1/11 - 2050 : une consommation d’énergie globale en baisse mais une consommation d’électricité en hausse - Sfen

1/11 – 2050 : une consommation d’énergie globale en baisse mais une consommation d’électricité en hausse

Publié le 18 mars 2022 - Mis à jour le 24 mars 2022
  • financement
  • RTE
  • Scénarios énergétiques

Entretien avec Xavier Piechaczyk, président du directoire de RTE au sujet de l’étude « Futurs énergétiques 2050 ».

En octobre dernier, RTE a publié son étude « Futurs énergétiques 2050 », devenue une référence en matière de prospective. Quelle est donc sa particularité ?

Xavier Piechaczyk : Les questions de prospective sont une mission légale de RTE qui a l’habitude de produire ce document de référence en général tous les dix ou quinze ans. La dernière en date est nouvelle à trois titres. D’une part, c’est la première fois que nous nous projetons à l’horizon de trente ans. D’autre part, c’est la première fois que nous intégrons les scénarios du Giec au sujet de la dérive climatique, scénarios qui impactent la consommation, mais aussi la production d’énergie. Enfin, c’est la première fois que nous mettons en place un dispositif inédit de concertation qui a duré deux ans avec de très nombreux acteurs1. À notre connaissance, une étude prospective aussi détaillée sur les chemins possibles pour les mix de production dans un pays de la taille de la France est une première européenne.

Quel est le grand enseignement de cette étude prospective ?

X. P. : Le premier enseignement est que, quel que soit le mix énergétique retenu, agir sur la consommation grâce à l’efficacité, voire à la sobriété énergétique, est indispensable pour atteindre nos objectifs climatiques. Le second est que la consommation d’énergie globale de la France va baisser, mais que celle de l’électricité va augmenter pour se substituer aux énergies fossiles via l’électrification des usages. Or, accélérer la réindustrialisation du pays en électrifiant les procédés réduit l’empreinte carbone de la France de même qu’on observe un gain d’efficacité énergétique lorsque l’on bascule du fossile vers l’électricité. À cela s’ajoute l’amélioration de la performance énergétique des équipements et la rénovation thermique des bâtiments. C’est ainsi que l’on parvient à 930 TWh d’énergie consommée en 2050, contre 1 600 TWh aujourd’hui. Nous constatons alors que l’électricité en 2050 représentera 55 % de la consommation d’énergie finale alors qu’elle en représente aujourd’hui environ 25 %.

Comment calculer une consommation énergétique à une échéance éloignée de 30 ans ?

X. P. : C’est la question qui fait largement polémique. Nous avons redressé et redocumenté les projections de consommation qui figuraient dans la Stratégie nationale bas carbone (SNBC). Cela prend en compte les prévisions de PIB et de démographie, ou encore la nouvelle stratégie en matière d’hydrogène, ce qui nous fait aboutir à une trajectoire de référence en matière de consommation en France à 645 TWh en 2050. Nous avons encadré ce scénario central de référence par deux autres scénarios de consommation. Le premier est un scénario de sobriété à 555 TWh. Il vise à éclairer le débat public sur les politiques et les changements de comportement que cela pourrait induire en termes d’habitat, de déplacement, d’industrie et de travail. Le second est un scénario de réindustrialisation profonde à 755 TWh en 2050 qui suppose une part de l’industrie manufacturière poussée dans le PIB à 12 ou 13 %, contre 10 % aujourd’hui.

Tous les mix énergétiques sont possibles pour parvenir à la neutralité carbone en 2050 ?

X. P. : Les six scénarios permettent d’atteindre la neutralité carbone en garantissant la sécurité d’approvisionnement. Nous avons étudié des mix issus de la concertation, en fonction de ce que nous disaient les filières de leur capacité à les construire. Ils se décomposent en deux grandes familles. Une famille correspondant au scénario M dans lequel la France déciderait de ne pas relancer un programme électronucléaire, et donc tendrait vers 100 % de renouvelables à horizon 2050 (c’est le scénario M0), ou bien à horizon 2060 (ce sont les scénarios M1 et M2). Une autre famille (N) correspondant à trois scénarios dans lesquels la France déciderait de relancer un programme électronucléaire dans des proportions plus ou moins grandes.

Quels sont ces trois scénarios nucléaires ?

X. P. : Le scénario N1 est la prolongation du scénario NNF (Nouveau nucléaire France) proposé par EDF. Il consiste à commencer par la construction de six tranches d’EPR 2 jusqu’en 2045 puis de construire un réacteur tous les cinq ans. Cela nous conduit à un parc nucléaire assez réduit en 2050. Sur la base d’une consommation de référence de 645 TWh, cela représente 26 % de notre mix énergétique. Nous avons construit deux autres scénarios, également issus de la concertation. Le scénario N2 présente une trajectoire plus dense en matière de construction avec quatorze EPR 2 d’ici 2050, pour 36 % du mix. Enfin, le scénario N3 reprend le scénario N2, soit quatorze EPR 2 d’ici 2050 auxquels s’ajoutent deux hypothèses techniques : d’une part, le développement de SMR en Métropole pour 4 GW de production ; d’autre part, la prolongation de certaines tranches au-delà de l’âge de 60 ans pour 8 GW. On atteint alors 51 GW de nucléaire pour 50 % de nucléaire dans le mix.

Le scénario le plus élevé pour le nucléaire atteint 50 % du mix électrique en 2050. Pourquoi RTE n’a-t-il pas dessiné un scénario à 70 %, comme le mix actuel ?

