1/9 – Le CSFN : le facilitateur de l’organisation de la filière nucléaire française
Vous êtes délégué permanent du CSFN. Pouvez-vous rappeler ses missions au sein de la filière nucléaire et ses liens avec le syndicat professionnel du nucléaire français, le GIFEN ?
Hervé Maillart : Dans le cadre du Conseil national de l’industrie (CNI), présidé par le Premier ministre et dont Philippe Varin est vice-président, des Comités stratégiques de filière (CSF) ont été mis en place pour chaque filière industrielle en France – le CSFN en ce qui concerne le nucléaire. Le CSFN regroupe les principaux acteurs et parties prenantes de la filière : les Grands donneurs d’ordre (GDO) et grands industriels, des représentants des PME/ETI composant le tissu industriel nucléaire, les organisations syndicales représentatives de la filière, les associations professionnelles (FIM et SERCE) ainsi que l’État, au travers des deux ministères concernés : le ministère de l’Économie et des Finances, avec la Direction générale des entreprises (DGE) et le ministère de la Transition écologique et solidaire, avec la Direction générale de l’énergie et du climat (DGEC).
Dès sa création en janvier 2019, le premier objectif du CSFN a été d’identifier et de décrire au sein d’un contrat de filière les enjeux clés de la filière et les engagements réciproques de l’État et des parties prenantes citées plus haut. Ce contrat a été signé début 2019. Il est public [1] et comprend des propositions d’actions concrètes structurées autour de cinq projets principaux :
↦ garantir les compétences et l’expertise nécessaires pour une filière nucléaire attractive, sûre et compétitive ;
↦ structurer, grâce au numérique, la supply chain et la démarche d’innovation au sein de la filière ;
↦ promouvoir une économie circulaire au sein de la filière ;
↦ définir les réacteurs et outils du futur ;
↦ disposer d’une stratégie globale filière à l’international.
La plupart de ces actions sont maintenant menées par le GIFEN qui rassemble, quant à lui, les GDO et les industriels de la filière. Cette coordination entre le GIFEN et le CSFN est très efficace et elle a également permis de publier en début d’année une cartographie de la filière nucléaire, extrêmement utile pour mieux cibler nos actions et les objectifs de la filière.
Comment avez-vous procédé pour établir cette cartographie de la filière ?
H. M. : La dernière cartographie remontait à 2014. Nous avions donc déjà une connaissance large des industriels de la filière, mais beaucoup de choses ont changé depuis, et il était nécessaire de la remettre à jour. Nous avons donc fait appel à un cabinet spécialisé dans ce type d’enquête, ADIT, dont la mission a été de recueillir les données auprès des GDO et des entreprises, puis de les restituer suivant plusieurs formats. Pour cela, nous avons tout d’abord travaillé avec toutes les parties prenantes du CSFN afin de déterminer les informations ou les « points de vue » que nous devions retrouver dans les restitutions. Ceci nous a permis d’élaborer un questionnaire composé de 70 questions groupées en une dizaine de thèmes (métiers, qualifications, numérique, etc.). Ensuite, nous avons recensé plus de 5 000 entreprises qui travaillent aujourd’hui pour des GDO et procédé par élimination pour ne conserver que les entreprises représentatives des métiers du secteur. Au total, nous avons donc identifié plus de 3 000 entreprises auprès desquelles nous avons envoyé le questionnaire en juin 2019. À fin septembre, et après un certain travail de relance, nous avions suffisamment d’entreprises qui avaient répondu, ce qui nous permettait de réaliser une cartographie précise de la filière.
Sur la base de ces réponses – avec un ensemble considérable de données et de chiffres – il fallait préciser les modes de restitution utiles à chacun. Nous avons donc réparti les restitutions en plusieurs documents, à commencer par une synthèse regroupant les chiffres clés, qui a été diffusée par le GIFEN [2] en mars dernier. La deuxième typologie de documents concerne les axes du contrat de filière sur lesquels nous avons élaboré des « focus » : les compétences et formations, le numérique, la R&D et l’international. Ces focus sont maintenant mis à disposition des commissions du GIFEN pour renforcer la pertinence de leurs feuilles de route. Surtout, la filière nucléaire étant largement répartie sur l’ensemble du territoire, nous réalisons aussi un focus par région française [3]. Nous y trouvons, par exemple, le nombre d’entreprises installées, leurs chiffres d’affaires, le nombre de salariés mobilisés, les métiers représentés dont ceux en tension. Ces focus s’avèrent utiles pour aider les parties prenantes intéressées (GDO, présidents de région, etc.) à mieux connaître le tissu industriel local et cibler certaines actions en faveur de la filière.
Quels constats faites-vous sur la filière nucléaire française ?
H. M. : Il est important de noter que l’industrie nucléaire française est en mesure de répondre aux défis énergétiques contemporains : alors que les besoins en électricité devraient être multipliés par deux d’ici 2050, les émissions de CO2 doivent être divisées par deux dans le monde pour ralentir le phénomène de réchauffement climatique global. Dans ce contexte, l’industrie nucléaire permet de fournir une électricité facilement disponible, à un coût compétitif et avec une faible empreinte carbone – 6 g CO2/kWh, soit une des énergies les moins émettrices. Par ailleurs, un Français paie son électricité 70 % moins cher qu’un Allemand, dont l’électricité du pays n’est pas d’origine nucléaire.
En France, l’industrie nucléaire française représente 6,7 % de l’emploi industriel et mobilise plus de 3 000 entreprises dont 85 % de PME/ETI. Elle offre ainsi plus de 220 000 emplois répartis sur tout le territoire français. Le nucléaire est donc une filière alimentant un grand nombre d’entreprises qui travaillent également dans d’autres secteurs industriels, offrant un volume d’activité « stable » bienvenu dans le contexte de la crise sanitaire actuelle. Dans le cadre du plan de relance décidé par le gouvernement, notre cartographie est très demandée pour démontrer l’attractivité de la filière nucléaire en France, à partir de chiffres à jour et consolidés.
Il faut remarquer aussi que du fait de la très haute technicité exigée dans le milieu nucléaire, ces entreprises se sont adaptées au fil du temps aux exigences et défis de la filière. Par exemple, une transformation numérique est en cours dans près de 80 % des entreprises de la filière, pour y rechercher des gains en productivité, des simplifications pour les utilisateurs (via la dématérialisation), une sécurisation des processus et des données, etc. Notons également que l’industrie nucléaire française est reconnue à l’international comme une filière d’excellence. Notamment, le nombre d’années d’exploitation réacteurs acquis en France est sans égal et les industriels français de la filière réalisent des prestations de services sur près de 250 réacteurs dans le monde. Ceci constitue le premier facteur d’attractivité sur le marché de l’emploi.
En lien avec cette excellence reconnue, la haute technologie apparaît aussi comme un autre atout prépondérant pour la filière en matière de marque employeur. Et dans les facteurs d’attractivité, je pourrais citer tout autant la contribution de l’industrie nucléaire à la décarbonation du bilan énergétique français, ainsi que la capacité de la filière à offrir de nombreuses perspectives professionnelles sur l’ensemble du territoire national. Cette cartographie n’aurait pu être réalisée, je tiens à le souligner, sans le travail colossal de mon équipe. Aujourd’hui, elle s’avère pertinente et utile pour l’avenir, ce qui est une belle récompense.
> Article disponible dans la RGN 3.
https://www.conseil-national-industrie.gouv.fr/la-filierenucleaire
https://www.gifen.fr/le-gifen/filiere-nucleaire
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