L’énergie nucléaire, une solution de lutte contre le réchauffement climatique en quête de reconnaissance
La hausse continue des émissions de gaz à effet de serre
Le rapport du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) de septembre 2013 faisait état de la revue de 9 200 études scientifiques existantes après laquelle les experts du climat estimaient désormais « extrêmement probable » (à 95%) que le dérèglement climatique est dû aux activités humaines. Le CO2 n’est qu’un des gaz à l’origine de l’effet de serre (avec la vapeur d’eau, le méthane, les oxydes d’azote, l’ozone, et d’autres encore). Cependant, c’est celui qui a contribué le plus, à hauteur de 25%, au réchauffement climatique, estimé à 1°C depuis 1750.
En effet, sa concentration dans l’atmosphère a augmenté de 40% depuis l’âge préindustriel. Les grandes émissions de gaz carbonique d’origine humaine proviennent de la combustion des énergies fossiles, charbon, pétrole, et gaz, dans la production d’électricité, les activités industrielles, les transports, et le chauffage. Selon le Global Carbon Project, qui compile chaque année les résultats de plusieurs instituts de recherche, en 2012, les émissions de CO2 ont encore augmenté. Le rapport, publié en novembre 2013, estime l’augmentation à 2,2%. Le total des émissions atteint le chiffre record et préoccupant de 35 milliards de tonnes. Au premier rang des responsables, on trouve les combustibles fossiles. Ainsi, en 2012, le charbon a connu une croissance de 2,8%, le gaz une hausse de 2,5% et le pétrole une augmentation de 1,2%.
Dans le cadre du protocole de Kyoto, l’ensemble des pays s’est engagé à réduire les émissions de façon à stabiliser le climat. L’objectif est de ne pas dépasser une hausse de 2°C, au-delà duquel des phénomènes de nature catastrophique pourraient se manifester. Pour cela, la concentration atmosphérique de CO2 ne doit pas dépasser 450 ppm (partie par million) ce qui nécessite de réduire de plus de 50% les émissions de CO2 d’ici 2050, par rapport à 1990, année de référence. Les nouveaux chiffres présentés par le Global Carbon Project représentent au contraire une hausse cumulée de plus de 60% par rapport à l’année 1990. Le rapport du GIEC de septembre 2013, présente différents scénarios, montrant des conséquences potentielles du réchauffement climatiques très inquiétantes : fonte des glaces polaires (la calotte du Groenland pouvant disparaître complètement d’ici 2100), entraînant une élévation du niveau moyen des mers jusqu’à près d’un mètre, inondation de nombreuses zones côtières menaçant des centaines de millions d’habitants contraints à l’exil ; aggravation de phénomènes météorologiques extrêmes tels que les tempêtes (on cite souvent l’exemple récent de l’Ouragan Sandy), les cyclones, les crues fluviales.
C’est un bouleversement complet des écosystèmes et des équilibres naturels de la planète que nous laissent envisager les modèles des climatologues.
Les atouts de l’énergie nucléaire
La production d’énergie représente à elle seule 60% de la production de CO2. La production d’électricité représente 25%. Elle offre un potentiel important de réduction, dans la mesure où des techniques de production, nucléaire et renouvelables existent aujourd’hui. Aussi, elle est amenée à croître. On anticipe en effet d’ici 2030 un doublement de la demande d’électricité, liée à la fois à la croissance démographique (plus de 9 milliards d’habitants en 2050 d’après les Nations Unies) et à la hausse du niveau de vie dans les pays émergents.
