1/10 – Les grandes lignes du programme nucléaire chinois - Sfen

1/10 – Les grandes lignes du programme nucléaire chinois

Publié le 6 novembre 2017 - Mis à jour le 28 septembre 2021
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Avec sa politique de développement de l’énergie nucléaire, la Chine entend démontrer sa capacité à entrer dans le petit club des pays exportateurs d’une technologie avancée. Elle a testé de nombreux standards et met maintenant en avant le Hualong (« dragon chinois »), un réacteur de moyenne puissance, évolution des modèles réalisés avec la France, tant pour le marché domestique que pour l’international. Dans le domaine du cycle, la Chine, quasiment autonome sur les étapes de l’amont, entend également développer la stratégie du cycle fermé, à l’instar de la France. Dans cette perspective, des négociations pour un partenariat franco-chinois ambitieux dans ce domaine sont en cours. Enfin, elle se donne les moyens d’une position dominante dans le futur, en lançant de nombreux projets de 4e génération, avec, entre autres, le réacteur à neutrons rapides CEFR (China Experimental Fast Reactor.) de 600 MWe, ou le réacteur à caloporteur gaz HTGR (High Temperature Gas Reactor.) de 100 MWe qui devrait démarrer l’an prochain.

Puissance montante sur la scène mondiale du nucléaire, la Chine continue sur sa lancée pour atteindre l’objectif de se doter d’ici 2020 d’un parc nucléaire industriel équipé d’une puissance installée de 58 GW en exploitation et de 30 GW en construction. C’est ce qu’affiche le 13e plan quinquennal (2016-2020). En septembre 2017, le parc national dispose d’une puissance installée de 34,43 GWe en exploitation pour 36 unités et de 23,20 GWe en construction pour 20 unités. Si la Chine veut pouvoir atteindre son objectif, il faudrait qu’elle lance la construction de six à huit nouvelles tranches chaque année (ce qu’elle a du mal à faire actuellement). Au-delà de ces prévisions, la Chine vise un parc d’une capacité installée de 150 à 200 GW à l’horizon 2030, soit environ la moitié du parc mondial actuel.

Ces données, combinées au constat d’une augmentation de la consommation d’électricité pendant le premier semestre 2017 et aux réformes engagées sur la baisse du prix du marché de l’électricité en 2016, illustrent l’ambition du pays d’augmenter la part du nucléaire dans son mix énergétique : de 3,56 % [1] aujourd’hui, elle passerait à 5 % d’ici 2020 et à environ 10 % d’ici 2030.

Cet effort est bien sûr lié à la volonté de contrôler les émissions de gaz à effet de serre et la pollution générée par le charbon, mais il a aussi une valeur symbolique de démonstration de la Chine à accéder à la maîtrise

d’une technologie complexe, à la fois sur son marché domestique, mais aussi à l’export.

En cohérence avec l’ambition de développement du parc, la Chine a choisi la politique du cycle fermé, et là encore la France est considérée comme le partenaire modèle. Les négociations en cours portent sur la construction d’une usine de retraitement de 800 tonnes par an et d’une usine de combustible Mox sur le modèle de Melox. À l’horizon 2030 le besoin sera de trois fois cette capacité.

Le déploiement d’un parc de réacteurs rapides est le prolongement naturel de cette politique. Là aussi, le programme est impressionnant, avec un premier démonstrateur de 600 MWe annoncé pour 2023, planning sans doute très optimiste mais qui démontre le volontarisme du programme. L’ambition en matière de R&D est impressionnante, la Chine essaie de nombreuses technologies : des réacteurs à caloporteurs gaz, plomb bismuth, eau super critique, des ADS (Accelerated Driven Systems), des SMR (Small Modular Reactor), etc. Même si tous ces projets n’aboutissent pas, ils stimulent l’accumulation d’une expertise et la formation d’un potentiel humain qui ont toutes les chances de faire de la Chine la puissance nucléaire du XXIe siècle.

L’autonomie souhaitée sur l’amont et l’aval du cycle

La Chine souhaite acquérir une autonomie sur la partie amont du cycle, c’est-à-dire les activités qui englobent les mines, la conversion, l’enrichissement et la fabrication du combustible. Le pays est quasiment parvenu à cet objectif et fait même parfois face à des surcapacités, à l’exception du secteur de la mine, où la Chine mène une stratégie de sécurisation dynamique des ressources, même si le résultat n’est pas toujours au rendez-vous.