X. P. : Il existe une profonde ambiguïté. Beaucoup ont eu l’impression que ces 50 % du mix N3 étaient une application de la loi qui plafonnerait le nucléaire à 50 %. Or, pas du tout, nous nous sommes totalement affranchis des textes. Il s’avère simplement que 51 GW de nucléaire en 2050 représentent 50 % de nucléaire dans une hypothèse de consommation à 645 TWh. Si la consommation était plus sobre, soit 550 TWh, la part du nucléaire serait alors de 60 %, et dans l’hypothèse du scénario de « consommation réindustrialisation profonde », la part du nucléaire descendrait à 40 %. Nous nous sommes fiés à ce que nous ont dit les filières industrielles et professionnelles sur leur capacité maximale de capacité nucléaire installée en 2050. La réponse de la filière a été 51 GW. C’est un défi de construire quatorze tranches d’EPR 2 désormais en moins de trente ans. Cela voudrait dire que la France construirait, entre 2035 et 2050, douze tranches supplémentaires. Avec des SMR et la prolongation du parc actuel, il s’agit de la meilleure proposition de la filière à ce moment-là.

À propos des SMR, quel serait l’usage de ces petits réacteurs ? Vous les réservez à des usages industriels ?

X. P. : Dès lors qu’à travers le plan France relance, la France décide de réinvestir la technologie SMR et que la filière nous le demande, il n’y avait pas de raison qu’on refuse de l’intégrer sur le réseau. Nous considérons que cette technologie serait employée au même titre que des tranches EPR 2, et non pour des usages spécifiques. Un système électrique optimisé repose sur un réseau de transport et de distribution entre la production et la consommation d’électricité. Il permet à chaque consommateur de soutirer quand il en a besoin sur le réseau. Un monde où chaque électrolyseur aurait son petit SMR serait désoptimisé techniquement.

Quid de la faisabilité des scénarios 100 % renouvelables ?

X. P. : Les trois scénarios 100 % renouvelables sont assez contrastés. Dans le scénario M0, la sortie du nucléaire est précipitée en 2050, en anticipant la fermeture du parc de deuxième génération. Les scénarios M1 et M23 respectent la trajectoire industrielle de fermeture des tranches, pour l’essentiel à 60 ans et pour quelques-unes à 50 ans. Le M1 correspond à un modèle de développement des renouvelables assez diffus, et notamment articulé sur le solaire. Le M23 est un scénario « grands parcs », donc plus performant sur le plan économique. Se passer de nouveaux réacteurs nucléaires impliquerait des rythmes de développement des renouvelables plus rapides que ceux des pays voisins les plus dynamiques. Ce serait un énorme défi de développement et d’insertion dans les territoires. Toutefois, il est à noter que, même en prenant la meilleure proposition à date de la filière sur le nucléaire, atteindre la neutralité carbone en 2050 est impossible sans un développement significatif des énergies renouvelables.

Quel est le coût de ces différents scénarios ?

X. P. : Il faut comparer les différents scénarios en termes de coûts complets annualisés du système électrique. Il s’agit de prendre en compte la production, les besoins de flexibilité, le transport et la distribution. Le système électrique de demain coûte plus cher. Aujourd’hui, il faut investir 45 milliards d’euros par an. En 2060 (date à laquelle tous les réacteurs du parc actuel auront été arrêtés), nos six scénarios oscillent entre 60 et 80 milliards d’euros par an. En revanche, si l’on rapporte le coût complet annualisé du système électrique au coût du MWh, les augmentations sont plus modestes, de l’ordre de 15 % en moyenne. Les scénarios très nucléarisés peuvent conduire à une augmentation du coût du MWh de quelques pourcents, contre environ 30 % pour les scénarios qui tendent vers 100 % de renouvelables.

Globalement, nous avons conclu à un avantage économique visible des scénarios incluant du nouveau nucléaire. Nous avons pris le scénario N2 qui comporte quatorze EPR d’ici 2050 et nous l’avons comparé au moins cher des scénarios 100 % renouvelables, à savoir le scénario M23. Il y a environ 9 milliards d’euros par an de différence entre les deux scénarios en coûts complets annualisés en 2060. Deux précisions. Premièrement, l’avantage économique des mix comportant du nouveau nucléaire est conditionné à un financement qui ne s’écarte pas de celui des autres technologies bas carbone. Notre hypothèse centrale de coûts de financement étant de 4 %. Deuxièmement, l’avantage du nucléaire est résistant aux différents « crashs tests » que nous avons menés. Le seul cas où l’avantage disparaît est celui où le coût du nouveau nucléaire serait équivalent à celui de Flamanville 3.

Selon RTE, y-a-t-il urgence à se décider pour l’un ou l’autre de ces scénarios ?

X. P. : De notre point de vue de gestionnaires de réseau, il n’y a pas d’urgence particulière. En revanche, du point de vue de notre fonction de prospective qui éclaire les pouvoirs publics sur la façon de parvenir à la neutralité carbone, il y a urgence à décider quel sera le mix énergétique de la France. Cela veut dire dans l’année qui vient ou l’année prochaine, mais il ne faut pas attendre 2025 ou 2030. Cela étant dit, il y a un impératif qui ne demande pas de prise de décision, c’est le besoin de beaucoup d’énergies renouvelables. Nous avons fait la démonstration que la France ne pouvait pas se passer d’un socle de renouvelables, de l’ordre de 40 à 45 GW d’éolien terrestre, de 70 GW de solaire et de 22 GW d’éolien offshore. C’est le minimum dont la France a besoin et nous en sommes encore loin.


  1. Météo France, l’Institut Pierre-Simon Laplace, l’Agence internationale de l’énergie, le BRGM, Enedis, EDF, Andra, CEA, ASN, Ademe, GRTgaz, CRE, Sfen, etc.

 

Propos recueillis par Ludovic Dupin, Sfen I Photo © RTE – Xavier Piechaczyk

  • financement
  • RTE
  • Scénarios énergétiques