Le nucléaire représentait en 2011, d’après l’AIE (Agence Internationale de l’Energie) 11% de l’électricité produite dans le monde, en comparaison avec les énergies fossiles à 68%, et les énergies renouvelables à 20% (dont 16 % d’hydraulique). Cette part, a priori modeste, et amenée à rester stable dans le futur, est très significative en termes d’émissions évitées. Même si elle n’est pas disponible dans tous les pays, l’énergie nucléaire est maîtrisée par la plupart des pays de l’OCDE, lesquels sont à la fois les plus gros consommateurs d’électricité et les plus importants émetteurs de CO2. Ce sont aussi ceux qui portent l’essentiel de la charge de réduction des émissions de CO2 d’ici 2050, dans les objectifs de Kyoto. Sur la base des données de l’AIE, un rapide calcul montre que la production électronucléaire a permis déjà d’éviter l’émission de 1,6 milliard de tonnes de CO2 en 2013.
Cette simulation est faite en prenant l’hypothèse que, si l’énergie nucléaire n’existait pas, sa production, soient 2 756 TWh en 2013, serait remplacée par une hausse correspondante de la production des autres sources (charbon, gaz, renouvelables) dans leurs proportions relatives actuelles (exception faite de l’hydro-électricité dont le potentiel de croissance est limité dans les pays développés qui disposent aujourd’hui de l’énergie nucléaire). Comment cette contribution à la modération des émissions de CO2 va-t-elle évoluer ? D’abord, le nucléaire sera toujours là en 2030. D’après l’Agence Internationale de l’Energie Atomique (AIEA), 438 réacteurs nucléaires opéraient dans le monde début 2014 pour une capacité de 374 GW, et 71 réacteurs étaient en construction.
L’AIEA prévoit une forte hausse de l’utilisation de l’énergie nucléaire dans le monde, entre 23% et 100% d’ici à 2030.
Quand les instances internationales omettent de mentionner l’énergie nucléaire
Le 22 janvier 2014, la Commission européenne a présenté à la presse les propositions du second « paquet énergie-climat » dans lequel se dessinent les contours d’une nouvelle politique énergétique européenne. Au programme : un objectif de réduction des émissions de gaz à effet de serre de 40%, en ligne avec les objectifs de Kyoto, et aussi un objectif de porter à 27% la part des énergies renouvelables dans la consommation énergétique totale de l’Union Européenne (UE).
Cependant, la Commission ne parle pas d’énergie nucléaire. Cette omission paraît bien paradoxale. En effet, l’énergie nucléaire représente aujourd’hui presque 30% de l’électricité produite dans l’UE, et assure au quotidien pas moins des deux tiers de son électricité décarbonée. 120 experts du GIEC ont de leur côté consacré un rapport entier en 2011 à des scénarios de développement des énergies renouvelables, indiquant un potentiel technique pour passer d’une part de 13% d’énergies renouvelables en 2010 à 80% en 2050. Ces scénarios permettraient d’atteindre l’objectif de 2% seulement de hausse de la température moyenne. Il est étonnant que le nucléaire, une des énergies non carbonées disponibles sur la même période dans un nombre important de pays de l’OCDE- qui sont justement des pays fortement émetteurs de CO2- ne soit pas étudié. De son côté, la Banque mondiale qui prépare des plans pour fournir de l’électricité à 42 pays exclue l’énergie nucléaire préférant favoriser l’hydraulique, la géothermie, le solaire et l’éolien. Selon son président, Jim Yong Kim, l’énergie nucléaire est une question « très politique » dont la Banque mondiale ne s’occupe pas.
En revanche, elle finance des projets de centrales à charbon, l’énergie la plus fortement émettrice de CO2. Cela a été le cas dernièrement en Afrique du Sud, pays qui pourtant dispose aujourd’hui de l’énergie nucléaire. Dans chaque cas, on constate l’influence de pays ou d’organisations non-gouvernementales pour qui le nucléaire est une source d’inquiétudes, par exemple en termes de sûreté, ou en termes de non-prolifération. Ces débats, légitimes, ne sont pourtant pas du ressort des politiques climatiques. Ils sont du ressort et du pouvoir de contrôle d’une autre agence de l’ONU, l’AIEA à Vienne. Exclure du coup le nucléaire de la liste des options a pour effet de limiter les choix de solutions techniques et de mesures gouvernementales pour atténuer les risques du dérèglement climatique. Cela fait courir des risques de délais ou d’échec dans l’atteinte des objectifs de réduction des émissions des gaz à effet de serre. Il est clair pourtant aujourd’hui que, pour stabiliser la teneur en CO2 de l’atmosphère, il faudra mettre en œuvre des politiques d’envergure, faisant appel à l’éventail le plus complet possible de technologies et d’instruments économiques et réglementaires. Intégrer l’option nucléaire relève à ce stade du principe de précaution.
