1/7 – De la difficulté d’imaginer le monde de demain
Depuis quelques années, les scénarios énergétiques se sont multipliés, notamment ceux qui imaginent que l’on pourrait se tourner vers un mix « 100 % renouvelable » à horizon 2050. Que l’on juge ces prévisions fantaisistes ou réalistes, il n’en demeure pas moins qu’elles orientent la décision politique. Reste qu’en matière d’énergie, 2050 est un horizon très (trop ?) lointain.
Qui peut dire aujourd’hui quelle filière sera compétitive dans 20 ans ? Qui sait quand le stockage sera accessible à un prix raisonnable ? Personne. Mieux vaut donc être humble et regarder à des horizons plus rapprochés : 2020, 2030 et 2040. Dans ce dossier consacré à « la place du nucléaire dans les scénarios énergétiques », les experts font le point.
France : le digital au service de la transition énergétique
L’Union française de l’électricité (UFE) montre que l’alliance des technologies de production et des NTIC fera émerger un nouveau système électrique, dit « #4.0 ». En 2040, la transition énergétique tirera le meilleur parti de la digitalisation pour s’adapter au nouveau mode de consommation notamment, la démocratisation des objets connectés permettra de réduire la facture énergétique des ménages, l’essor des smart cities fera évoluer le modèle électrique français vers davantage de décentralisation… Et le nucléaire dans tout ça ? L’atome restera le socle du système permettant la montée en puissance des énergies renouvelables au fur et à mesure que celles-ci deviendront compétitives.
Pas de bouleversement pour le mix électrique américain
En 2040, l’Agence d’information sur l’énergie américaine prévoit une poursuite de l’augmentation progressive de l’utilisation du gaz au détriment du charbon, un déploiement des énergies renouvelables et un maintien de la capacité nucléaire au niveau actuel (99 GWe). Dans un contexte où le secteur financier exprime des réticences à soutenir des projets coûteux de rentabilité à long terme, les petits réacteurs modulaires (« SMR ») – moins capitalistiques – pourraient être le futur du nucléaire américain.
Le modèle chinois se réinvente
En Chine, où la production d’électricité reste dominée par le charbon, la plupart des documents prospectifs officiels s’inscrivent à l’horizon 2020. Le plus important de ces documents est le 13e plan quinquennal qui, une fois acté, prévoirait de monter le rythme de construction de centrales nucléaires de 4 à 5 par an aujourd’hui à 6 à 8 entre 2016 et 2020. Un rythme soutenu qui n’est pas sans rappeler l’exploit industriel réalisé par la France dans les années 1970 et 1980. En 2020, l’atome représenterait 4 à 5 % du mix électrique chinois. Le charbon préserverait sa première place malgré la montée en puissance de l’éolien, du photovoltaïque, et de l’hydro-électricité.
Vers une Europe totalement verte ?
En 2050, la Commission imagine que les renouvelables pourraient fournir 40 % de l’électricité de l’Union européenne et l’hydraulique 10 %. Reste que même à ce niveau de pénétration des renouvelables, une production conventionnelle – si possible bas carbone (nucléaire ?) serait nécessaire. Selon Eurelectric, dans le mix électrique de 2050, nucléaire et renouvelables fourniraient autant d’électricité l’un que l’autre : 25 %.
Monde : déploiement du nucléaire jusqu’en 2050
Si les scénarios les plus fréquents sont normatifs et visent à guider le monde vers un objectif précis, comme la réduction des émissions de CO2, le Conseil mondial de l’énergie (CME) a adopté une approche « exploratoire » permettant d’évaluer quels seront, en 2050 les domaines, qui changeront vraiment la donne (voir en page 32). Dans le cadre de la lutte contre le changement climatique, l’Agence internationale de l’énergie (AIE) appelle à une décarbonisation du secteur de l’électricité d’ici 2050. Dans son scénario 2DS, considéré comme sa vision la plus efficace pour tenir l’objectif de 2 °C, l’AIE projette que la capacité brute nucléaire pourrait plus que doubler d’ici 2050, passant d’environ 400 GWe à 930 GWe. Soit une augmentation de la part du nucléaire dans le mix électrique mondial de 11 à 17 %. Selon l’Agence, le nucléaire est la technologie bas carbone qui permet de réduire le plus les émissions de CO2 jusqu’en 2050.
Quelle place pour l’industrie française dans ces scénarios ?
La filière nucléaire française dispose d’atouts que les événements récents ne sauraient remettre en cause. D’abord, la filière dispose d’une offre globale pour le développement du nucléaire : de la construction de réacteurs, aux combustibles nucléaires, en passant par la recherche et la formation de professionnels. Compte tenu de ce savoir-faire, les débouchés pour les acteurs français sont très importants dans les pays qui recherchent un partenaire stratégique : en Europe (Royaume-Uni, Pologne), dans les pays qui redémarrent leur programme (Brésil, Argentine et Afrique du Sud) et surtout en Chine, premier marché nucléaire au monde.
Depuis Daya Bay (construite en partenariat entre EDF et CGNPC dans la province du Guangdong), la France et la Chine savent travailler ensemble. Une histoire toujours vivace puisque 77 % des réacteurs en exploitation, 75 % des réacteurs en construction et 25 % des projets avancés sont liés à la technologie française. Les entreprises s’appuient sur la supply chain française, même pour des projets hors filière française. D’autant que le partenariat franco-chinois prend une nouvelle dimension. Après le ticket EDF-CNN pour la construction de deux EPR au Royaume-Uni (projet Hinkley Point C), la filière nucléaire renforce son partenariat stratégique avec la Chine avec la coopération AREVA-CNNC et l’entrée probablede l’électricien chinois dans le capital du géant français.
Cependant, comme l’a rappelé Charles-Antoine Louët, sous-directeur de l’industrie nucléaire à la DGEC (Direction générale de l’énergie et du climat), lors d’un événement SFEN : « En 2050, l’industrie nucléaire française n’a pas de place gardée (…) Pour se développer, elle n’a plus le droit à l’erreur : il faudra délivrer les chantiers dans les délais. C’est une question de survie ». L’humilité et le travail sont donc de rigueur. Un message également porté par Daniel Verwaerde, Administrateur général du CEA et Philippe Knoche, Directeur général d’AREVA.