Réinventer le modèle économique du nucléaire - Sfen

Réinventer le modèle économique du nucléaire

Publié le 2 février 2016 - Mis à jour le 28 septembre 2021

Lutte contre le changement climatique, besoins d’électricité en hausse, quête d’indépendance énergétique dans un monde instable… les défis du secteur de l’énergie sont multiples et sans précédent. Plus que jamais, innover sera un impératif. Pour Markus Birkhofer, directeur de la R&D et de l’innovation chez AREVA, les entreprises de la Silicon Valley et l’industrie aéronautique utilisent des méthodes et des organisations qui peuvent inspirer le nucléaire. 

 

 

Trouver l’optimum technologie / marché 

Pour Markus Birkhofer, innover c’est d’abord partir des besoins du consommateur et du client. « Le nucléaire est actuellement très axé innovation technologique, regrette-t-il. Le risque est qu’une fois engagée dans la R&D, la technologie ne soit pas économique et un peu à côté du marché ». L’innovation implique donc de « se préoccuper en amont du modèle économique » pour trouver ensuite « un optimum » entre le service client et la technologie.

« Contre toute idée reçue, le nucléaire d’aujourd’hui a trouvé un optimum entre production d’électricité économique et sûreté » indique M. Birkhofer. Le nucléaire de demain – « qui pourrait très bien être une continuité du nucléaire d’aujourd’hui » – devra parvenir à ce même optimum. Pour l’avenir, le directeur de l’innovation d’AREVA est cependant préoccupé que « le nucléaire du futur n’arrive pas à se développer autant qu’il le faudrait pour lutter contre le changement climatique ». 

 

S’imprégner des nouvelles tendances

Pour innover, le nucléaire devra regarder les pratiques d’autres industries, comme les télécoms et l’aéronautique.

« En matière de rapidité pour mettre des nouvelles solutions sur le marché, se questionner, se réorienter, toutes les technologies numériques insufflent une proximité avec le marché, une écoute du besoin et assurent d’être au plus proche du consommateur final » s’enthousiasme M. Birkhofer. Pour lui, les technologies d’AREVA servent les opérateurs de centrales mais aussi et surtout, le consommateur final qui « allume son chauffage ou son ordinateur ». Prendre conscience de cela permettra d’innover autrement.

Markus Birkhofer s’intéresse aussi à « l’innovation ouverte ». Très développée dans le numérique, l’innovation collaborative permet à chacun de contribuer à un projet, de générer de la propriété intellectuelle. « Cette technique n’est pas encore suffisamment exploitée dans le nucléaire. Même si nous (AREVA) travaillons de plus en plus avec les PME ». Développer un écosystème de petites et moyennes entreprises est un moyen d’externaliser l’innovation. C’est la stratégie adoptée par la filière aéronautique. « Les groupes américains comme Boeing s’appuient sur des petites sociétés californiennes pour leurs innovations sur les grands systèmes. Il y a beaucoup d’avancées dans les matériaux – nanostructures, carbone, etc. – qui rendent possibles des applications inimaginables auparavant » explique M. Birkhofer. Cette responsabilisation de la supply chain permet d’innover plus rapidement et de gagner en agilité. Un atout dans une époque où tout s’accélère.

 

Les start-up de la fusion nucléaire avancent

Très au fait des tendances en matière de R&D, Markus Birkhofer a constaté qu’aux Etats-Unis, les entrepreneurs privés innovent parfois plus vite que des organisations financées par l’Etat, notamment dans le décodage du génome humain. Ce qui est vrai pour le génome humain peut-il l’être aussi pour le nucléaire ?

« Dans le domaine de la fusion nucléaire, il y a des start-up extrêmement prometteuses » estime M. Birkhofer. Actuellement, quatre milliardaires (Jeff Bezos d’Amazon, Peter Thiel de Paypal, Elon Musk de Paypal et Tesla, Paul Allen de Microsoft financent des start-up spécialisées dans la fusion : Tri-Alpha travaille sur un projet de réacteur proton-bore, Helion Energy pour un réacteur compact utilisable pour les voyages dans l’espace, General Fusion… Le marché du nucléaire évolue profondément avec l’arrivée de ces nouveaux acteurs qui ont besoin de résultats pour que les investisseurs privés restent et pour en séduire de nouveaux.  

« Le nucléaire a la possibilité de lancer un nouveau cycle d’innovation » estime le directeur de la R&D d’AREVA. Ce cycle, M. Birkhofer souhaite qu’il se construise avec la nouvelle génération : « Nous avons besoin d’apporter de la fraicheur dans nos réflexions de modèle économique et de technologie. Il faut une génération curieuse, passionnée, qui n’ait pas peur de bousculer les idées reçues. »

Le nouveau Steve Jobs viendra-t-il du nucléaire ?

Crédit photo – EDF

Publié par Boris Le Ngoc (SFEN)