Sûreté nucléaire : les tentatives d’harmonisation
Dans la filière nucléaire, de nombreux acteurs en appellent à une réglementation de sûreté internationale et homogène, comme il en existe dans l’aéronautique. Serpent de mer ou future réalité ? A différentes échelles, mondiale, européenne, des régulateurs ou des industriels, on note un début d’organisation pour homogénéiser les normes et pratiques. La route est encore longue, mais des étapes ont déjà été franchies. Zoom sur deux initiatives qui commencent à porter leurs fruits : MDEP (« Multinational Design Evaluation Programme ») et WENRA (Association des autorités de sûreté nucléaire des pays d’Europe de l’Ouest).
Les industriels ont besoin d’harmonisation
L’absence d’harmonisation – ainsi que l’instabilité et l’imprévisibilité des processus réglementaires qui en découlent – est source d’aléas pour les industriels. Pour Pierre Colin d’ATMEA, « il est difficile d’adapter un produit à différentes réglementations. A l’exception de la Chine, il n’existe pas de gros marchés, il n’est donc pas raisonnable d’avoir des réglementations différentes pour plusieurs petits marchés. »
De son côté, Françoise de Bois (AREVA) estime que « le véritable défi ne réside pas tant dans les différences entre les réglementations nationales que dans les exigences de chaque autorité de sûreté en matière de démonstration ».
Dans ce contexte, l’atout majeur des entreprises comme AREVA est leur expérience. En travaillant sur des projets dans différents pays, elles ont été au contact d’autorités de sûreté aux exigences diverses. L’accumulation de cette connaissance est précieuse. C’est un atout pour, à terme, proposer des produits « tout terrain » à même de répondre aux exigences de plusieurs autorités de sûreté.
Pour Véronique Decobert (Westinghouse), « Le rythme de l’harmonisation ne peut résulter que d’un besoin partagé ». Partant du constat que tous les industriels, français comme étrangers, souffrent de ce manque d’harmonisation, elle considère que « »les frères ennemis » doivent s’unir pour mettre en place l’harmonisation », sans attendre les autorités de sûreté.
Les autorités de sûreté et les organisations support avancent
MDEP[1]
En 2006, les autorités de sûreté nucléaire chargées de l’évaluation réglementaire des nouveaux réacteurs (initialement EPR et AP1000) décident de renforcer leur collaboration. Depuis, ce forum porte deux ambitions : rendre les évaluations nationales plus robustes en s’inspirant des différentes pratiques des régulateurs et renforcer la cohérence entre les exigences réglementaires.
Aujourd’hui, MDEP réunit les autorités de sûreté de 14 pays, les « historiques » comme l’ASN (France), la NRC (Etats-Unis), le STUK (Finlande), RTN (Fédération de Russie), NRA (Japon) ou l’ONR (Royaume-Uni) ; les « bâtisseurs » ou « futurs bâtisseurs », NNSA (République populaire de Chine), NRR (Afrique du Sud) et AERB (Inde) ; et les nouveaux entrants comme la FANR (Emirats arabes unis).
MDEP s’articule autour trois groupes de travail :
- thématiques : contrôle commande, codes de construction, fabricants de gros composants, etc. ;
- les technologies de réacteurs ;
- liés à une certaine problématique comme l’étude des scénarios accidentels.
Les travaux menés par chaque groupe permettent d’aboutir à la publication de positions techniques qui sont le reflet des positions communes des autorités de sûreté une thématique. Depuis sa création, MDEP a publié une vingtaine de positions communes.
WENRA
Quand MDEP relève d’une dimension internationale, WENRA (« Western Europe Nuclear Regulators Association ») a pour mission le développement d’une approche commune de sûreté nucléaire, notamment réglementaire, à l’échelle de l’Union européenne. L’association fait en sorte qu’il n’y ait pas de différence substantielle en matière de sûreté entre les différents pays, tout en évitant deux écueils : superposer les différentes réglementations et chercher « le plus petit dénominateur commun ».
A sa création en 1999, WENRA avait pour mission de procurer à l’UE une capacité indépendante pour examiner les problèmes de la sûreté nucléaire et de sa réglementation dans les pays candidats à l’entrée dans l’Union. En 2000, WENRA a ainsi publié un rapport sur la sûreté dans les sept pays nucléaires candidats.
Le travail d’harmonisation des pratiques de WENRA se traduit par la publication de différents documents :
- des formulations de niveaux de référence en sécurité (« Safety Reference Levels ») basés sur les normes de sécurité de l’AIEA (Agence internationale de l’énergie atomique) et les meilleures pratiques nationales des pays membres ;
- L’auto-évaluation, via l’évaluation nationale de l’implémentation de ces normes, tant au regard de la loi que des pratiques effectives dans les installations pertinentes ;
- Examen des Safety Reference Levels, sur la base de d’analyses comparatives et des commentaires des parties prenantes ;
- Développement de plans d’action nationaux visant à modifier les systèmes juridiques nationaux et les pratiques en fonction des résultats des analyses comparatives.
D’autres initiatives
A MDEP et WENRA, il convient d’ajouter d’autres initiatives qui contribuent à améliorer la sûreté en Europe : la directive européenne sur la sûreté nucléaire, la création d’un groupe de représentants d’autorités de sûreté (ENSREG pour « European Nuclear Safety Regulator Group »), les stress-test européens, etc. A l’échelle internationale, par ces publications et l’inspection d’installations comme les OSART[1], l’AIEA forme le consensus international sur des questions essentielles à la sûreté nucléaire.
Si l’homogénéisation des pratiques n’est pas encore à l’ordre du jour, la conjugaison de ces actions contribue à l’amélioration du niveau de sûreté des installations dans le monde. Une première étape.
[1] Multinational Design Evaluation Program (Programme international d’évaluation du design)
[2] Operational Safety Assessement Review Team (Equipe d’évaluation de la sûreté en exploitation) : missions d’inspection de la sûreté des centrales nucléaires organisées par l’AIEA. Chaque année, une centrale nucléaire française fait l’objet d’une mission OSART
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