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1/9 – Cigéo, stocker les déchets les plus radioactifs en profondeur

Publié le 30 avril 2016 - Mis à jour le 28 septembre 2021
  • Cigéo
  • Déchets radioactifs
  • Grand Est
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Cigéo (Centre industriel de stockage géologique) est le projet français de stockage profond pour les déchets les plus radioactifs. Le principe du stockage profond a été retenu par la loi de 2006, après 15 ans de recherches menées par l’Andra (Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs), leur évaluation et un débat public. Cigéo apparaît comme la seule solution sûre pour gérer ce type de déchets à long terme sans en reporter la charge sur les générations futures. Quel stockage pour quels déchets ? À quel prix ? Comment ?… Retour sur les questions que soulève ce projet.

Stocker les déchets les plus dangereux en toute sûreté

Sur l’ensemble du volume des déchets radioactifs produits en France, 62 % sont issus de la production d’électricité et 38 % d’autres activités : recherche (biologie, archéologie), défense, médecine ou certaines activités industrielles particulières (conservation des aliments, contrôle des soudures, stérilisation du matériel médical, détection incendie…).

Si 90 % des déchets radioactifs produits chaque année en France disposent d’une filière de gestion en stockage ultime, les déchets de haute activité (HA) et de moyenne activité à vie longue (MA-VL) doivent faire l’objet d’une solution de gestion définitive, adaptée à leur dangerosité, sur le très long terme.

Ces déchets HA et MA-VL représentent environ 3 % du volume des déchets radioactifs et concentrent plus de 99 % de la radioactivité. Ils sont issus de l’industrie nucléaire (traitement du combustible usé), des activités de recherche et, dans une moindre part, des activités du CEA liées à la force de dissuasion et à la propulsion navale nucléaire.

Les déchets MA-VL contiennent des quantités importantes de radionucléides à période radioactive longue. Leur niveau de radioactivité se situe en général, entre 1 million et 1 milliard de becquerels par gramme. La radioactivité des déchets HA est de plusieurs milliards à plusieurs dizaines de milliards de becquerels par gramme, et ils dégagent de la chaleur. Certains radionucléides ont des périodes très longues jusqu’à 2 millions d’années.

Cigéo devra prendre en charge tous les déchets HA et MA-VL produits et à produire par les installations nucléaires, y compris ceux que produiront l’EPR de Flamanville, ITER, ou encore le réacteur de recherche Jules Horowitz. Cigéo peut accueillir environ 10 000 m3 de déchets HA et 75 000 m3 de déchets MA-VL dont une grande partie sont déjà produits et entreposés sur les sites de production.

Le concept du stockage

Contrairement à ce qui est affirmé par les opposants au projet en particulier et au nucléaire en général, le stockage en profondeur n’est pas une « solution de facilité » mais une solution réfléchie sur plusieurs décennies, qui doit apporter une réponse aux questions essentielles de la durée de vie et de la dangerosité de ces déchets.

En effet, la radiotoxicité de ces déchets est telle qu’un transfert de ces matières radioactives jusqu’à l’homme durant ces périodes très longues aurait des conséquences radiologiques néfastes. La question a donc été de savoir comment se protéger de ces déchets et les stocker de manière sûre pour des milliers d’années. En effet, leur dangerosité est évidente. En France, l’irradiation naturelle moyenne est de 2,4 mSv/an par individu. En comparaison, rester environ 1 seconde à un mètre d’un colis de déchets HA sans protection équivaut à 20 ans d’irradiation naturelle. 5 secondes à un mètre d’un colis MA-VL sans protection correspondent à une année d’irradiation naturelle.

La question de la durée de vie et de la dangerosité des déchets est importante pour au moins deux raisons.

D’une part, les possibilités de confinement technologique ont une viabilité limitée sur le très long terme et leur durée de vie est inférieure à celle des déchets. Ils auront beau être conditionnés, vitrifiés, enrobés, placés dans des colis étanches, l’érosion finira par libérer les radionucléides. Il faudrait alors reprendre ces ouvrages après quelques centaines d’années et faire reposer cette charge aux générations futures, sans garantie qu’elles seront en mesure de le faire.

D’autre part, pendant tout ce temps, ces dépôts nécessiteront une surveillance institutionnelle constante, charge lourde pour les générations futures, qui suppose qu’elles soient capables de conserver la mémoire des sites de stockage et de les surveiller sur d’aussi longues durées. Mais comment miser sur la stabilité des institutions sociales à si long terme ?

Pour garantir le confinement pour des milliers d’années, la solution se devait d’être plus robuste et durable que les matériaux de conditionnement disponibles, plus stable et moins imprévisible que le comportement des sociétés futures. Ce postulat a conduit à l’idée d’utiliser les capacités de confinement offertes par des formations géologiques connues pour leur grande stabilité. La formation géologique retenue pour Cigéo[1], à 500 mètres de profondeur, résiste à l’épreuve du temps, tout en limitant le déplacement des radio-nucléides. Elle devient donc un piège isolant les déchets de l’environnement, une fois les colis détruits par l’érosion. Le concept de stockage géologique était né.

