1/10 – « L’EPR, l’atout de la transition énergétique »

Avec l’EPR, les difficultés sont-elles derrière nous ?
Xavier Ursat : L’EPR est en train de vivre une phase éminemment importante de son histoire. Taishan 1 est, depuis avril dernier, le premier EPR à avoir été mis en service. Ce réacteur produit depuis une électricité décarbonée, avec un niveau de puissance et de sûreté jamais égalé. Trois autres EPR se préparent à produire leurs premiers mégawatts dans le monde : Taishan 2, Olkiluoto et Flamanville 3. Autant de projets qui aboutissent, gages de crédibilité et de confiance essentiels pour le développement de la filière nucléaire française, à un moment où le nucléaire doit être considéré comme un levier de la lutte contre le réchauffement climatique, aux côtés des énergies renouvelables.
Et même si aujourd’hui nous devons déployer un plan d’actions pour garantir la parfaite réalisation des soudures de Flamanville 3, nous sommes plus que jamais convaincus que l’EPR français, comme Taishan, sera pour nous et nos partenaires une réussite. Nous sommes engagés dans la dernière ligne droite avant la mise en service du réacteur au 4e trimestre 2019. 4 500 personnes s’affairent pour poursuivre les autres activités de montage et d’essais ; le début des essais dits « à chaud » [1] est ainsi programmé avant la fin de cette année.
Peut-on s’appuyer sur la technologie EPR pour renouveler le parc français ?
J’en suis absolument convaincu. L’EPR est aujourd’hui le produit dont nous avons besoin pour accompagner l’évolution du parc français actuel ; il s’inscrit dans la continuité des réacteurs existants et offre les meilleurs standards en termes de sûreté ainsi que des performances économiques et environnementales améliorées.
Nous devons néanmoins faire la preuve de sa compétitivité. L’AIEA l’a souligné dans une analyse publiée en septembre 2018 [2]. Cette exigence, la filière nucléaire française peut l’avoir. Les premiers chantiers ont permis à la technologie EPR d’atteindre la maturité et d’initier une dynamique industrielle qui entraîne, de projet en projet, une réduction des coûts et de délais de mise en oeuvre.
Pour renforcer cette dynamique « naturelle » commune à toutes les industries, nous travaillons depuis plusieurs années à intégrer tout le retour d’expérience des chantiers EPR en cours, tant sur le plan industriel que sur celui des méthodes d’ingénierie et des outils. Nous avons ainsi engagé, avec Framatome et les industriels de la filière, le projet « EPR 2 » dont l’ambition est de disposer d’un réacteur EPR au design simplifié, moins coûteux et plus facile à construire, pour renouveler le parc nucléaire français à l’horizon 2030.
Dispose-t-on des compétences nécessaires pour se donner cette ambition ?
X.U. : Nous avons toutes les cartes en main.
Tout d’abord, une filière industrielle structurée et aguerrie. Ses 220 000 salariés assurent chaque année en France 400 TWh d’une production sûre, compétitive, décarbonée ; c’est une formidable vitrine qui convainc les pays qui font le choix du nucléaire.
Ensuite, notre implication dans les chantiers EPR à Flamanville et dans le monde. Ces projets sont de réelles opportunités de renforcer notre savoir-faire. Les milliers d’ingénieurs détachés par EDF, Framatome et toutes les entreprises françaises y accumulent une expérience précieuse de construction, immédiatement mutualisée et mise à profit. Au-delà, ces projets contribuent à lisser la charge de travail de l’ingénierie et à optimiser les investissements matériels et humains, indispensables au dynamisme d’une industrie. Autant de leviers susceptibles de réduire significativement le coût des projets et donc de renforcer leur compétitivité.
Tout ce travail engagé commence à porter ses fruits. Mais être capables de disposer des compétences nécessaires pour mettre en oeuvre de nouveaux chantiers suppose, aussi, une stratégie industrielle claire. C’est en donnant de la visibilité à nos partenaires sur les projets industriels susceptibles d’être réalisés en France et à l’export que la filière nucléaire pourra engager les recrutements et les formations nécessaires au développement des compétences dont notre industrie se compose.
Vous parlez de projets internationaux ; quelles sont, à ce jour, les perspectives internationales de l’EPR ?
X.U. : Pour faire face aux défis du changement climatique, l’urgence absolue est au développement rapide des énergies bas carbone : les énergies renouvelables et le nucléaire. Dans ce contexte, le raccordement au réseau de Taishan est un réel gage de crédibilité pour vendre notre savoir- faire partout dans le monde.