Ainsi, les scénarios qui prévoient 85% de renouvelables en 2050, et qui argumentent qu’on n’aurait pas besoin de nucléaire, semblent des paris très incertains, et des hypothèses fragiles en termes de technologies, de financements, et de volonté politique. Un porte-parole du World Energy Congress (WEC) annonçait ainsi récemment que la consommation mondiale de charbon augmentera encore de 25% d’ici 2020 au niveau de 4 500 Mtep. Elle dépassera alors la consommation de pétrole à 4 400 Mtep, et deviendra ainsi la première source d’énergie du monde. On estime ainsi que la moitié de la nouvelle capacité énergétique construite en Chine d’ici 2020 sera à base de charbon. Cette capacité sera encore opérationnelle en 2050.
Pourquoi le développement des renouvelables ne rime pas forcément avec diminution des émissions de gaz à effet de serre
Le 29 janvier 2014, le Commissariat Général à la Stratégie et à la Prospective (CGSP) dressait le même constat que le cabinet de conseil Capgemini avant lui : le marché européen de l’électricité, mis à mal par l’afflux non maîtrisé sur le réseau d’énergies intermittentes subventionnées, est en crise. Pour rompre avec cette situation, le CGSP plaide pour que la réduction des émissions de gaz à effet de serre (GES) soit la première priorité du paquet énergie-climat 2030. En termes de lutte contre réchauffement climatique, la priorité est, elle aussi bien sûr, de réduire les émissions de gaz à effet de serre. Aussi, il est inexact de penser, comme le laisse supposer la Commission européenne, que l’augmentation de la part des renouvelables dans le mix énergétique conduit nécessairement à une diminution des émissions de CO2. Cette relation est complexe, et dépend du contexte lié à chaque pays. On peut ainsi citer en Europe trois exemples très différents.
Le premier exemple est l’Allemagne. Le pays a fortement investi ces dernières années dans l’éolien et le photovoltaïque, dans le cadre de son programme « Energiewende » (le « tournant énergétique »), lequel prévoit aussi la sortie du nucléaire en 2022. Les énergies renouvelables ont représenté 22% de la production d’électricité en 2012, pour des subventions de 20 milliards d’euros par an. Pourtant, en 2012 le pays a connu une hausse de 1,8% de ces émissions de CO2. Dans le même temps où la part d’électricité nucléaire a diminué, la part du charbon s’est développée au-delà de 40%, avec une augmentation de 4,2% des émissions associées. En décembre un accord gouvernemental a plafonné la part des renouvelables à 60% du mix en 2035, reconnaissant par là même que la production d’électricité par les énergies fossiles demeurerait à au moins 40%. Dans le cas de la France, 90% de l’électricité produite aujourd’hui est décarbonée, avec 75% de nucléaire, et 15% de renouvelables, principalement hydro-électrique.
Dans ce cas précis, il est clair que l’augmentation de la part des renouvelables dans le mix électrique n’aura guère d’impact en termes d’émissions de CO2. La part des énergies fossiles qui restent dans le mix est nécessaire à la gestion de la pointe. En revanche, la France dispose d’un fort potentiel de réduction des émissions dans le transport, et surtout dans le chauffage, où le fioul et le gaz peuvent être substitués par une augmentation du parc de pompes à chaleur, la biomasse, et le biogaz.