L’exploitation de Cigéo devrait durer plus de 100 ans, avant que le site ne soit définitivement fermé après autorisation par la loi (selon le processus dans la loi de 2006). Les déchets resteraient ensuite enfouis pour une durée indéterminée de plusieurs centaines de millénaires.

Le stockage géologique réversible : une solution efficace…

La profondeur du stockage, sa conception, son implantation dans une roche argileuse imperméable et dans un environnement géologique stable sont autant d’éléments permettant d’isoler les déchets des activités humaines et des événements naturels de surface. Les substances radioactives seront confinées très longtemps. Une fois l’installation refermée, elle ne nécessite plus d’action humaine. De ce fait, la charge de la gestion des déchets n’est pas reportée sur les générations futures, et leur protection est assurée.

Les colis de déchets et les ouvrages souterrains de Cigéo se dégraderont au contact de l’eau contenue dans la roche. Après plusieurs milliers d’années, certains radionucléides pourront se dissoudre. L’argile prendra alors le relais pour les retenir et freiner leur déplacement. Le stockage permet donc bien de confiner la radioactivité. Seuls certains radionucléides pourraient migrer hors de la couche d’argile, à l’échelle de la centaine de milliers d’années, ce qui atténuera considérablement leur concentration. Leur effet sur l’homme sera inférieur à celui de la radioactivité naturelle.

…qui fait consensus internationalement

Le stockage géologique profond est retenu comme solution de gestion définitive et sûre à long terme des déchets les plus radioactifs par plusieurs États utilisant l’énergie nucléaire, les concepts et milieux géologiques choisis variant selon les pays [2].

En 2015, la Finlande a obtenu l’autorisation de création du centre de stockage Onkalo. La Suède a déposé une demande d’autorisation en 2011. Le Canada, la Chine, la Belgique, la Suisse, l’Allemagne, le Royaume-Uni et le Japon travaillent aussi à des solutions de stockage.

Pour l’AIEA (Agence internationale de l’énergie atomique), « la sûreté du stockage géologique est largement acceptée dans la communauté technique et de nombreux pays ont maintenant décidé d’aller de l’avant avec cette option »[3]. En 2011, une directive européenne[4] rappelle que le stockage géologique constitue la solution la plus sûre et la plus durable en tant qu’étape finale de la gestion des déchets de haute activité.

En novembre 2015, le gouverne-ment finlandais a donné son feu vert pour la construction du centre de stockage de combustibles usés d’Olkiluoto (Onkalo). Posiva, gestionnaire du stockage, avait déposé la demande d’autorisation de construction en décembre 2012. Le projet avait reçu l’autorisation de l’autorité de sûreté finlandaise STUK en février 2015. La Finlande va donc stocker ses combustibles usés dans du granite.

Des solutions abandonnées

En France, dans le cadre de la loi de 1991[5], d’autres options de gestion des déchets avaient été confiées au CEA : la séparation et la transmutation des radionucléides à vie longue présents dans les déchets et l’entreposage de longue durée.

La séparation et la transmutation des radionucléides, vise à réduire la quantité et la nocivité des déchets radioactifs. Dans un premier temps, on sépare les radionucléides contenus dans les déchets. Puis on transforme les radionucléides à vie longue en radionucléides à vie plus courte, par une série de réactions nucléaires. Les résultats du CEA montrent que la séparation/-transmutation ne supprime pas le recours à un stockage profond : elle n’est possible que pour les déchets futurs et ne serait applicable qu’à certains radionucléides de la famille de l’uranium, les actinides mineurs. D’autre part, les installations nucléaires nécessaires à cette technique produiraient des déchets d’exploitation qui devraient aussi être stockés en profondeur.

L’IRSN (Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire) considère que la séparation-/transmutation n’est pas une alternative au stockage géologique. D’ailleurs, en dépit de l’avancée des recherches, il est vraisemblable que ces opérations ne seront pas réalisables à l’échelle industrielle dans un proche avenir. De plus, la transmutation nécessite un parc de réacteurs de quatrième génération, dont la conception est encore à l’étude.

En termes de sûreté, de radioprotection et de gestion des matières et déchets radioactifs, le bilan entre gains et contraintes de la transmutation est très déséquilibré : les gains sont a priori faibles face aux contraintes induites sur le cycle du combustible. En effet, la transmutation des actinides mineurs nécessite de manipuler de grandes quantités de matières très radioactives, de développer de nouveaux procédés de fabrication et de traitement et de concevoir de nouveaux entreposages et installations. Ce qui conduirait à accroître sensiblement les sources de danger et les situations incidentelles et accidentelles à analyser, et à augmenter les doses reçues par les opérateurs, pour des gains modestes.