La Chine mène de loin l’activité nucléaire la plus intense : 50 % des réacteurs construits dans le monde dans les vingt ans le seront là-bas. La part de production d’électricité d’origine nucléaire dans leur mix représentera près de 10 % en 2030-2035, plus du double d’aujourd’hui. Nos partenaires et le gouvernement chinois souhaitaient attendre la mise en service des deux EPR de Taishan pour parler d’avenir.
Autre marché : l’Inde. Là encore, la dynamique est très forte, avec une ambition de 40 GW de capacité nucléaire installée à horizon 2040, soit six fois plus qu’aujourd’hui où le charbon domine. Pour atteindre cette croissance rapide, les Indiens utilisent deux leviers : accélérer la construction de centrales sur la base de leur propre technologie, d’une part, importer des technologies étrangères d’autre part. L’EPR est à ce jour le seul réacteur de troisième génération au monde à avoir obtenu une licence dans quatre pays différents. C’est un avantage concurrentiel certain, que les Indiens ont bien compris. Ainsi, un accord définitif pour la construction de six réacteurs sur le site de Jaitapur pourrait être signé dans les prochains mois, faisant de ce site la plus grande centrale nucléaire au monde.
D’autres pays ont exprimé leur intérêt pour la technologie EPR, dont l’Arabie saoudite. Mais encore une fois, le lancement de tous ces projets dépendra de notre capacité à démontrer la compétitivité du nucléaire face aux autres moyens de production d’électricité. Nous sommes confiants dans notre capacité à y arriver même si cela reste un challenge. C’est pour cela que nous sommes dans une logique de réplication du design pour ne pas avoir à refaire des travaux d’ingénierie, et donc faire des économies.
Au-delà du seul réacteur EPR, où en est EDF sur le développement des réacteurs de moyenne puissance et sur les SMR ?
X.U. : L’EPR est assurément le produit phare de la filière française ; mais nous travaillons en effet également sur une offre de réacteurs à eau pressurisée de « moyenne puissance » (1 000 mégawatts). Ce sont les projets ATMEA (en coopération avec MHI) et Hualong (en coopération avec CGN), pour lesquels nous pouvons bénéficier du retour d’expérience de conception et de construction des projets actuels pour développer le basic design de ces nouveaux modèles, qui offriront un niveau de sûreté équivalent aux réacteurs de 3e génération.
Les SMR offrent également des perspectives très prometteuses sur le marché nucléaire international, sur l’ensemble des continents, y compris en Europe. Nous avons ainsi engagé avec le CEA, Naval Group et Technicatome des études d’avant-projet pour la conception d’un réacteur destiné aux marchés à l’export, avec l’objectif de devenir, là aussi, un des leaders mondiaux.
Finalement, le réacteur EPR sera-t-il capable d’accompagner la montée en puissance des énergies renouvelables ?
X.U. : Le parc nucléaire d’EDF en France a déjà largement démontré sa capacité à accompagner la montée en puissance des énergies renouvelables. Les centrales nucléaires ont, depuis les années 1980, toujours été manoeuvrantes pour pouvoir ajuster en permanence la production d’électricité à la consommation très variable selon les moments de la journée et de la nuit. Ces dernières années, avec le développement des énergies renouvelables intermittentes, EDF a encore renforcé la souplesse de fonctionnement de ses réacteurs. Aujourd’hui, les réacteurs nucléaires sont capables d’ajuster jusqu’à 80 %, à la hausse ou à la baisse, leur puissance en 30 minutes et ce, deux fois par jour. Cela représente plus de 1 000 MW sur un réacteur de 1 300 MW et 700 MW sur un réacteur de 900 MW.
Nous devons donc tout faire pour conserver cet atout et les aléas que nous pouvons rencontrer ne doivent pas nous faire douter que le nucléaire sûr et performant est une énergie majeure pour l’avenir car sans CO2. La filière nucléaire française est aujourd’hui parfaitement en ordre de marche pour conduire de nouveaux projets et continuer ainsi à faire du nucléaire un atout majeur de notre mix bas carbone, à même de fournir, en permanence, sans coupure, l’énergie la plus bas carbone et la plus compétitive possible, tout en assurant son indépendance énergétique.
Crédit photo : F. Juery / CAPA Pictures
Ces essais seront réalisés dans des conditions de température et de pression similaires aux conditions d’exploitation. Il s’agit d’une répétition générale du fonctionnement de la centrale avant le chargement du combustible nucléaire et sa mise en service.
The 38th edition of Energy, Electricity and Nuclear Power Estimates for the Period up to 2050.