S’agissant de l’aval du cycle, la Chine s’est intéressée dès les années 1980 à la politique du cycle fermé, mais ce n’est que récemment que des installations purement civiles ont été construites.


A l’horizon 2030, la Chine vise un parc nucléaire installé de 150 à 300 GW


C’est ainsi qu’une usine prototype de retraitement de 50 t/an et une usine de fabrication de combustible Mox de 500 kg/an ont été construites sur le site 404, près de Diwopu dans le désert de Gobi. Le démarrage du pilote de 50 t n’a pas fonctionné correctement et l’usine serait à l’arrêt aujourd’hui. Nous n’avons pas d’information sur la partie combustible Mox.

Dans le but de remplacer ce pilote et de se former à la technologie Purex, la CNNC a décidé de lancer la construction d’une usine de 200 t/an avec ses moyens propres, prévue pour 2020. Toutefois il a été décidé récemment d’en sous-traiter l’atelier vitrification, pour lequel un appel d’offres compétitif est en cours (AREVA est en lice). Par ailleurs la Chine a entamé en 2007 des négociations avec la France pour l’acquisition d’une usine commerciale de 800 tonnes sur le modèle de l’UP3 à La Hague, prévue pour 2030. Les négociations pour ce projet, en gré à gré, sont entrées dans une phase décisive, et un contrat commercial pourrait être signé en 2018. Le projet comprend également une usine de fabrication de combustible Mox pour réacteurs à eau légère.

Enfin, toujours dans ce domaine du cycle, AREVA et CNNC sont en cours de négociation pour un accord ambitieux qui englobe tous les domaines du cycle, de la mine aux déchets, en passant par les opérations d’assainissement, de démantèlement et de logistique.

Un parc industriel nucléaire diversifié et en constante évolution

La Chine, fidèle à ses pratiques, a testé plusieurs filières en les achetant à l’étranger, avant de faire le choix de sa propre stratégie avec des réacteurs sinisés. C’est ainsi qu’elle a commencé par les réacteurs à eau pressurisée français dans les années 1990, les CANDU canadiens en 2002-2003, les VVER russes en 2007 (deux sont actuellement en construction), les EPR (première connexion à la grille de Taishan 1 attendue début 2018) et les AP1000 de Westinghouse (le premier à devoir être connecté à la grille se trouve sur le site de Sanmen, prévu cette année).

Aujourd’hui, le paysage n’est pas encore stabilisé :

  • Pour la filière de moyenne puissance, il semble que l’on se dirige vers la construction d’un nombre limité d’AP1000, peut-être une dizaine, très loin de l’objectif initial de 40 à 50, et de réacteurs Hualong, « semi-convergés » puisqu’on ne voit pas comment les concepts CNNC et CGN pourraient aller beaucoup plus loin que la convergence actuelle, qui porte principalement sur le « triple S » (« steam supplier system »).
  • Pour la filière de grande puissance, le modèle théorique est le CAP 1400, et au-delà le CAP 1700, évolution de l’AP1000 et pour lequel la Chine possède l’intégralité des droits. Néanmoins, le manque de maturité de ce modèle pourrait laisser une chance à l’EPR. Sur ce plan, il reste encore à négocier les tranches 3 et 4 de Taishan. De toute façon, il faut d’abord réussir le démarrage commercial des deux premières tranches.
  • S’agissant du rythme de déploiement, on voit bien que la Chine a du mal à suivre sa feuille de route. Ceci est dû d’une part à un début de saturation des sites actuels et à la nécessité d’ouvrir des sites en bordure de rivière, processus compliqué et qui n’a pas encore commencé, et d’autre part à une certaine inertie des autorités locales qui ne suivent pas toujours la politique du gouvernement central.
  • Pour ce qui est du futur à moyen terme, la filière des réacteurs à neutrons rapides (RNR) reste la filière de référence pour la 4e génération. L’objectif actuel est un déploiement à partir de 2035 avec un premier prototype, le CFR 600, dont le démarrage est prévu pour 2023. Initialement motivé par la stratégie nationale du cycle fermé qui consiste à récupérer des matières valorisables pour les réutiliser en réacteurs sous forme de Mox, l’objectif annoncé est cependant en décalage avec la maîtrise actuelle : le petit réacteur CEFR de 20 MWe, fourni par la Russie et fonctionnant avec du combustible à l’uranium enrichi se limite à quelques centaines d’heures équivalent pleine puissance. Ni la Russie, ni la Chine ne maîtrisent pour l’instant le combustible Mox.

