Vers la création d’une filière du démantèlement - Sfen

Vers la création d’une filière du démantèlement

Publié le 15 décembre 2015 - Mis à jour le 28 septembre 2021
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Dans les prochaines décennies, d’importantes perspectives s’offrent au marché du démantèlement nucléaire avec la mise à l’arrêt de plusieurs installations de recherche issues du début de l’épopée nucléaire. C’est pour répondre aux demandes d’un marché évalué à plusieurs centaines de millions d’euros par an que les acteurs du nationaux et locaux, entreprises, écoles d’ingénieurs, institutionnels, se sont réunis aux 3e Assises du démantèlement organisées à l’initiative de PVSI (Pôle de valorisation des sites nucléaires) sur le site de Marcoule (Gard). L’objectif est clair : créer une véritable filière industrielle du démantèlement.

Un territoire en ordre de marche 

Dans le Gard Rhodanien, l’intelligence collective porte ses fruits. Depuis plusieurs années, tous les acteurs se sont entendus pour faire émerger une filière industrielle du démantèlement et ont alloué des moyens au service de cette ambition. A l’image du député Patrice Prat qui consacre une partie de sa réserve parlementaire pour soutenir l’initiative phare : PVSI (« Pôle de valorisation des sites nucléaires »). Reconnu par le CSFN (Comité Stratégique de la Filière Nucléaire) pour sa contribution à la structuration de la filière d’assainissement-démantèlement, le PVSI s’agrandit et compte aujourd’hui 19 membres : les fondateurs (a CCI de Nîmes, le CEA Marcoule, l’Agglo du Gard rhodanien, le groupement d’entreprises Cyclium, l’agence de développement Invest In Gard, l’UPE 30, l’UIMM Gard-Lozère) auxquels EDF, AREVA, Onet, l’UNîmes, l’École des Mines d’Alès, notamment se sont rapidement joints.

DDans ce territoire où la filière nucléaire représente déjà 10 % du PIB de l’ex-région Languedoc-Roussillon, l’activité démantèlement pourrait apporter de nouveaux débouchés. Chaque année, sur le seul site de Marcoule, le CEA investit environ 300 millions d’euros pour démanteler ses installations. L’activité est pérenne car la grande majorité des chantiers concernés vont courir sur plusieurs décennies. Le démantèlement de Phénix, par exemple, devrait durer 30 ans. 

Près de Marcoule, le marché du démantèlement a fait émerger un écosystème où se côtoient les « majors », les petites entreprises et des compétences très pointues dans la robotique, la caractérisation, le conditionnement des déchets… Pour accompagner cette dynamique, créer des synergies et continuer à créer des emplois, plusieurs mesures ont été prises comme la création, il y a plus d’un an, du parc régional d’activités Marcel Boiteux pour rassembler en un même lieu les industriels, la recherche et la formation. L’inauguration, le 14 décembre, des nouveaux locaux de l’INSTN pour les besoins de formation en est un exemple. Les étudiants de l’antenne locale de l’Institut pourront bénéficier désormais d’un espace de 600m² où seront reproduites toutes les conditions de travail des chantiers de démantèlement. 

L’innovation au cœur de la stratégie 

Contrairement à une idée reçue, le démantèlement est un vivier d’innovations et peut être le point de départ à la création d’emplois « high-tech ». A Marcoule, les entreprises de la filière mettent au point des technologies de pointe (robotique, réalité virtuelle, mesure nucléaire et imagerie, etc.) qui permettront d’optimiser le démantèlement des installations du CEA, de ces partenaires, et au-delà pourrait ouvrir de nouvelles perspectives dans de nouveaux secteurs comme la dépollution d’anciens sites industriels – un marché annuel estimé à 43 milliards d’euros par l’Ademe -, ou la déconstruction aéronautique, navale ou de plateformes de chimie industrielle. De nombreuses techniques seraient transférables : valorisation et recyclage des métaux, travail en environnements confinés, décontamination, robotique appliquée, etc.

