2015 : quel rôle pour l’énergie nucléaire au Japon ?
En 2011, le tremblement de terre et le tsunami ont détruit quatre des six réacteurs de Fukushima Daiichi. Un peu plus d’un an après, tout le parc nucléaire japonais était mis à l’arrêt. Alors que les 54 réacteurs fournissaient 30 % de l’électricité du pays, le Japon devait revoir son mix énergétique, réduire sa consommation d’électricité et se trouvait dans l’obligation d’importer massivement des énergies fossiles. Quatre ans plus tard le retour du nucléaire se profile, encouragé par le Gouvernement pour améliorer la situation économique et sous le contrôle de l’autorité de sûreté rendue indépendante.
Les « 3 E » : Énergie, Environnement, Économie
Archipel montagneux moitié moins grand que la France, constitué de plus de 6 000 îles, le Japon est un pays isolé sur le plan énergétique, sans connexions électriques, ni réseaux d’oléoducs ou gazoducs le reliant à ses voisins. C’est pourtant un pays de 127 millions d’habitants (le double de la France), très industrialisé. Ne disposant d’aucune ressource énergétique, sauf éventuellement celle de l’océan (le pays dispose d’importantes ressources géothermiques. Le principal obstacle à leur exploitation réside dans l’existence de parcs nationaux protégés qui en concentrent plus de 60 %), le Japon a donc dû accroître sa dépendance aux importations d’énergies fossiles pour asseoir son développement.
En 1950, le pays en pleine reconstruction exploite ses ressources hydrauliques puis, dans les années 1960, commence à importer massivement du charbon et du pétrole. Le choc pétrolier de 1974 amène le Japon à créer puis développer son parc nucléaire. Tout en maîtrisant sa consommation d’énergie. En 1994, en signant le protocole de Kyoto, le Japon s’engage à réduire ses émissions de gaz à effets de serre. En 2002, la loi sur l’énergie confirme le programme énergétique basé sur les « 3 E » : Energy security (sécurité énergétique), Environment conservation (préservation de l’environnement) et Economic competitiveness (compétitivité économique). Le but est clair : garantir l’indépendance énergétique nationale, grâce notamment au parc nucléaire, diversifier les ressources énergétiques, continuer à développer le meilleur bouquet électrique possible et enfin, donner la priorité aux économies d’énergies. La loi de 2002 prévoit également de revoir le plan énergétique tous les trois ans et de présenter chaque année à la Diète (le Parlement japonais) une évaluation de la situation énergétique nationale. En 2008, le Gouvernement DPJ (dans l’opposition actuelle) imposait un objectif CO2 important, entraînant un objectif d’accroissement du nucléaire de 30 à 50 %.
L’après Fukushima
L’accident de Fukushima remet tout en question. Les centrales nucléaires font l’objet d’évaluations de sûreté complémentaires et les 48 réacteurs encore en fonctionnement (soit une puissance installée totale de 44 GW) sont arrêtés préventivement. Les anciennes centrales à charbon et fuel sont alors sollicitées pour sécuriser la production électrique de base et fournissent 90 % de l’électricité consommée. L’importation massive d’énergies fossiles en provenance des pays du Moyen-Orient, représente plus de 3 700 milliards de yens (26 Mds€) chaque année et impacte lourdement les factures d’électricité des ménages (+20 à 30 %) et des entreprises (+30 %). Effet direct du redémarrage des centrales thermiques à flamme, les émissions de CO2 augmentent de 10 %, conduisant le Japon à abandonner les objectifs qu’il s’était fixés dans le cadre du Protocole de Kyoto. L’accident a également eu pour conséquence la défiance du public envers l’énergie nucléaire.
Le programme des 3 E n’a pour autant pas été remis fondamentalement en cause. Il s’appuie toutefois désormais sur le « S » de Sûreté (Safety). Il s’agit de bâtir une structure de demande et d’offre énergétique diversifiée et flexible, intégrant les risques géopolitiques qui pèsent sur la fourniture d’énergie. Dans l’optique de la COP21, le Japon a confirmé sa volonté de réduire ses émissions de gaz à effets de serre, et le chiffre de 20 % d’ici 2030 a été cité en avril 2015 comme une hypothèse de travail. Contre une réduction de l’ordre de 3 % depuis 2011, au même niveau que dans les années 1990.
