4. Nucléaire et sûreté : tour d’horizon de différentes approches à travers le monde - Sfen

4. Nucléaire et sûreté : tour d’horizon de différentes approches à travers le monde

Publié le 24 janvier 2023

Les services nucléaires des ambassades de France au Royaume-Uni, aux États-Unis et en Chine font le point sur l’organisation de la sûreté et l’approche retenue pour aborder de nouveaux sujets comme l’arrivée des petits réacteurs modulaires (SMR) et de technologie avancée (AMR) ou encore l’exploitation des réacteurs au-delà de 40 ans.

Royaume-Uni : un cadre régulatoire qui sait s’adapter

Le Royaume-Uni a mis en place son système actuel de régulation au début des années 2010. Il s’agissait alors d’établir un système stable et prédictif destiné à donner confiance aux porteurs de projets que le gouvernement britannique voulait attirer pour relancer la construction de nouvelles centrales nucléaires.

L’Office for Nuclear Regulation (ONR) a été créé en 2011. Le gouvernement lui a donné un statut véritablement indépendant le 1er avril 2014 à l’issue de l’Energy Act 2013. L’ONR relève du Department for Work and Pensions et travaille en collaboration avec le Department for Business, Energy and Industrial Strategy (BEIS). Il est responsable de la régulation en matière de sûreté et sécurité de 35 sites nucléaires civils ainsi que des transports afférents. En outre, dans le cadre du Brexit et donc de la sortie d’Euratom, l’ONR est désormais en charge de la mise en oeuvre du nouveau régime des garanties nucléaires (Nuclear Safeguards Act 2018).

La stratégie de l’ONR est évolutive et se base sur le retour d’expérience. Elle est réévaluée tous les quatre ans dans le cadre de la rédaction d’un plan stratégique dont le dernier couvre la période 2020-2025. Centré sur le concept d’Enabling Regulation, il promeut des améliorations proportionnées, créant une relation de confiance avec les parties prenantes, dans une culture d’excellence et une  modernisation de la façon de travailler. Pour ce faire, il s’appuie sur un outil important, le Generic Design Assessment (GDA), créé dans la foulée de l’Energy Review de 2016. C’est une procédure d’évaluation générique par étapes pour tout nouveau design d’un réacteur. Il permet l’identification et la résolution de points-clés en termes de sécurité, sûreté et protection de l’environnement avant de commencer les travaux de construction d’une nouvelle centrale. Il n’est pas formellement obligatoire, mais est exigé à présent pour toute validation de nouvelle centrale nucléaire construite au Royaume-Uni, ce qui revient au même dans les faits. À l’issue de la procédure (si le résultat de l’examen est satisfaisant), une double certification par l’ONR et l’Environmental Agency est émise. C’est le cas à ce jour pour les réacteurs EPR, AP1000, ABWR et HPR1000.

Depuis 2018, le GDA est composé de trois étapes distinctes (quatre auparavant). Cette nouvelle procédure se base sur le retour d’expérience des précédents GDA. L’évaluation est dorénavant plus flexible, permettant au porteur de projet de demander une pause entre les étapes, et de réaliser à la fin de chaque phase un rapport intermédiaire permettant de faire le point sur le processus. Cette évolution permet à des réacteurs tels que les SMR et AMR de lancer plus facilement leur procédure de GDA. Pour l’instant, seul le projet de SMR de Rolls-Royce est en cours d’examen depuis avril 2022. Le BEIS a attribué un soutien financier de 8 millions de livres sterling pour aider l’ONR à développer ses compétences en matière de SMR/AMR.

Les AGR (Advanced Gas-cooled Reactor) du parc nucléaire britannique ont déjà vu leur durée de vie étendue, ce qui a fait l’objet d’une discussion au cas par cas entre l’exploitant et l’ONR, du fait de la technologie spécifique (modérateur graphite). Pour le réacteur à eau pressurisée de Sizewell B, une étude est en cours par EDF Energy pour sa prolongation éventuelle jusqu’en 2055 au moins. Les futurs réacteurs EPR d’Hinkley Point C et de Sizewell C ont quant à eux été conçus pour fonctionner durant 60 ans, avec une possibilité de prolongement.

Les évolutions de la sûreté nucléaire aux États-Unis 

Aux États-Unis, la sûreté nucléaire a évolué en fonction de quelques événements-clés, dont la loi sur l’énergie atomique de 1954 qui a marqué la transition depuis un régime élargi vers le secteur industriel privé d’une situation de monopole des autorités fédérales en matière de production et d’utilisation à des fins civiles des matières nucléaires. Autre événement, la loi de 1974, créant la Nuclear Regulatory Commission (NRC), en remplacement de l’Atomic Energy Commission (AEC), à qui reviennent les missions de contrôle de la sûreté nucléaire et de la radioprotection dans le domaine civil. Enfin, le Department of Energy (DoE), Département de l’administration fédérale américaine, créé en 1977, se voit chargé de la politique énergétique nationale et de la sûreté nucléaire des installations qu’il exploite, en particulier de celle des sites nucléaires qu’abritent ses laboratoires nationaux. La NRC est une agence fédérale. Pour mémoire, en cas de dispositions non régies par les autorités fédérales, les États  disposent de prérogatives, qui ne doivent cependant pas contrevenir à la réglementation fédérale.

La NRC contrôle la qualité et la sûreté en exploitation du parc nucléaire national en délivrant des autorisations de construction et d’exploitation, et en menant des inspections, s’appuyant notamment sur la présence d’inspecteurs basés sur le site des centrales. Pour un réacteur nucléaire, une licence d’exploitation est accordée pour 40 ans, prolongeable par tranche de 20 ans. Cette approche se différencie du mécanisme français de réexamen périodique. Le référentiel utilisé pour l’octroi d’une licence de prolongation de la durée de vie d’une installation correspond au cadre réglementaire en vigueur au moment de sa construction. Pour autant, l’exploitant doit attester, au moment de la demande de licence, du bon état des principales structures et des composants les plus importants de son installation. Il doit aussi démontrer qu’il maîtrise les phénomènes de vieillissement pendant la durée de prolongation des composants non remplaçables, tels que la cuve des réacteurs. Alors qu’en France, la prolongation de  l’exploitation des centrales s’appuie tous les dix ans sur un réexamen périodique de sûreté au sein duquel le volet de réévaluation de sûreté joue un rôle majeur, la situation est tout autre aux États-Unis. Ces derniers ne suivent pas, ou en tous les cas pas dans la même ampleur ni profondeur, de démarche d’évaluation permanente de sûreté. À ce jour, 79 réacteurs sont autorisés à fonctionner pendant 60 ans, et 6 pendant 80 ans.

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. Royaume-Uni : un cadre régulatoire qui sait s’adapter, par Pierre-Yves Cordier, conseiller nucléaire à l’ambassade de France au Royaume-Uni et Nicolas Godard, conseiller nucléaire adjoint
. Les évolutions de la sûreté nucléaire aux États-Unis, par Sunil Félix, conseiller nucléaire à l’ambassade de France à Washington
. Les orientations de la sûreté nucléaire en Chine, par Sully Crèvecoeur, Kai Luo et Tony d’Aletto, pour le service nucléaire de l’ambassade de France en Chine

Photo Légende I Salle de contrôle de l’unité 5 de Fuqing lors des essais à froid, Chine, 2019. © XINHUA Xinhua, 2019