1/9 – Enjeux et stratégie du démantèlement au CEA - Sfen

1/9 – Enjeux et stratégie du démantèlement au CEA

Publié le 23 septembre 2019 - Mis à jour le 28 septembre 2021
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Le CEA a 36 installations nucléaires à démanteler. Comment s’organise-t-il pour en assurer la mise en oeuvre, le suivi ?

Vincent Gorgues : des installations qui sont à démanteler au CEA, 90 % d’entre elles sont situées sur des centres civils, Fontenay-aux-Roses, Saclay, Marcoule, Cadarache ; 10 % dépendent de la Direction des applications militaires (DAM). L’ensemble de la stratégie des opérations de démantèlement est piloté par une équipe de maîtrise d’ouvrage, directement rattachée à l’administrateur général du CEA, à qui je rends compte en tant que maître d’ouvrage. Notre mission est d’établir la stratégie d’assainissement-démantèlement (AD), de procéder à des arbitrages financiers, de porter nos engagements vis-à-vis des autorités de sûreté nucléaire et de nos tutelles, mais aussi d’échanger avec les autres donneurs d’ordre et l’Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs (Andra).

Je m’appuie sur deux maîtrises d’ouvrage déléguées : l’une placée à la direction des applications militaires et l’autre à la direction de l’énergie nucléaire. Constituées d’unités à pied d’œuvre et de programmes, les deux maîtrises d’ouvrage déléguées assurent l’exploitation des installations, la programmation et le suivi des opérations.

Toutes les installations ne peuvent être démantelées dans le même temps. Quelle est la stratégie ?

V.G. : c’est à partir de 2015, à la demande des autorités de sûreté, en lien avec ces dernières, que nous avons lancé un travail conséquent afin d’établir une stratégie de priorisation des chantiers AD. Bien que les grandes lignes aient été validées par les autorités en 2018, des compléments nous ont été demandés afin de rendre plus robustes certains aspects de la stratégie proposée. Tout ceci est formulé dans une « lettre de suite » des autorités de sûreté publiée en juin dernier. En interne, cette lettre de suite était très attendue car elle permet de clore l’instruction, mais le CEA était déjà en train d’instruire ces demandes de compléments, qui portent, par exemple, sur les installations support.


740 millions d’euros sont alloués annuellement au démantèlement des installations et à la reprise des déchets anciens du CEA


Concernant la priorisation, trois grands principes guident les propositions validées, à commencer par la primauté donnée à la réduction du Terme source mobilisable (TSM). Cela veut dire que nous priorisons les chantiers en fonction de différents facteurs et coefficients, qui ont trait à la fois à la résistance du bâtiment face aux aléas, à la capacité de la matrice du déchet à confiner la radioactivité, ou enfin à la dangerosité du rayonnement. 

Il s’agit en priorité de déplacer aussi rapidement que possible le maximum de radioactivité vers un lieu aux conditions les plus sûres. Dans cette perspective, démanteler Phénix, une fois le combustible retiré, sera moins prioritaire que récupérer et reconditionner les coques en magnésium issues des anciens assemblages de combustible uranium naturel graphite gaz (UNGG), entreposées aujourd’hui en conditions moins sûres.

Un autre élément de notre stratégie est l’ambition de réduire les coûts fixes. 740 millions d’euros sont alloués annuellement au démantèlement des installations et à la reprise des déchets anciens du CEA. Il s’agit d’un financement par subvention annuelle de l’État, pour le démantèlement civil et de défense, depuis janvier 2016 et garanti jusqu’en 2020. Ce montant nous permet d’avancer et de réduire progressivement le passif. Toutefois, de ces 740 millions d’euros, environ 300 millions relèvent de coûts fixes : surveillance des installations, travaux de maintenance, taxes, etc. Maîtriser l’augmentation de ces coûts fixes en absorbant l’inflation, voire en les réduisant, permet mécaniquement d’augmenter la part de financement allouée aux opérations prioritaires et concourt donc à cet objectif « plus sûr, plus vite ».


le CEA est très concerné par les déchets dits de très faible activité (TFA), qui représentent la grande majorité de nos déchets


Enfin, dernier point de la stratégie : la prise en compte des contraintes opérationnelles dans les calendriers des chantiers AD et de reprise des déchets.

