Wylfa : adieu à la 1ère génération de réacteurs - Sfen

Wylfa : adieu à la 1ère génération de réacteurs

Publié le 11 janvier 2016 - Mis à jour le 28 septembre 2021

Dès 1953, le gouvernement britannique décidait de s’engager résolument dans un programme nucléaire civil. Pour cela, il créait l’année suivante, l’AEA « Atomic Energy Authority », qui fédérait l’ensemble des développements dans ce domaine.

 

Le programme sur les réacteurs nucléaires de l’AEA s’inscrivait au départ dans la logique du prolongement et de l’extrapolation de la technologie des réacteurs destinés à la production de plutonium pour ses besoins militaires (comme va le faire d’ailleurs la France). Le choix fondamental fait à cette époque pour ces réacteurs électrogènes est celui des réacteurs modérés au graphite, car l’eau lourde était alors une matière rare et chère à fabriquer en grandes quantités (et c’est toujours le cas). De plus, l’eau ordinaire aurait nécessité un enrichissement de l’uranium selon une technologie que seuls les américains et les soviétiques possédaient, tout au moins à grande échelle. Quant au choix du fluide caloporteur, c’est un gaz – le CO2 sous pression – qui paraissait le meilleur compromis (l’autre alternative la plus crédible, l’hélium, meilleur que CO2, fut écartée en raison des problèmes technologiques que son emploi pouvait soulever). Enfin, le matériau de gainage du combustible ne pouvait pas être un acier en raison de ses captures de neutrons trop importantes, incompatibles avec l’utilisation d’uranium naturel. C’est donc un matériau métallique très peu absorbant de neutrons et compatible avec le CO2 qui fut retenu : le magnésium.  

Ainsi naît la filière nationale Magnox (pour MAGnesium-Non OXidising) qui va comprendre 26 réacteurs construits en Grande-Bretagne, un en Italie (Latina) et un autre au Japon (Tokai Mura). La construction du premier réacteur de démonstration, de puissance modeste (49 MWe net), débute en août 1953 sur le site de Sellafield (côte ouest de la Grande-Bretagne). Il est connecté au réseau le 17 octobre 1956, devenant le premier réacteur industriel électrogène du monde occidental (le premier « mondial » était le réacteur soviétique AM-1 connecté au réseau le 27 juin 1954, d’une puissance presque dix fois moindre). Cette installation pionnière, baptisée Calder Hall 1 (CH1), devient alors un symbole de progrès technologique et de modernité, ainsi qu’une démonstration des possibilités d’applications pacifiques de l’énergie nucléaire. Ce qui lui valut une inauguration officielle par Sa Majesté la reine d’Angleterre, Elisabeth II, le 17 octobre 1956.

La construction des 26 réacteurs Magnox a couru sur moins de dix ans, de 1953 (Calder Hall) à 1963 (Wylfa, au nord du Pays de Galles). La durée moyenne de construction de chaque réacteur a été de cinq ans, avec un record de rapidité pour Calder Hall 3 en deux ans et demi seulement. La durée de fonctionnement moyenne de ces 26 réacteurs a approché les 40 ans, performance très honorable pour cette première génération de réacteurs. Le record de longévité était détenu par Calder Hall 1 qui a fonctionné 47 ans ! 

Les derniers de la technologie Magnox ont été les deux réacteurs de Wylfa, de 490 MWe, tous deux connectés au réseau en 1971.

A la fin des années 1970, une nouvelle génération de réacteurs à graphite-gaz dite « AGR » (Advanced Gas Cooled Reactors) a été mise en service. Elle utilise comme combustible de l’uranium enrichi entre 2 et 3 % ce qui augmente très significativement les performances des réacteurs de cette filière. Par contre, le délai de construction a été de près de 12 ans en moyenne et ils ont rencontré de nombreux problèmes au cours de leur exploitation. Ils sont cependant toujours en fonctionnement et exploités outre-Manche par EDF Energy. 

Comment ça marche ?

L’association du graphite et de l’uranium naturel imposait pratiquement l’emploi de l’uranium sous sa forme métallique, car toute autre forme (un oxyde en particulier) eut entrainé une densité nettement plus faible en matière fissile, ce qui aurait été nuisible au bilan neutronique global déjà très tendu. Le choix du magnésium légèrement allié comme matériau de gainage limitait pratiquement la température maximale du CO2 à moins de 450 °C.

Le cœur du réacteur de Wilfa était constitué par un empilement de blocs de graphite percés de canaux (6 150 en tout) dans lesquels s’inséraient les éléments combustibles, avec un espace annulaire permettant l’écoulement du CO2 sous pression (26 bars), dont le débit était de 10 tonnes par seconde. Ce cœur était de très grandes dimensions (9 m de haut et 17 m de diamètre) et les masses en jeu énormes : près de 600 tonnes d’uranium et de 3 000 tonnes de graphite. Compte-tenu des températures de sortie du gaz (414 °C) et des puissances de soufflage nécessaires à la circulation du CO2 (60 MWe), le rendement électrique net n’était que de 26 %.

Le réacteur de Wylfa avait inauguré une conception tout à fait particulière et unique d’enceinte sous pression : un caisson très épais (3,35 m) en béton précontraint de forme intérieure sphérique, de 29,3 m de diamètre interne. C’est dans cette énorme enceinte qu’était logé l’unique échangeur principal CO2 / eau-vapeur contenant plusieurs modules, de forme annulaire et disposé autour du cœur. 

 

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Machine de chargement et déchargement au-dessus du coeur –  réacteur de Wylfa, Grande-Bretagne

 

Hommage aux bâtisseurs

Le réacteur n°2 de Wylfa a été arrêté définitivement en avril 2012. Le réacteur n°1 vient de terminer sa carrière le 30 décembre 2015, après 44 ans de bons et loyaux services avec un facteur de charge moyen de 42 %. C’est le dernier réacteur au monde de cette « première génération » qui s’est donc éteinte définitivement, il y a quelques jours.

Cet évènement marque ainsi la fin de ces tout premiers réacteurs conçus par les « pionniers » de l’énergie nucléaire, inventifs et audacieux. Ils nous ont laissé un incomparable héritage scientifique et technologique sur lequel reposent encore aujourd’hui bon nombre de connaissances de base, toujours utiles pour la conception des réacteurs d’aujourd’hui et de demain. 

Publié par Dominique Grenêche (Nuclear Consulting)