Enfin, le troisième exemple est celui du Royaume-Uni. Historiquement marqué par ses mines de charbon, puis par son exploitation du pétrole et du gaz naturel off-shore en Mer du Nord, le pays est devenu, depuis quelques années, importateur net de gaz. 70% de son électricité est encore carbonée. Pour réduire ses émissions, le Royaume-Uni a choisi des investissements massifs à la fois dans l’éolien et dans le nucléaire. Ainsi, il est aujourd’hui le troisième producteur d’électricité éolienne en Europe, et accueille la moitié de la base installée européenne d’éolien offshore. Dans le nucléaire, il vient d’annoncer un accord pour la construction de deux EPR, centrales nucléaires de toute dernière génération, à Hinkley Point. Il projette quatre unités additionnelles. Dans ce cas précis, le Royaume-Uni a optimisé entre les renouvelables et le nucléaire, en fonction de ses propres ressources et contraintes.
Une nouvelle génération d’écologistes réhabilitent le nucléaire comme outil de lutte contre le réchauffement climatique
Dans son film documentaire « Pandora’s Promise », sélectionné en 2013 au Festival indépendant de Sundance, et présenté au Traverse City Film festival organisé par Michael Moore, le réalisateur américain Robert Stone retrace les trajectoires personnelles de plusieurs militants écologistes et d’experts de l’énergie dont les convictions, initialement anti-nucléaires, ont évolué. Financé de manière indépendante, le film aborde leur déception et leur manque d’espoir dans les processus internationaux de lutte contre le réchauffement climatique, et dans la capacité des énergies renouvelables à pallier la croissance et la domination mondiale du charbon. Il aborde aussi les mythes et les connaissances relatifs à la question du nucléaire, souvent très émotionnelle. Le film est significatif de la tendance qui se développe, au sein de différents groupes écologistes, de revenir sur des positions d’opposition drastiques au nucléaire. Ces nouvelles générations de militants reconnaissent, sous conditions de sûreté renforcée, une place au nucléaire dans la lutte contre le dérèglement du climat.
Le documentaire, qui a été diffusé au grand public aux Etats-Unis sur CNN, n’a pas trouvé de chaîne de télévision européenne pour le diffuser. Il est disponible aujourd’hui en téléchargement sur Itunes. Quatre grands climatologues américains, professeurs d’université et experts internationalement reconnus dans ce domaine, Dr. Ken Caldeira (Carnegie Institution), Dr. Kerry Emanuel (Massachusetts Institute of Technology), Dr. James Hansen (Columbia University Earth Institute) et Dr. Tom Wigley, Climate Scientist (University of Adelaide) ont encouragé ces initiatives, par une lettre ouverte publiée à l’automne 2013 dans le Washington Post. Dans cette lettre, ils interpellent les organisations écologistes traditionnelles: « l’opposition continue à l’énergie nucléaire menace la possibilité pour l’humanité d’éviter un changement climatique dangereux ». Ils les invitent à soutenir « la mise en œuvre et le développement de systèmes de centrales nucléaires plus sûres comme moyen pratique de résoudre le problème du changement climatique ». Enfin, ils concluent en disant qu’ « il n’y a pas de chemin crédible à la stabilisation du climat qui n’inclut pas un rôle important pour l’énergie nucléaire ».
Ces mouvements, comme par exemple le think-tank indépendant californie, The Break Through Institute, fondé par des anciens membres du Sierra Club, se développent dans les pays anglo-saxons. Ils participent à des débats contre les anciennes générations d’écologistes anti-nucléaire, comme par exemple Ralph Nader lors du débat qui a suivi la projection sur CNN du film Pandora’s Promise. Ils entendent faire passer leur message en préparation au Sommet du Climat qui se déroulera à Paris en décembre 2015.
Article paru dans Green Innovation numéro 3