En effet, tous les chantiers produisent des déchets qui se retrouvent dans les mêmes installations de traitement et d’entreposage. Ils nécessitent des emballages de transport, etc. Une priorisation des chantiers conduit donc à tenir compte de la coordination logistique des activités.

Quel est votre point de vue sur un possible seuil de libération pour les déchets les moins radioactifs ?

V. G. : une grande partie de notre attention et de nos efforts est focalisée sur les déchets de moyenne activité à vie longue ou de faible activité à vie longue, mais le CEA est très concerné par les déchets dits de très faible activité (TFA), qui représentent la grande majorité de nos déchets. Nous en produisons lors des opérations d’AD. Sur la question du seuil de libération des déchets TFA, le CEA est évidemment favorable à l’instauration d’un seuil, et ce pour éviter une surcharge inutile d’un stockage qui devrait accueillir uniquement des déchets au-dessus de la radioactivité naturelle.

Mais selon moi, le seuil de libération n’est pas un point bloquant dans le sens où la réglementation nous offre déjà une marge de manoeuvre : sous réserve que nous soyons en mesure de contrôler de manière exhaustive une zone déterminée et que nous constations l’absence de trace de contamination, cette zone peut alors être déclassée en zone conventionnelle. Et tout ce qui est contenu à l’intérieur de la zone devient, de fait, un déchet conventionnel.

Quelles sont les priorités des cinq prochaines années ?

V. G. : nous devons reprendre un certain nombre de matières non valorisables et de déchets très irradiants, dont les déchets « magnésiens », reprendre et conditionner des dépôts de fonds de cuve de l’usine UP1, gérer des déchets irradiants anciens, tels que des matériaux et combustibles ayant servi à des tests en laboratoire ou en réacteur, à Saclay essentiellement. Dans l’attente d’un stockage dédié, notre mission est de les entreposer en toute sûreté. Notre priorité porte aussi sur le reconditionnement de fûts bitumés entreposés à Marcoule.

Comment se positionne le CEA sur le marché du démantèlement ?

V. G. : je distinguerais deux marchés, en termes de business plan, de réalité industrielle et de concurrence. Le premier marché du démantèlement, très concurrentiel, est lié aux réacteurs de puissance. Le CEA n’est pas directement concerné. Il est porté à l’international par EDF et Orano.

Le second marché, que nous pourrions qualifier de marché des « moutons à cinq pattes », concerne les petits réacteurs de recherche, les laboratoires, les sites historiques, les projets complexes, soit la quasi-totalité des chantiers du CEA. Ce marché concentre un écosystème extrêmement varié, alimenté à la fois par des starts-up technologiques et des groupes industriels, capables de porter la mise en oeuvre de ces technologies, comme Orano, Nuvia, Bouygues, Onet technologies, Veolia, etc. et qui, pour certains, sont les ambassadeurs de ces technologies à l’international.

Une autre partie de la valeur ajoutée de la France se situe sur ces chantiers complexes. Par exemple, si le démantèlement de réacteurs coréens ou japonais ne sera jamais ouvert à des entreprises françaises, les technologies françaises y sont en revanche très recherchées pour le traitement des déchets et des eaux contaminées, pour certaines technologies d’investigation ou de dépollution des sols. Porter une offre française sur les aspects connexes au démantèlement a tout son sens.

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Photo : Vincent Gorgues – © Laurence Godart


Entretien avec Vincent Gorgues, maître d’ouvrage de l’assainissement-démantèlement au CEA, directeur du démantèlement pour les centres civils

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