1. Réexamen périodique des 50 ans : assurer une cohérence inter-paliers - Sfen

1. Réexamen périodique des 50 ans : assurer une cohérence inter-paliers

Publié le 26 août 2025 - Mis à jour le 29 août 2025

La 5e visite décennale des réacteurs de 900 MWe s’inscrit dans une trajectoire cohérente de long terme, allant des 40 aux 60 ans de fonctionnement. Elle est centrée sur le changement climatique, la conformité et le vieillissement des installations et ne marque pas un nouveau saut de sûreté by design. De ce point de vue, le 5e réexamen est une consolidation de la VD4.

On ne peut pas parler du 5e réexamen périodique des réacteurs de 900 MWe – donc du réexamen des 50 ans – sans le replacer dans une trajectoire d’ensemble. Il y a désormais une mise en perspective de la prolongation de la durée de vie du parc. Ce qu’on a fait aux 40 ans, ce qu’on prévoit pour les 50 ans, et au-delà des 60, s’inscrit dans une véritable continuité pour EDF.

Aux 40 ans des 900 MW, nous avons parlé d’un saut de sûreté majeure. Ce n’était pas exagéré ! De manière générale, nous avons l’habitude de structurer ce réexamen autour de quatre grands axes de risques. Les accidents graves avec fusion ; les accidents sans fusion ; la sûreté des piscines de combustible ; et les agressions extérieures. Nous avons donc introduit un saut de sûreté by design important. Pour chacun de ces sujets, nous avons mis en oeuvre des solutions techniques qui nous permettent d’atteindre des objectifs de sûreté significatifs, proches des standards des réacteurs de Gen III tels que l’EPR. Quelques exemples : pour les accidents sans fusion, l’objectif est de limiter autant que possible les mesures de protection des populations, avec pour effet une réduction d’un facteur 10 des conséquences radiologiques. Pour les accidents avec fusion, il s’agit d’éviter tout rejet précoce dans l’environnement, ce qui implique la mise en place d’un récupérateur de corium, un renforcement du radier et l’installation de dispositifs dans le périmètre du noyau dur afin d’éviter des effets irréversibles sur l’environnement. S’agissant des piscines, on applique désormais des règles de type PCC-EPR (Plant Condition Category EPR), qui sont des exigences de conception très robustes. Sur ce dernier point, le travail continue.

Nous en arrivons maintenant à la perspective des 50 ans. Étant donné les évolutions déjà réalisées à 40 ans, il ne s’agit pas, à 50 ans, d’introduire un nouveau saut by design massif. En effet, pour l’exploitant, le saut des 40 ans implique déjà d’intégrer et de s’approprier une installation et des exigences qui marquent une rupture significative avec celles des 40 premières années d’exploitation. Ainsi, dès le début des travaux des 40 ans, notamment à la centrale de Tricastin dès 2019, l’essentiel des référentiels prescriptifs, en situation de fonctionnement normale ou accidentelle, ont été revus.

2 000 nouveaux équipements par an et par réacteur

Au cours des dix dernières années, EDF a intégré en moyenne plus de 2 000 équipements élémentaires par an et par réacteur, notamment en réponse aux agressions. Une installation post 40 ans n’ayant plus le même référentiel d’exploitation, les équipes doivent s’approprier ces évolutions tout en continuant à exploiter et produire. Il n’est pas envisageable de faire fonctionner ces installations avec des difficultés d’exploitation liées à un défaut de maîtrise des référentiels ou des nouveaux équipements.

Après l’exigence de design, il y a une exigence de maîtrise industrielle des installations. Globalement, la complexité des installations et des référentiels s’accroît sensiblement au passage des 40 ans. Il existe donc un enjeu majeur d’ordre organisationnel et humain, très intimement lié aux compétences. Cela concerne l’exploitant, mais aussi les inspecteurs de l’ASNR et tous les industriels de la filière. À ce jour, sur les réacteurs de 900 MWe, 23 tranches sont engagées dans ce processus – 22 achevées et une en cours sur les phases A. Nous entrons maintenant dans les phases B, soit le deuxième train de modifications des 40 ans. Là encore, les opérations se déroulent bien.

Stabilité et environnement

Aux 50 ans, l’enjeu est donc d’assurer une stabilité sur le plan de la sûreté by design. Mais attention : cette stabilité n’exclut pas une ambition forte sur des sujets comme la conformité, le maintien de la qualification en conditions accidentelles, ou les effets du vieillissement. Certes, de nombreux nouveaux équipements ont été installés à 40 ans, mais tous les autres continuent à évoluer dans leurs programmes de maintenance. Et nous introduisons désormais, dans la logique du réexamen, un nouveau volet concernant les enjeux environnementaux.

Autrement dit, nous allons appliquer au domaine de la protection de l’environnement une logique que nous réservions auparavant aux domaines de la sûreté. C’est un changement d’approche qui s’explique notamment par l’intégration des effets du changement climatique : maîtrise de la ressource en eau, protection des cours d’eau, préservation de la biodiversité, etc. Avec le DOR (Document d’orientation du réexamen) du RP5-900, un deuxième pilier est ainsi introduit, complémentaire du premier relatif à la sûreté, et consacré aux inconvénients [enjeux sanitaires et environnementaux, ndr].

La conformité passe à un pilotage pluriannuel

Ce réexamen des 50 ans vise également à faire évoluer nos méthodes de travail sur la conformité. Jusqu’ici, il s’agissait d’appliquer nos programmes standards de maintenance et d’exploitation, en réalisant un zoom périodique lors de la visite décennale. Désormais nous passons à une logique de programmes pluriannuels de maîtrise de la conformité, réalisés en continu.

