3/9 – Nucléaire spatial : besoins, contraintes et acceptation sociétale - Sfen

3/9 – Nucléaire spatial : besoins, contraintes et acceptation sociétale

Publié le 9 mars 2020 - Mis à jour le 28 septembre 2021
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Le nucléaire spatial intervient dans de multiples domaines, allant des missions d’exploration scientifique dans ou au-delà du système solaire, à des programmes de plus grande envergure visant des vols habités vers la Lune ou vers Mars. Cette large palette d’interventions va conduire à des applications extrêmement variées de la technologie nucléaire :

fusées de transport, alimentation des stations orbitales, des systèmes d’exploration, des bases lunaires et/ou martiennes et des véhicules de circulation sur ces planètes.

Le spatial et son acceptation sociétale

Les activités d’exploration scientifique débutent avec l’élaboration initiale de programmes de recherche, souvent en collaboration internationale. Elles peuvent conduire soit à des mesures, lorsque les sondes passent au plus près des planètes concernées, soit au débarquement de robots chargés d’effectuer des mesures en local ou même des prélèvements pour un retour ultérieur sur Terre. Ces activités menées par le monde scientifique bénéficient d’une bonne acceptation sociétale tandis que leur planning à long terme reste assez prévisible.

Par contre, les vols habités qui demandent des moyens supérieurs sont décidés pour des raisons politiques et disposent alors de budgétisations plus aléatoires. La relance par l’Administration du président américain Donald Trump d’un programme de vols habités vers Mars a conduit récemment à une floraison de projets de stations orbitales, de bases lunaires et martiennes. Il faut noter que suivant les budgets investis, l’acceptation sociétale est moins assurée, certains pouvant estimer que ces budgets seraient mieux utilisés sur Terre. Une argumentation forte est développée dans ces domaines pour expliquer les retours d’expérience importants des activités spatiales dans la vie de tous les jours du citoyen, comme par exemple la R&D effectuée pour réduire les consommations d’énergie dans l’espace.

Des projets à l’étude en 2020

Le 11 décembre 2017, Donald Trump a signé une Space Policy Directive [1], visant à renvoyer des astronautes américains sur la Lune afin de préparer une mission vers Mars. Aucun homme n’est retourné sur la Lune depuis le 11 décembre 1972, lors de la mission Apollo 17. Le président des États- Unis a demandé à l’Agence spatiale américaine, la NASA, d’accentuer ses efforts sur les missions habitées vers l’espace lointain, une priorité qui rassemble des élus des deux bords, démocrates comme républicains. Les États-Unis souhaiteraient établir sur la Lune une base de lancement pour des explorations plus lointaines, notamment vers Mars. L’eau, l’oxygène et l’hydrogène liquide produits à partir de la glace située dans les cratères des pôles lunaires pourraient servir à la fabrication du carburant des fusées utilisées pour voyager vers Mars. Ce programme qui vise à retourner sur la Lune en 2024, baptisé Artemis, sera doté d’un lanceur en cours de développement à la NASA. Cette relance par l’administration Trump d’un programme spatial habité a provoqué en retour des annonces émanant de la Russie, de la Chine et de l’Inde sur des programmes spatiaux à venir. 


Les activités des bases lunaire ou martienne demanderaient des puissances importantes et… pilotables


Dans la pratique, le projet de budget met l’accent sur l’exploration humaine et nécessite la collaboration entre la NASA et l’industrie spatiale commerciale, mais sans augmentation importante du budget de la NASA et parfois au détriment d’autres programmes scientifiques, purement et simplement supprimés. Des discussions sont en cours pour une possible collaboration internationale en particulier pour une station orbitale autour de la Lune (la Gateway). L’Europe, via l’Agence spatiale européenne (ESA), a annoncé des études sur une mission lunaire robotisée Heracles, en interaction avec le projet de plateforme orbitale Gateway. Cette mission commencerait avec un lancement à bord d’Ariane 6 d’Heracles pour une insertion finale dans l’orbite lunaire. Après l’alunissage, un rover serait déployé sur le sol lunaire. Sa première tâche consisterait à prélever des échantillons puis à revenir vers l’alunisseur, qui transfèrerait les échantillons à l’étage d’ascension qui décollerait vers la Gateway. À la Gateway, le bras robotique (canadien) transférerait les échantillons à l’intérieur ; des échantillons rapportés sur Terre via la navette Orion. Pendant ce temps, le rover continuerait à sillonner la surface lunaire pour une année supplémentaire.

Quelles contraintes ?

Toutes ces activités ont des besoins énergétiques très variables en puissance et en mode d’utilisation. Le décollage demande des énergies très importantes sur des temps courts, alors que la propulsion dans l’espace ne nécessite que des poussées continues. L’instrumentation et le fonctionnement des appareils réclament, quant à eux, une puissance électrique faible mais stable et sur une longue durée. Concernant les activités des bases lunaire ou martienne, elles demanderaient des puissances importantes et…pilotables.

