Avec l’AIEA, la Banque mondiale remet le nucléaire à l’agenda du développement
C’est un virage historique pour l’une des plus puissantes institutions financières du monde. Après des décennies d’exclusion, la Banque mondiale réintègre le nucléaire civil dans sa stratégie de financement. Un partenariat inédit a été conclu en ce sens avec l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) pour accompagner les pays qui font le choix du nucléaire comme levier de développement.
Depuis sa création, la Banque mondiale n’avait soutenu qu’un seul projet nucléaire, en Italie, en 1959. En 2013, elle actait même officiellement l’exclusion du nucléaire de ses investissements. Mais sous l’impulsion de son président Ajay Banga et avec le soutien de Scott Bessent, secrétaire au Trésor américain et principal contributeur de l’institution, ce verrou historique a sauté.
La Banque mondiale a conclu, début juin, un partenariat avec l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) pour soutenir les pays qui choisissent d’inclure l’énergie nucléaire dans leurs stratégies de développement. Dans le cadre de cet accord de partenariat, les deux institutions vont renforcer les capacités, consolider les garanties et partager une expertise technique, tout en aidant la Banque mondiale à « approfondir ses connaissances internes dans des domaines tels que la planification énergétique, les cadres réglementaires, le renouvellement des réacteurs existants et le déploiement de nouvelles technologies comme les petits réacteurs modulaires ».
Un tournant historique pour la Banque mondiale
Le soutien à l’énergie nucléaire a été approuvé par le Conseil d’administration de la Banque mondiale. Cette décision a été prise « dans le cadre d’une approche plus large de l’électrification – une approche qui donne la priorité à l’accessibilité, à l’abordabilité et à la fiabilité (…), explique l’institution. L’objectif est d’aider les pays à fournir l’énergie dont leur population a besoin, tout en leur donnant la flexibilité de choisir la voie qui correspond le mieux à leurs ambitions de développement et à leur contexte national ».
Le président de la Banque mondiale, Ajay Banga, et le directeur général de l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA), Rafael Mariano Grossi, ont signé cet accord à Paris. Ajay Banga a souligné que la consommation moyenne d’électricité par personne dans les pays à revenu élevé était d’environ 50 MWh par an, mais de 4 MWh seulement en Afrique. Constatant que cet écart s’était creusé ces dernières années, il a noté que cela rendait « beaucoup plus difficile la croissance et le développement équitables de notre monde », la demande en électricité dans les pays en développement devant plus que doubler d’ici 2035.
La demande croissante des pays en développement
« Répondre à cette demande nécessitera un investissement annuel dans la production, les réseaux et le stockage passant de 280 milliards aujourd’hui à environ 630 milliards de dollars a estimé Ajay Banga. Il nous faut redoubler d’effort pour connecter 300 millions de personnes en Afrique à l’électricité d’ici 2030 avec la Banque africaine de développement. C’est pourquoi nous avons développé une voie très claire pour faire de l’électricité un moteur de développement ». Le patron de la Banque mondiale pense que le développement exige une base de production stable et fiable à long terme. « Ce qui est nouveau, c’est que pour la première fois depuis des décennies, le Groupe va commencer à réintégrer l’espace de l’énergie nucléaire… C’est une étape importante que nous franchissons avec prudence, mais surtout dans le cadre d’un partenariat et fort d’une intention ».
Les trois domaines prioritaires de la Banque mondiale sont, premièrement, de renforcer la capacité de la Banque mondiale à conseiller les pays sur les garanties de non-prolifération, la sûreté, la sécurité et les cadres réglementaires. Le deuxième domaine consiste à envisager une prolongation de la durée de vie des réacteurs existants, « l’un des moyens les plus rentables » de produire de l’électricité. Troisième domaine : les petits réacteurs modulaires, pour voir si, avec le temps, ils peuvent devenir une option plus viable pour davantage de pays.
Ajay Banga l’assure : « La Banque mondiale ne peut pas faire cela seul, et c’est pourquoi le partenariat avec l’AIEA est essentiel pour nous. Il marque une première étape très concrète dans notre retour à l’énergie nucléaire. L’AIEA nous aidera à renforcer nos capacités internes dans un large éventail de sujets, la planification énergétique, le cycle de vie des projets, la gestion du combustible, l’élimination des déchets et l’infrastructure technique nécessaire à la réussite. Cette approche coordonnée approfondira notre compréhension de la place que peut occuper l’énergie nucléaire de manière responsable et donnera à nos clients l’accès aux conseils et au soutien dont ils ont besoin pour suivre cette voie s’ils choisissent de le faire ».
Un signal clair pour les institutions financières internationales
Rafael Grossi a salué le travail du président de la Banque mondiale, en notant que pendant de très nombreuses années, le discours ambiant affirmait que cela n’était pas possible. L’industrie nucléaire se heurtait à un mur de l’investissement dans le nucléaire qui n’était pas pris en compte par les institutions financières internationales. « Dans mes innombrables séries de conversations dans de nombreuses régions du monde, rapporte Rafael Grossi, lorsque j’approchais des banques, des banques régionales et des financiers, ils se référaient à la position de la Banque mondiale. Le grand problème que nous avions était le manque de financement – le fait que de nombreux pays en développement, et même certains autres dans les économies industrialisées, avaient besoin d’un soutien financier. Ils savent désormais qu’ils peuvent parler à la Banque mondiale. Ils peuvent expliquer ce qu’ils veulent faire dans différents domaines, commencer par les prolongations de durée de vie des réacteurs existants, mais aussi réaliser des études de faisabilité, examiner des projets concrets, en évaluer la faisabilité ».