 

 
Concentration en cours chez les électriciens chinois
Longtemps numéro un mondial de l’électricité, EDF a perdu sa première place à l’été 2017 au profit de China Energy Investment Corporation, nouveau géant de l’énergie, résultat de la fusion des sociétés publiques chinoises Shenhua, premier producteur de charbon et détenteur d’un parc de production thermique au charbon de 82 GW, et Guodian, un des principaux fournisseurs d’électricité chinois et déjà bien ancré dans les énergies renouvelables. Une autre fusion serait aussi en vue, entre Huaneng, ex n°1 chinois de l’électricité, et contrôlant aux côtés de CNNC la centrale nucléaire de Changjiang, et SPIC, n°5, et société mère de l’entreprise nucléaire SNPTC. Pour les autorités, ces fusions d’entreprises publiques viseraient notamment à mettre sur pied des industriels plus forts et plus puissants. Ce faisant, elles pourraient modifier la configuration de l’industrie nucléaire chinoise.
 

Une R&D foisonnante

La Chine possède les moyens, la volonté politique, et joue également de la diversité de ses acteurs qui se font concurrence entre eux pour lancer une multitude de projets dont l’inventaire englobe à peu près tout ce que la communauté internationale a envisagé durant les vingt dernières années. Habités par un enthousiasme et un sens de la prise de risque que nous avons oublié depuis longtemps, ces acteurs n’hésitent pas à lancer le début des travaux de génie civil, voire les achats de composants, alors même que les concepts ne sont pas stabilisés, ni bien sûr la certification validée, ce qui explique en partie des durées de construction bien inférieures à ce que les pays occidentaux peuvent espérer. On citera, entre autres :

  • le HTGR (HTR-PM), à caloporteur gaz, de 200 MWe (en fait deux coeurs pour la même unité), dont la fin de construction est attendue pour fin 2017 à Shidaowan, est conçu afin de répondre aux besoins de production électrique et aussiau dessalement de l’eau de mer et au chauffage urbain ;
  • le réacteur à sels fondus, au combustible au thorium et porté par la SNPTC ;
  • plusieurs projets de SMR, que ce soit sur terre ou embarqué, et qui devrait contribuer au développement des espaces isolés de la Chine ;
  • un projet de réacteur refroidi au plomb bismuth
  • un projet de réacteur sous critique associé à un accélérateur (ADS)

Une percée dans le marché mondial du nucléaire

L’ambition de la Chine vis-à-vis de son programme nucléaire est logique et n’est pas nouvelle : après avoir acquis une technologie étrangère, on réalise la sienne, que l’on essaie dans un troisième temps d’exporter. C’est le projet chinois, qui commence par la percée du marché anglais, en tentant d’implanter son Hualong sur le site de Bradwell. Par ailleurs, plusieurs mémorandums sont signés avec de nombreux pays, mais le seul qui apparaisse crédible aujourd’hui concerne la fourniture en Argentine d’un réacteur CANDU. Ce projet fonctionne comme un produit d’appel pour proposer un Hualong dans un deuxième temps.

La stratégie emblématique de développement des nouvelles routes de la soie possède bien entendu son volet nucléaire et on entend parler d’une quarantaine de projets potentiels, mais il y a là un effet d’annonce dont la crédibilité paraît aujourd’hui bien faible.

Crédit photo : DR

Légende photo : le HTGR illustre les efforts de la R&D de la Chine dans le développement des technologies nucléaires de 4e génération


3,56 % correspond à la part du nucléaire dans la production électrique nationale. En termes de capacité installée, le nucléaire représente 2,04 %.


Par Dominique Ochem, conseiller nucléaire à l’ambassade de France en Chine, et Loëiza Cavalin, adjointe du conseiller nucléaire à l’ambassade de France en Chine