1/10 – La filière nucléaire engage sa transformation numérique - Sfen

1/10 – La filière nucléaire engage sa transformation numérique

Publié le 3 juillet 2017 - Mis à jour le 28 septembre 2021
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Les dirigeants de la filière nucléaire ont annoncé leur ambition d’engager le secteur dans la transformation numérique. À l’instar d’autres industries, cette mue offre de réelles opportunités : renforcement de la compétitivité des projets, stimulation de l’innovation et création de nouvelles méthodes de travail. Les entreprises du secteur sont motivées et veulent aller vite, convaincues que les technologies du digital apporteront un nouvel élan à leur ambition. Mais pour être un succès, le basculement vers le digital doit s’accompagner d’une dynamique managériale qui insuffle une nouvelle culture à toutes les strates de l’entreprise. Les dirigeants du secteur le savent et veulent faire du numérique l’un des leviers permettant de relever les défis [1] de la décennie qui vient.

Dans une note [2] consacrée à l’industrie du futur, la Fabrique de l’Industrie invite les industriels à prendre conscience de l’importance de la transformation numérique et à saisir les opportunités qui en découlent. Pourtant, 69 % des entreprises considèrent encore que la transition numérique n’est pas un sujet essentiel [3]. Elles sont nombreuses à méconnaître les opportunités et les challenges qu’entraîne le déploiement du numérique (réorganisation des process et des méthodes de travail, redéfinition de la stratégie de l’entreprise, etc.). À l’inverse, les entreprises qui réussissent leur transformation numérique sont celles qui ont entrepris un projet managérial fort permettant d’acquérir l’adhésion de tous les salariés, comme en témoignent l’aéronautique, le spatial et l’automobile. Confrontée à un impératif de compétitivité, la filière nucléaire souhaite à son tour utiliser les technologies numériques les plus matures pour insuffler la « culture » digitale à tous les métiers.

Développer des briques numériques

Il existe un panel de technologies numériques (big data, fabrication additive, réalité augmentée, analyse et traitement des données à grande échelle, objets connectés, modélisation et simulation numériques, etc.). Ces « briques », hétérogènes et isolées, ont deux atouts : elles s’intègrent facilement aux installations existantes et s’articulent entre elles, telles des pièces de Lego. Ainsi, le big data peut par exemple traiter les données recueillies grâce à l’Internet des objets et stockées sur le cloud grâce à des systèmes de cybersécurité.

« Nous adoptons des briques technologiques numériques issues du grand public aux contraintes du monde industriel nucléaire. Ces nouvelles technologies sont “industry agnostic” (…) et peuvent nous permettre d’accélérer nos cycles d’innovation » explique Phillippe Knoche, Directeur général de New AREVA. Dès 2011, l’entreprise a engagé un programme de transformation digitale et a défini une roadmap technologique. « Cela a permis d’engager de nouveaux développements et de transformer les métiers. »

Assurer la compétitivité des nouveaux réacteurs

« Par rapport à d’autres secteurs industriels, aussi confrontés à des enjeux de compétitivité, de timing et de respect des engagements très forts, l’industrie nucléaire a sans doute pris un petit peu de retard » analyse Xavier Ursat, Directeur en charge des projets nouveau nucléaire d’EDF. Retard qui pourrait constituer une opportunité en permettant aux entreprises du secteur de bénéficier du retour d’expérience d’autres industries.

À l’image du programme Deliver the Nuclear Promise lancé par l’industrie américaine pour réduire de 30 % les coûts des nouveaux projets nucléaires, la filière française souhaite s’appuyer sur les technologies numériques pour améliorer la compétitivité de ses projets. « Construire un réacteur EPR sans digital est un travail de bénédictins. C’est pour cela que le digital est une évidence » estime Xavier Ursat. À Flamanville, EDF a digitalisé plusieurs activités comme les essais d’ensemble (40 000 pages de dossier de mise en service remis à l’ASN) et a obtenu des gains significatifs. « Le digital permet d’informer en temps réel toutes les personnes concernées par les essais, de donner de la visibilité sur l’ensemble des autres dossiers réalisables par la suite, et de rétroagir sur le planning si nécessaire. »

Xavier Ursat en est convaincu : « La transformation numérique est un des leviers fondamentaux pour gagner en compétitivité et assurer une meilleure coopération au sein de l’industrie française, la troisième filière industrielle nationale avec 2 500 entreprises et 220 000 salariés. »

Accélérer les temps d’innovation

Pour François Gauché, Directeur de l’énergie nucléaire au CEA, la mise en place de plateformes numériques collaboratives permettra « d’accélérer les temps d’innovation tout en assurant la continuité numérique des données utilisées pour un projet. C’est un aspect organisationnel qu’il ne faut pas minimiser, surtout lorsque de nombreux acteurs interviennent dans un projet complexe et qu’il faut assurer une parfaite gestion des interfaces. » Le numérique insuffle également la culture de « test and learn ». Comme son nom l’indique, cette méthode permet de tester un produit à petite échelle et l’optimiser avant son introduction sur le marché. New AREVA regarde de près ces nouvelles méthodes d’innovation issues du monde des start-up.