Le digital s’est énormément développé dans le secteur. Pour optimiser les chantiers d’assainissement-démantèlement, les équipes de Marcoule ont recourt à la simulation interactive pour valider la faisabilité des opérations. Les technologies de réalité virtuelle (vision stéréoscopique, capture de mouvement, interfaces à retour d’effort…) se déploient. Loin d’être un gadget, cette technologie permet de fiabiliser les scénarios d’intervention et la conception des équipements mis en œuvre, et in fine contribue à réduire les risques projets. 

Côté robotique, le CEA Marcoule a présenté mi-décembre son robot MAESTRO. Ce bras robotique est actuellement testé pour démanteler l’usine de retraitement de combustibles de Marcoule arrêtée en 1997. Les premières découpes des morceaux les plus radioactifs de l’usine ont commencé. Fruit de 10 ans de développement du CEA et Cybernetix, MAESTRO peut porter des équipements capables d’effectuer plusieurs opérations (mesures radiologiques, découpes mécaniques ou laser, manutention à distance…) dans un espace hautement radioactif inaccessible à l’homme et à la plupart des autres robots.

Au total, démanteler l’installation demandera quarante ans, durée propre aux installations de recherche et du cycle du combustible nucléaire. En effet, compte-tenu de leur singularité et de leur utilisation pour la recherche, les effets de série sont presque inexistants. A l’inverse, les réacteurs électronucléaires issus de modèle standard autorisent des économies d’échelle et la réduction du temps de déconstruction. 

Les défis de la filière démantèlement 

Les deux tiers des installations nucléaires aujourd’hui en fin d’exploitation sont exploitées par le CEA. L’organisme de recherche consacre chaque année 740 millions d’euros et mobilise près d’un millier de personnes sur ces activités d’assainissement-démantèlement.

Pour Christophe Béhar, Directeur de l’Energie nucléaire au CEA et président de la SFEN, la problématique principale réside dans les coûts à terminaison « qui ne sont pas toujours tenus ». En cause, le manque de retour d’expérience ou sa difficile exploitation au regard de la singularité des installations démantelées… Dans ce contexte, M. Béhar propose notamment de « refonder les modes contractuels » entre les donneurs d’ordre et les partenaires extérieurs et de mener une réflexion sur « un meilleur partage des risques ». La solution pourrait aller vers une relation gagnant/gagnant inspirée des modes de contractualisation anglo-saxons.

L’activité démantèlement d’AREVA est, elle aussi, en croissance, entre +15 et +20 % par an entre 2010 et 2015. Si 3 700 collaborateurs du groupe travaillent dans ce secteur, Eric Bürger (AREVA) tient à rappeler que « les expériences montrent que seuls 20 % des effectifs présents pendant la phase d’exploitation sont nécessaires »… Dit autrement, la filière démantèlement est nettement moins pourvoyeuse d’emplois que l’exploitation. La transition sociale est donc une composante structurante pour la réussite d’un chantier de démantèlement.

Les acteurs présents aux Assises du Démantèlement ont rappelé que la réussite d’un chantier de démantèlement était conditionnée à la capacité de l’ensemble des équipes à « s’organiser en mode projet » pour éviter les « stop and go » qui ralentissent les chantiers.

Les industriels s’interrogent aussi sur la réglementation qui est, pour une majorité d’entre eux, trop contraignante, et pas suffisamment compatible avec cette vision projet. Pour les entreprises d’une dizaine de salariés, les délais d’instruction pour la validation d’une technologie devraient être raccourcis pour fluidifier les projets. De même, les chantiers de démantèlement courent sur plusieurs décennies. Ces temps longs ne sont pas toujours compatibles avec les cycles et le rythme d’une PME tant en matière d’investissement de R&D que de de technologie et de compétences. 

 

Ces Assises ont révélé toute la qualité technique et organisationnelle de l’offre française, et le dynamisme du territoire du Gard Rhodanien. Les difficultés subsistent et de des verrous devront être levés pour aller vers une industrialisation de la filière du démantèlement nucléaire et, à terme, partir à la conquête des marchés internationaux. 

Crédits photo : CEA / Le Couster

Publié par Boris Le Ngoc (SFEN)