La première contrainte est bien sûr le poids. Pas seulement à cause du coût, mais également à cause des limites du lanceur. Au-delà de sa charge utile, il faudra envoyer le système de fournisseur d’énergie en plusieurs parties séparées, à assembler dans l’espace, ce qui n’est pas toujours simple. La deuxième contrainte est la fiabilité des appareils, sans besoin de maintenance important. Les possibilités de maintenance, de réparation ou de rechargement sont très limitées, voire impossibles dans la plupart des cas. Des systèmes robustes à grande fiabilité de fonctionnement sont donc nécessaires.


Seuls les systèmes nucléaires semblent répondre aux besoins en durée, puissance et pilotabilité


La troisième contrainte est la durée de fonctionnement. Pour des missions de longue durée, des fonctionnements de plusieurs années sont souhaités, jusqu’à 40 ans pour certaines missions.

Pour les systèmes nucléaires, s’ajoutent des contraintes en termes de gestion du risque de retombée au lancement et de dispersion potentielle de matières nucléaires. Des incidents de ce type sont déjà survenus en Russie et aux États-Unis. La gestion de ce risque a conduit au développement dans ces deux pays de procédures qui ont permis la gestion du risque et l’acceptation des tirs par les autorités en charge. Pour les Européens, ces procédures restent à développer au niveau de la base de Kourou en Guyane qui n’a encore jamais envoyé de systèmes nucléarisés dans l’espace.

Quels modes de production d’énergie en présence ?

L’énergie chimique semble réservée au décollage des fusées depuis la Terre. Son emploi ultérieur ne semble pas compétitif en termes de poids et de renouvellement. L’énergie solaire a de gros atouts en basse altitude, en orbite stationnaire et dans le système solaire, à proximité du Soleil. De gros progrès ont été effectués au niveau du coût et de la fiabilité de ces systèmes de production. Par contre, une fois sur la Lune, avec des nuits lunaires de 14 jours terrestres, et a fortiori sur Mars avec les tempêtes de sable fréquentes, l’emploi de l’énergie solaire est beaucoup moins aisé et compétitif qu’en orbite. De plus, les consommations d’énergie sur ces bases seront très importantes et sont souvent sous-estimées : il faut chauffer la base, éclairer, alimenter les rovers, alimenter les outils de forage/extraction miniers, alimenter les outils d’électrolyse éventuels, etc. Dans ce contexte, seuls les systèmes nucléaires semblent répondre aux besoins en durée, puissance et pilotabilité. De même pour les voyages d’exploration de grande distance, éloignés du Soleil, seule la propulsion avec une alimentation électrique nucléaire semble capable de répondre aux spécifications requises.

Le nucléaire, oui, mais pour quels systèmes ?

Pour des puissances inférieures au KWe, on utilise des systèmes à base de plutonium ou d’américium, produisant soit simplement de la chaleur (RHU) soit de l’électricité par une combinaison de thermocouples reliant cette source chaude et le point froid externe (RTG). Cette technique sera essentiellement associée à des petites plateformes, de l’instrumentation ou de la communication, et pour des explorations longues et très lointaines. Pour des puissances nécessitant jusqu’au MWe, on fera appel à des réacteurs utilisant la fission nucléaire. On parle là des vols habités, des explorations lointaines, des stations au sol, des transports de charges utiles, etc. Des systèmes adaptés permettent alors de produire l’électricité à partir d’une source chaude. Pour des puissances encore supérieures, c’est-à-dire dans le cas de réacteurs à propulsion thermique, des réacteurs spécifiques de forte puissance ont déjà été conçus et testés.

En quelques mots

L’énergie solaire est concurrentielle et opérationnelle pour répondre aux besoins des vols et des mises en orbite proches de la Terre ou du Soleil. Cependant, à cause des contraintes spécifiques à l’espace, l’énergie nucléaire semble actuellement indispensable pour répondre aux besoins énergétiques des vols habités et au fonctionnement de bases lunaires ou martiennes. Elle l’est également pour les voyages longue distance s’éloignant du Soleil. Ces mêmes contraintes conduisent à la nécessité de développements de systèmes nucléaires très spécifiques, axés sur des rapports poids/puissance les plus faibles possibles et sur des systèmes simples et robustes, à très bonne fiabilité. De plus ces systèmes nucléaires doivent répondre à la gestion du risque de retombée au lancement.

 

 


Directive sur la politique spatiale

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Par Joël Guidez, responsable scientifique de la veille multifilière au sein de la Direction de l’énergie nucléaire du CEA – Photo : © NASA – Projection du rover de la NASA qui partira sur Mars à l’été 2020 © NASA

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