Construire un réacteur EPR sans digital est un travail de bénédictin – Xavier Ursat, EDF


Développer la maintenance prédictive

Dans l’aéronautique, les technologies numériques permettent de capter et d’analyser d’importantes quantités de données, modifiant considérablement les métiers de la maintenance. « Dans le nucléaire, tout l’enjeu consiste à recueillir et collecter efficacement les données au coeur des installations, les transporter et les acheminer en tenant compte des contraintes de sécurité et de confidentialité, les traiter et les analyser, visualiser les résultats pour être en mesure de prendre les meilleures décisions au moment opportun. Objectif : maximiser l’utilisation des actifs, optimiser les coûts de production et protéger les opérateurs. » explique Philippe Knoche de New AREVA. Il précise d’ailleurs que des solutions d’analyse de données sont déjà en vigueur dans les usines de La Hague, Malvési et du Tricastin. Pour aller vers la maintenance prédictive et faciliter la prise de décision des opérateurs, l’entreprise étudie les technologies de l’intelligence artificielle (voir l’article 5 du dossier).

Engagée dans un programme de rénovation de ses installations (Grand Carénage), EDF souhaite aussi capitaliser sur les données pour optimiser ses coûts de maintenance. Sur les centrales qui ont entamé leur quatrième visite décennale, l’électricien installe des jumeaux numériques permettant de comparer les paramètres de fonctionnement calculés à ceux relevés par divers capteurs (voir l’article 9 du dossier).

Les outils numériques sont aussi des outils d’aide à la décision pour les opérations d’assainissement-démantèlement-déconstruction. « Connectée à l’expérience réelle, l’expérience virtuelle permet de mesurer et de voir des choses difficilement mesurables en réalité. Elle sert de sonde pour aller regarder des choses là où ça n’est pas accessible » explique François Gauché du CEA.

 
Zoom sûr…
Le chief digital officer, pilote de la transformation numérique
Face aux défis de la transformation numérique, les grandes entreprises se dotent d’un chief digital officer. Son rôle consiste à définir les priorités de l’entreprise quant à l’introduction des technologies numériques et de leurs applications. En collaboration avec la direction des ressources humaines, il diffuse et fait adopter la culture numérique dans toute l’entreprise. Depuis trois ans, EDF a engagé un travail de fond, souligne Pierre Beroux, Directeur de la transition numérique industrielle du groupe : « Notre priorité était de faire comprendre aux métiers que la transition numérique est une chance, un levier de performance et de compétitivité. Aujourd’hui, tous sont convaincus que le numérique peut faire baisser le coût du kilowattheure. »
 

L’ère de la transversalité et du décloisonnement

Le numérique est porteur de valeurs – l’open source, la collaboration… – qu’il s’agit de diffuser à l’appareil de production. « Si la filière veut tirer le maximum de bénéfice de la transformation numérique, cela nécessitera un décloisonnement des organisations pour que les différents acteurs puissent s’interfacer facilement. Nous devons apprendre du retour d’expérience d’industries comme l’aéronautique qui montrent que l’on peut fluidifier les échanges tout en tenant compte des enjeux de sécurité ou de propriété intellectuelle » analyse Bernard Fontana d’AREVA NP.

Pour Xavier Ursat d’EDF, le numérique permet de fédérer les acteurs de la filière à un moment où celle-ci fait face à des enjeux importants : le Grand Carénage, les constructions neuves, le renouvellement du parc et la déconstruction. Le patron du nouveau nucléaire d’EDF observe déjà des résultats sur les chantiers EPR : « À Flamanville, on est passé d’une documentation papier extrêmement lourde à une approche collaborative qui embarque dans un seul outil l’ensemble des exigences et informations pour la conduite des essais. » Le numérique modifie également les méthodes de travail de l’ingénierie. « Nous passons à une approche projet et ingénierie système, qui organise la coopération autour des objets et des données. C’est un changement radical. » 


Dans les prochaines années, la filière nucléaire engagera plusieurs projets : rénovation, puis renouvellement de son parc nucléaire, recrutement de nouveaux professionnels, construction de centrales nucléaires à l’étranger (notamment au Royaume-Uni), développement de nouveaux réacteurs (EPR-NM, Astrid, petits réacteurs modulaires) et démantèlement de certaines installations.

Travail industriel à l’ère du numérique, Fabrique de l’Industrie (2016).

Observatoire social des entreprises (2016).

Par Boris Le Ngoc, SFEN

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