1. « Un modèle unique dans un parc standardisé » - Sfen

1. « Un modèle unique dans un parc standardisé »

Publié le 10 février 2025 - Mis à jour le 20 février 2025

À l’automne dernier, Étienne Dutheil, directeur de la Division production nucléaire chez EDF, est revenu pour la Sfen sur la singularité de l’EPR de Flamanville 3, mis en service le 2 septembre 2024 et raccordé au réseau le 21 décembre 2024 : parvenir à s’intégrer comme nouveau réacteur destiné à demeurer unique dans un vaste parc nucléaire français standardisé.

« Flamanville 3 constitue la première nouvelle tranche intégrée sur le parc nucléaire français depuis 25 ans. C’est un événement extrêmement positif, attendu par beaucoup. C’est une chance extraordinaire pour nous tous de le vivre. Exploiter un nouveau réacteur au sein d’un parc nucléaire en activité représente beaucoup de travail et c’est surtout un challenge. Un challenge que nous aimons relever chez EDF, au même titre que travailler sur la prolongation de la durée de fonctionnement du parc existant.

L’EPR de Flamanville 3 dispose d’un procédé d’exploitation très similaire à celui des réacteurs à eau pressurisée exploités sur le parc. En revanche, il représente une évolution technologique majeure, qui repose plus particulièrement sur deux points. Le premier correspond à l’automatisation extrêmement poussée du pilotage. Le degré très élaboré du contrôle-commande, des régulations et de l’interface homme-machine de l’EPR tranche avec ce que nous connaissons sur le parc existant et transforme profondément l’action des équipes chargées du pilotage du réacteur. Cette partie de l’évolution est flagrante, en particulier lors de l’utilisation du simulateur pour observer quelques grands transitoires du réacteur.

Le second point touche aux objectifs de sûreté, extrêmement ambitieux, fixés pour l’EPR dès sa conception. Ces derniers ont d’ailleurs conduit à réévaluer les standards pour les réexamens périodiques des réacteurs existants.  Ainsi, l’EPR intègre en moyenne 1,7 fois plus de matériel qu’un réacteur du palier N4, même si cela varie en fonction des familles d’équipements. Il compte des dispositifs de sûreté totalement inédits, tels que le two-rooms concept1, le récupérateur de corium et la disposition de la piscine dans le bâtiment du réacteur.

Ayant été construit plusieurs décennies après les autres, l’EPR intègre au demeurant des équipements qui ne sont pas les mêmes pour une même fonctionnalité que ceux que nous pouvons connaître sur le parc historique.

Et puis, exploiter un réacteur, ce n’est pas seulement exploiter un design. C’est aussi et surtout appliquer les règles d’exploitation qui lui sont attachées. De ce point de vue, Flamanville 3 se distingue du parc en activité puisque les objectifs de sûreté, plus ambitieux, conduisent à avoir des spécifications techniques d’exploitation dont le périmètre est beaucoup plus vaste que les autres réacteurs. Cela conduit à l’élaboration d’un véritable langage spécifique à l’EPR, que l’on doit apprendre et parler couramment. Les opérateurs accoutumés à l’exploitation des réacteurs 900 MW, 1 300 MW ou des N4 doivent aussi se familiariser avec ce nouveau langage.

Un palier à lui seul

Pour résumer, ce réacteur est en fait un modèle unique dans un parc standardisé. En intégrant Flamanville 3, nous intégrons non seulement un nouveau réacteur, mais nous intégrons aussi un nouveau palier à lui tout seul. Véritable enjeu : la gestion du parc, avec les différents paliers, est en effet fondée sur sa standardisation et sur la mutualisation par l’exploitation de l’effet palier. Cette dernière a d’ailleurs été poussée encore plus loin ces dernières années avec davantage de standardisation. Cette philosophie d’exploitation du parc doit être remise en cause dans le cas de Flamanville 3. Nous avons donc à réussir une double mission : donner à Flamanville 3 les moyens d’être autonome dès que cela rend les activités plus efficaces, tout en l’intégrant le plus possible au sein du parc nucléaire d’EDF.

La ligne de partage entre son autonomie et son intégration est en fait assez simple. Elle est avant tout liée aux compétences des personnels. Une analyse très fine a été réalisée sur le site de l’EPR pour identifier tout ce qui était mutualisable de ce point de vue. Par exemple, les pompes primaires de Flamanville 3 étant extrêmement similaires à celles en exploitation sur les réacteurs N4, il est légitime que l’expertise de notre centre de support s’applique également à Flamanville 3. En revanche, pour ce qui est spécifique à l’EPR, il est justifié que l’expertise se positionne au niveau du site. C’est en particulier le cas pour ce qui concerne le contrôle-commande.

Évolution de la stratégie industrielle 

Cette intégration au cordeau a également pour conséquence de faire évoluer la stratégie industrielle, en particulier au sujet de la relation avec les partenaires externes. La pratique habituelle sur le parc consiste à élaborer des marchés par zone géographique et de renouveler ces marchés par plaque. Si ce principe de renouvellement régulier de marchés à l’échelle géographique était exécuté de la même façon pour l’EPR, les partenaires primo-intervenants devraient réapprendre à chaque fois le langage EPR ou la connaissance de ces matériels. Ainsi la logique de spécificité des compétences a permis de revoir la relation avec les partenaires et de mettre en place des contractualisations appropriées au site, en lien avec la stratégie industrielle d’EDF.

Dans le domaine de la gestion de crise et sur les processus d’instruction des modifications temporaires, Flamanville 3 est pleinement intégré au parc. Des compétences intégralement dédiées à l’EPR ont été créées, de manière à pouvoir lui offrir le même service que celui fournit aux autres sites. C’est également le cas de l’approvisionnement en pièces de rechange, dont la charge est assurée par une unité nationale. Elle met en oeuvre les mêmes processus d’approvisionnement que pour le reste du parc, mais des équipes, qui connaissent plus particulièrement le matériel de Flamanville 3, lui sont spécifiquement dédiées.

Ce réacteur, bien qu’unique dans la flotte d’EDF, n’est pas le seul de son espèce puisqu’il en existe déjà plusieurs en activité à l’international. C’est pourquoi, dans une démarche constante de partage d’expérience, commune à tous les exploitants de centrales nucléaires, Flamanville 3 s’appuie naturellement sur les retours d’expérience des EPR de Taishan en Chine et d’Olkiluoto 3 (OL 3) en Finlande. Plus tard, Hinkley Point C (HPC) viendra s’ajouter à cette liste. Ce soutien technique s’est d’abord opéré grâce à l’appui fourni par les équipes de Flamanville 3 pour le démarrage d’OL 3 et de Taishan. Les échanges doivent maintenant être maintenus, de manière à ce que Flamanville 3 puisse partager le plus largement possible avec les autres EPR en service dans le monde et inversement. Il faut toutefois garder à l’esprit que les règles d’exploitation propres à Flamanville 3 ne sont pas les mêmes que celles des autres exploitants internationaux. C’est un point qui peut induire des différences assez profondes, mais qui n’empêche évidemment pas le partage d’informations, notamment en ce qui concerne le comportement des matériels. »


1. Ce concept est une innovation propre à l’EPR qui permet de réaliser des activités de maintenance réacteur en fonctionnement, améliorant ainsi la disponibilité et donc la productivité de l’installation.

Photo I Salle des machines de l’EPR de Flamanville.

© EDF / AlainMorvan