique envers elle.
Un exemple : l’attaque contre AREVA au Niger en novembre 2013 par Oxfam, qui dénonçait un « partenariat déséquilibré » entre cette entreprise stratégique française et le pays. Faut-il être clairvoyant pour comprendre l’objectif de cette tentative de déstabilisation, lorsqu’on sait qui, outre Oxfam, y a participé ? L’Open Society de George Soros, en collaboration avec l’initiative « Publiez ce que vous payez » du même Soros, le ROTAB, qui travaille avec l’EITI (Extractive Industries Transparency Initiative), lancée notamment par Tony Blair, Soros et des ONG que finance ce dernier (Global Witness par exemple). L’ONG Survie en fit de même, et elle est également membre de l’EITI.
Quelles sont les conséquences de ce manque de transparence ? L’intérêt général est-il menacé ?
BC – Le manque de transparence laisse le champ libre à toutes les dérives : népotisme, accaparement et discrédit d’une noble cause, risque de fossé entre les aspirations de la vraie société civile et les organisations qui prétendent parler en leur nom mais ne représentent au final qu’elles-mêmes, instrumentalisation des bonnes volontés.
En détournant ces initiatives de leurs buts pour en faire des outils de guerre économique ou de subversion et de manipulation de l’opinion publique, nous ne faisons qu’accroître la défiance, le cynisme et la résignation de nos concitoyens, dont le « tous pourris » habituellement destiné au monde politique s’appliquera progressivement aux ONG.
Il existe bien entendu des ONG transparentes et sincères, d’autres sincères même si pas toujours transparentes, et enfin, nous l’avons vu, nombre d’entre elles qui sont transparentes sur la forme mais avancent masquées sur le fond.
Quelles sont les solutions pour que les ONG soient moins opaques ?
BC – Il n’existe pas de solution miracle ! Je suggère néanmoins quatre pistes : collaboration, observation, transparence et harmonisation des pratiques.
Collaboration : la réflexion et le travail autour de la transparence des ONG ne doit pas se faire contre elles mais au contraire avec elles.
Observation : un observatoire de la transparence des ONG est nécessaire, surtout au regard de leur poids et de leur influence croissants.
Transparence : questionnons les ONG sur le choix de leurs cibles. Cette démarche est d’intérêt public et permettra de démasquer les imposteurs de ce monde foisonnant.
Harmonisation des pratiques : créons des éléments communs aux ONG des différents pays. Exigeons qu’elles publient toutes des rapports d’activités, un détail de leurs financements, les biographies des membres de leur comité directeur et de leur conseil d’administration, pour ne citer quelques exemples.
Transparence : y a-t-il une différence entre les ONG françaises et étrangères ?
BC – Oui et non. Pour notre baromètre, la différence est fondamentale : les ONG françaises sont bien plus nombreuses à nous répondre que les ONG étrangères. Les notes se répartissent néanmoins équitablement entre les pays étudiés (essentiellement la France et les Anglo-Américains). Mais les Etats-Unis, reconnaissons-le, ont un temps d’avance sur nous avec le formulaire IRS (Internal Revenue Service) 990, qui oblige les organisations exemptées d’impôt, comme les organismes caritatifs par exemple (considérés comme des ONG) à déclarer, entre autres, les organisations qu’elles financent ainsi que les dons qu’elles reçoivent. En lien avec notre propos précédent, une même ONG, dans sa section américaine, est plus transparente que ses chapitres internationaux où les règles nationales sont moins contraignantes.
… Et entre les ONG environnementales et les autres ?
BC – La différence entre les ONG environnementales ne tient pas spécifiquement aux questions de transparence de fonctionnement mais, hélas, à des éléments et un passif bien plus troublants, qui mélangent à la fois l’eugénisme et le néo-malthusianisme, pour confiner parfois à l’anti-spécisme. A chacun d’apprécier dans quelle mesure on peut parler de transparence de l’effet final recherché :
Le fondateur du WWF est ainsi Sir Julian Huxley, eugéniste, et parmi les présidents de l’ONG, soulignons la présence notable du Prince Bernhard des Pays-Bas (1962-1976), ancien membre du parti nazi (de 1933 à 1936), ainsi que le prince Philippe, duc d’Edimbourg (1981-1996), qui déclara que s’il devait se réincarner, cela serait sous la forme d’un virus mortel afin de régler le problème de la surpopulation !
Le Sierra Club, qui eut pour directeur exécutif David Brower, fondateur des Amis de la Terre et de la Sierra Club Foundation, un homme aux idées bien peu humanistes : « La maternité [devrait] être un crime contre la société punissable, à moins que les parents disposent d’une autorisation gouvernementale… Tous les parents devraient être obligés d’utiliser des contraceptifs chimiques, le gouvernement donnant des antidotes aux citoyens choisis pour la maternité ». Quant à Dave Foreman, cofondateur d’Earth First ! et ancien directeur du Sierra Club, il préconisait de laisser les pauvres mourir de faim dans leur pays. Enfin, le Sierra Club édita le livre de Paul Ehrlich, La bombe P (P pour population), qui souhaitait mettre des stérilisants temporaires dans les réserves d’eau ou la nourriture et de « stériliser tous les Indiens mâles ayant trois enfants ou plus ».
Malgré cela, les ONG sont considérées comme des acteurs indispensables de la vie publique, encore plus depuis la COP21. Cette position de force ne les incitera pas à davantage de transparence.
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