Alors que le Gouvernement précédent avait envisagé une sortie totale du nucléaire, le Gouvernement nippon s’inscrit désormais dans une perspective de redémarrage – après autorisation de l’Autorité de sûreté (NRA) – de plusieurs réacteurs en 2015, de démantèlement d’autres et de constructions nouvelles. Regagner la confiance des populations est toutefois un élément majeur de cette politique.
Le 4ème plan énergétique japonais souhaite utiliser l’énergie nucléaire pour une production « de base », bas carbone, quasi-domestique (l’importation de matière première est minime) et contribuant à l’équilibre offre/demande. Toutefois, la dépendance au nucléaire sera réduite au maximum, par une politique de maîtrise de la consommation, l’introduction des énergies renouvelables dans le mix et l’amélioration des performances environnementales des centrales thermiques à flamme. La part du nucléaire dans le mix électrique sera examinée à l’aune de plusieurs conditions : les contraintes énergétiques du pays, la réduction des coûts, le changement climatique et le maintien à haut niveau des technologies et des ressources humaines.
Le redémarrage du nucléaire
La création en septembre 2012 de la Nuclear Regulation Authority (NRA) – nouvelle autorité de sûreté, remplaçant la NISA, mise en cause après l’accident de Fukushima – a été une première étape. La NRA, désormais renforcée par l’arrivée en son sein des techniciens de l’IRSN japonais, a établi en 2013 de nouvelles règles, tirant les leçons de l’accident. Les énergéticiens doivent maintenant remettre les rapports de leurs évaluations de sûreté, conformément aux règles édictées. Après l’accord de la NRA sur le design des projets, la validation du design final, une inspection préalable à la mise en service et une revue de sûreté des spécifications techniques sont autant d’étapes obligatoires dans le processus réglementaire de mise en service. Et pour redémarrer les centrales fermées après Fukushima, l’accord des autorités locales est également requis.
En août 2015, 3 réacteurs (en plus de Sendai 1) sont prêts à redémarrer à court terme (dernière phase d’inspection de la NRA en cours, accord des autorités locales obtenu pour les deux premiers, bien engagé pour les deux suivants). Les exploitants préfèrent concentrer leurs efforts et ressources sur les réacteurs les plus puissants et les moins anciens, et ont décidé en parallèle de la mise à l’arrêt définitive de 5 réacteurs. Ainsi, Kansai Electric Power Co.(KEPCO) a annoncé l’arrêt de 2 réacteurs de la centrale de Mihama (REP, 340 MWe et 500 MWe), Japan Atomic Power Company (JAPC) la fin de l’exploitation de Tsuruga 1 (REB, 357 MWe), Chugoku Electric Power Co. l’arrêt de Shimane 1 (REB, 460 MWe) et Kyushu Electric Power Co. celui de Genkai 1 (REP, 559 MWe).
Cependant, pour exploiter son parc nucléaire, le Japon s’engage auprès de sa population et de la communauté internationale. Si le pays est convaincu que le nucléaire est une technologie qui doit être utilisée pour lutter contre le réchauffement climatique, il sait aussi qu’il doit tirer tous les enseignements de la catastrophe de Fukushima et améliorer sans cesse la sûreté de ses installations. Les Japonais souhaitent développer la coopération internationale en matière de sûreté et de démantèlement. Ils veulent bénéficier de l’expérience de la communauté internationale sur le chantier de démantèlement de Fukushima Daiichi. Le Japon souhaite également soutenir l’accès au nucléaire de nouveaux pays et contribuer activement à la non-prolifération et à la sûreté, prenant même le leadership de projets de R&D sur les technologies nucléaires innovantes.
Selon les médias nippons, l’exécutif souhaiterait que 44 % de son électricité soit décarbonée. Il estime dès lors que le nucléaire doit générer de nouveau, d’ici à quinze ans, de 20 % à 22 % de l’électricité du pays, quand les énergies renouvelables pèseront, elles, à cette date, entre 22 % ou 24 %. Actuellement, les centrales solaires, les barrages et autres éoliennes produisent un peu plus de 10 % de l’électricité consommée dans l’archipel.
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