L’entreposage de longue durée, en surface ou à faible profondeur, dans des installations conçues pour environ 300 ans a les faveurs des associations environnementales antinucléaires. Toutefois, les travaux sur le sujet ont conclu que, si les concepts d’installations semblaient particulièrement robustes face aux aléas externes, techniques ou sociétaux, ils impliquent aussi de maintenir un contrôle de la part de la société et l’obligation pour les générations futures de reprendre les déchets. En effet, il resterait indispensable de reprendre les colis de déchets quand les entrepôts auront atteint leur fin de vie, pour éventuellement les reconditionner, et construire de nouveaux entrepôts car la durée pendant laquelle ces déchets resteront dangereux est bien supérieure à 300 ans.

Sur ces deux problématiques – séparation/transmutation et entreposage de longue durée – l’ASN (Autorié de sûreté nucléaire française) estime d’une part que « la faisabilité technologique de la séparation et de la transmutation n’est pas acquise à ce jour. Une autre solution de référence est nécessaire »[6]. Et considère que « l’entreposage de longue durée ne peut pas constituer une solution définitive pour la gestion des déchets radioactifs de haute activité à vie longue ».

 

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Bloc diagramme 3D Cigéo

Cigéo, combien ça coûte?

L’ensemble des phases du projet Cigéo, de la construction à l’exploitation sur plus d’un siècle, au démantèlement est fixée par le ministère de l’Environnement à 25 milliards d’euros, soit 300 millions par an. Comparé aux 15 Mds d’euros que coûte chaque année la gestion des ordures ménagères, le coût est loin d’être astronomique. Évaluer un coût sur plus d’un siècle comporte nécessairement des incertitudes. C’est pourquoi le coût sera réévalué régulièrement. 

Pour fixer ce « coût objectif », le ministère a examiné les propositions de l’Andra, de l’ASN, d’EDF, AREVA et du CEA et tranché entre le devis de l’Andra (34 Mds) et celui des financeurs, les exploitants d’installations nucléaires (20 Mds).

Dans une note de synthèse, -l’Andra souligne que, cumulées sur une centaine d’années, les différentes visions « peuvent conduire à des différentiels de l’ordre de 30 % à la fin de la phase d’esquisse, soit un écart entre un chiffrage d’environ 20 Mds € et un autre, d’environ 30 Mds € ». Ces différences sont essentiellement techniques comme des alvéoles permettant de stocker les déchets sur 3 niveaux au lieu de 2.

Reste que tous les acteurs sont mobilisés pour la réussite du projet. « Les points de vue se sont déjà fortement approchés au fil des réunions du groupe de travail “Coûts” mis en place par la DGEC (Direction générale de l’énergie de du climat) » indique la CNE.

Une question de perspective

En 2005, le coût complet du stockage profond avait été estimé entre 13,5 et 16,5 Mds € sur la base d’un inventaire de déchets correspondant à l’ensemble de la production du parc nucléaire sur 40 ans. « La nouvelle évaluation des coûts reste cohérente avec la précédente estimation compte tenu des nouvelles hypothèses prises en compte : durée d’exploitation des réacteurs de 50 ans, évolution du coût des matières premières, études plus approfondies » explique l’Andra. L’allongement de la durée d’exploitation des réacteurs entraîne logiquement une hausse de la production des déchets à gérer, à mettre en perspective du très faible volume qu’elle représente face aux bénéfices que le pays tire de la production électronucléaire.

Le financement est assuré

Suite à la détermination du coût global du projet, les exploitants – qui consacrent des actifs sanctuarisés en cas de faillite de l’entreprise à la gestion des déchets – ont réévalué leurs provisions, de l’ordre de 800 M euros pour EDF. AREVA a indiqué faire dans ses comptes « un complément de provision de l’ordre de 250 M euros ». Chaque année, la provision des exploitants est augmentée et actualisée en fonction de l’avancée des technologies et des réglementations. Pour la Cour des comptes, l’impact de Cigéo sur le coût de production nucléaire s’établira entre 1 et 2 %, indolore pour le consommateur : le coût de production représente un tiers de la facture d’électricité, composée pour le reste de taxes et de coûts réseau.

par Isabelle Jouette, rédactrice en chef, RGN


Cette formation géologique est une argile du callovo-oxfordien vieille de 160 millions d’années. 

Voir RGN 2 (2016)

The long term storage of radioactive waste : safety and sustainability – A position Paper of International Experts, AIEA 2003 

http://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/?uri=celex%3A32011L0070

www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000000356548&categorieLien=id 

Voir l’avis de l’ASN rendu lors du débat public Cigéo en 2013: http://cpdp.debatpublic.fr/cpdp-cigeo/docs/docs-complementaires/docs-avis-autorites-controle-evaluations/20130704-asn.pdf 

Par Isabelle Jouette, Rédactrice en chef de la RGN

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