2. Corrosion sous contrainte, retour sur une année inédite
Fin 2021, EDF découvrait une anomalie inattendue sur certains réacteurs du parc. En un temps record, grâce à une mobilisation technique massive, les experts ont su caractériser le phénomène de corrosion sous contrainte, en définir l’origine, proposer et mettre en oeuvre un moyen de réparation et développer un outil de contrôle non destructif adapté.
Lors des contrôles réalisés pendant la visite décennale du réacteur Civaux 1, en décembre 2021, EDF a détecté un signal atypique sur le circuit d’injection de sécurité (RIS), directement relié au circuit primaire. Les opérateurs de contrôle par ultrasons étaient à la recherche de fatigue thermique mais ont fait face à une indication différente. Après découpe du tronçon de tuyauterie, l’expertise métallurgique en « laboratoire chaud » révèle qu’il s’agit de corrosion sous contrainte (CSC). Ce phénomène, non attendu dans ce matériau et dans cette zone, était très difficile à repérer avec les moyens de contrôles non destructifs disponibles alors. Ce premier défaut consistait en une fissure de 5 à 6 mm de profondeur sur toute la circonférence du tuyau, à proximité d’une soudure. Les fissures détectées ensuite seront pour la plupart plus modestes. Un tel phénomène de CSC de ce type de matériau (un acier inox) est très rare dans les REP et n’était pas attendu dans cette zone. S’il avait par exemple été observé une fois dans les années 1980 dans un réacteur de Bugey, il était alors lié à un phénomène de pollution chimique. Une autre occurrence avait été observée sur un réacteur japonais. Il est en revanche beaucoup plus classique dans les réacteurs à eau bouillante, dont la chimie du circuit primaire est plus agressive.
Par sécurité, la relecture des contrôles réalisés à un précédent arrêt de Chooz B1 et B2 ayant révélé des signaux de même type, EDF a mis à l’arrêt ces deux réacteurs. Au total, EDF met ou garde à l’arrêt douze réacteurs de différents paliers au coeur de l’hiver 2021-2022 et des portions de leurs tuyauteries sont découpées pour expertise (les méthodes de contrôles non destructifs disponibles ne permettaient pas de caractériser ce type de défauts). EDF découvre qu’il s’agit d’un problème générique sur les réacteurs des paliers N4 et P’4. Plus de 115 soudures et 230 échantillons sont expertisés. Il a été mis en évidence que « les réacteurs 900 MW et P4 sont peu ou très peu sensibles au phénomène CSC » et qu’en revanche, « les réacteurs P’4 ou N4 sont sensibles à la CSC ».
Un phénomène probablement lié au design des tuyauteries
La CSC est une fissuration progressive, qui suppose la conjonction de trois facteurs : un matériau qui y est sensible, un fluide et une sollicitation mécanique de traction. L’inox en question n’y est normalement pas sensible dans le fluide primaire des REP, à moins qu’il n’ait subi un écrouissage (déformation qui en accroît la dureté) en fabrication, dans le cas présent lors du soudage. Les contraintes mécaniques, pour leur part, proviendraient d’un phénomène de stratification thermique dans ces tuyauteries reliées au circuit primaire (« bras morts »). EDF estime que « la géométrie des lignes RIS est le facteur principal expliquant la CSC », car elle détermine l’ampleur et la localisation de vortex et de stratifications thermiques. Il ne s’agit pas à proprement parler d’une question de vieillissement (par exemple, la corrosion sous contrainte de l’inconel 600 des générateurs de vapeur, apparue dans les années quatre-vingt, était considérée comme un « défaut de jeunesse »).
Au final, 16 réacteurs (les douze réacteurs P’4 et les quatre N4) ont été définis comme prioritaires par EDF. Le programme de surveillance et la méthode de réparation proposés par l’opérateur ont été validés par l’ASN durant l’été 2022. Les équipes d’EDF ont également développé un moyen de contrôle apte à détecter et caractériser cette CSC sans déposer les tuyaux systématiquement : « Il a fallu développer une nouvelle technique de contrôle par ultrasons qui est une véritable prouesse. Elle n’est pas encore parfaite, mais on espère pouvoir en profiter pleinement l’année prochaine », a expliqué Cédric Lewandowski, directeur du parc nucléaire et thermique, devant l’Opecst début novembre dernier.
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