La conformité devient donc un travail continu adossé aux référentiels d’exploitation, avec des actions ciblées entamées plusieurs années avant l’échéance du réexamen. On sélectionne les systèmes à contrôler, on réalise des bilans intermédiaires, et on multiplie les visites de terrain avec une approche spécifique. L’objectif est d’assurer le maintien de la conformité dans le temps, et non plus de simplement corriger les écarts au moment du réexamen. Cette nouvelle méthode, objet d’une expertise de l’ASNR, marque un changement profond.

Sur la qualification, rien de nouveau. En revanche, sur la question du vieillissement, quelques précisions sont à apporter.  Pour le RP5, nous intégrons le retour d’expérience lié à l’épisode de corrosion sous contrainte (CSC) de 2021-2022. À ce titre, la CSC fait évoluer le contenu du Programme d’investigations complémentaires (PIC) auquel s’adosse la démarche traditionnelle de surveillance du vieillissement. En RP5, les programmes de prélèvements pour expertises sont notablement augmentés. Le vieillissement implique en effet d’extraire certains équipements pour les expertiser mécaniquement ou électriquement et vérifier la capacité à conserver les exigences de qualification.

On parle ainsi de prolongation d’environ 20 ans pour les matériels mécaniques et de 10 ans pour les matériels électriques. En parallèle, le programme PIC explore les zones où aucun vieillissement n’est attendu, afin de s’assurer qu’aucune surprise n’émerge – ou à l’inverse, afin de repérer des zones sentinelles où pourraient se combiner plusieurs mécanismes de dégradation. Ce programme marque une évolution importante tirée du retour d’expérience sur la CSC.

Sur la figure ci-dessus, la première courbe traduit une décroissance liée à l’arrêt définitif des réacteurs. La différence entre cette courbe et la suivante dépend de la performance et de la cohérence de l’instruction des passages de 40 à 50 ans, puis de 50 à 60 ans, pour ouvrir la voie à la DDF (Durée de fonctionnement).

Vers une cohérence inter-paliers

Autrement dit, pour passer d’une courbe à l’autre sur la figure ci-dessus [les différentes échéances de poursuite de fonctionnement, ndr], il faut que ce que nous avons réalisé à 40 ans, la manière dont nous instruisons aujourd’hui le passage à 50 ans, ainsi que les projections associées à la DDF au-delà de 60 ans, nous offrent une profondeur de champ suffisante. Dans l’instruction menée avec l’ASNR, rester figé dans une perspective trop courte, limitée à des tranches de 10 ans entre deux réexamens, ne suffirait pas.

Le schéma montre la décroissance du parc installé en fonction de sa durée d’exploitation. Mais il illustre aussi un changement dans la façon d’instruire. Le changement majeur est que nous avons décidé d’unifier les niveaux d’exigence de la visite des 40 ans entre les trois paliers 900, 1300 et N4. Nous avons appelé cela le « 4-4-3 » : les 40 ans du 900 doivent correspondre aux 40 ans du 1 300 et aux 30 ans du N4. C’est une logique de standardisation qui va de l’étude à la mise en oeuvre terrain, en passant par l’instruction et les objectifs de sûreté.

Il reste des écarts, car en sortant des VD4 900, tout n’est pas encore finalisé. On applique donc un ajustement sur les 40 ans du 1 300 pour préserver cette cohérence. Pour les 50 ans, nous procéderons à un 5-5-4 : les 50 ans du 900 correspondent aux 50 ans du 1 300, qui correspondent aux 40 ans du N4. Cette organisation est en pleine discussion avec l’ASNR, notamment en raison du chevauchement entre générations de réacteurs. En effet, les 60 ans du 900, c’est 2039. Les 50 ans, c’est 2029. On terminera le passage des 40 ans du 1 300 quand on abordera les 60 ans du 900. Il y aura donc forcément des croisements, et le 4-4-3 ou 5-5-4 ne pourront pas être étanches.

Nous avons ainsi la volonté de disposer d’une « autoroute d’instruction », qui assure une cohérence inter-paliers. Il est fondamental d’avoir cette cohérence dans le niveau d’exigence appliqué aux différents réacteurs selon leur âge, ainsi que pour le coût de l’instruction. Cela crée des points de repère, permet d’instruire de manière approfondie les nouveaux sujets – comme ceux posés par les 50 ans – et reflète une logique structurée.

Le pilotage par les marges

Autre élément essentiel : nous faisons désormais un bilan des marges, et nous pilotons par les marges. À partir du combustible nucléaire, on évalue les marges de sûreté : où se situe le plafond d’exigence, et quel est le niveau de résilience de l’installation par rapport à son point de fonctionnement habituel ? Chez EDF, cette approche est essentielle. Dans une logique de projection à 20 ou 30 ans, le bilan des marges devient un outil déterminant. Il permet de relier le niveau d’exigence de demain à l’état actuel de l’installation, et d’identifier les leviers nécessaires pour restaurer des marges si l’exigence évolue.

Ce pilotage par les marges, fondé sur les conceptions d’origine et leurs évolutions (modélisations plus fines, modifications), donne toute leur perspective aux réexamens périodiques.

Par Régis Clément, directeur adjoint, division Production nucléaire chez EDF

Photo I Centrale nucléaire de Saint-Laurent-des-Eaux, travaux de construction pour la mise en place d’un Diesel ultime secours (2016).

© EDF / Agence Sipa / Nicolas Gouthier