Nucléaire : l’indispensable saut de compétitivité
Quelques semaines avant la publication de son rapport consacré à l’avenir de la filière nucléaire française, l’Institut Montaigne est venu présenter les grandes lignes de ce travail à la convention SFEN.
Sans dévoiler les propositions de son étude, le think tank indépendant a dressé le contexte et a rappelé les grands défis qui attendent l’équipe de France du nucléaire. Comme l’industrie spatiale, le nucléaire se trouve à un moment charnière et doit faire « un saut de compétitivité » pour se maintenir.
Des difficultés mais un contexte favorable
S’appuyant sur la phrase célèbre de Pierre de Coubertin – « chaque difficulté rencontrée doit être l’occasion d’un nouveau progrès » -, l’Institut Montaigne estime que les embuches d’aujourd’hui sont les opportunités de demain. « Il est possible de dessiner un avenir du nucléaire en France, en Europe et dans le monde » souligne Corinne Therond-Koos, rapporteur de l’étude de l’Institut Montaigne.
Plusieurs facteurs favorisent le développement de l’énergie nucléaire estime le think tank.
Premièrement, l’augmentation des besoins en électricité à l’échelle mondiale : « Selon l’Agence internationale de l’énergie, la demande d’électricité va augmenter de 33 à 60 % ».
L’institut Montaigne a évalué que pour répondre à cette augmentation tout en respectant les objectifs de la COP21, 32 000 éoliennes par an ou 32 EPR devraient être construits chaque année jusqu’en 2030. La tâche est immense, le think tank propose donc de « recourir à toutes les solutions bas carbone disponibles : les renouvelables, le stockage du CO2 et le nucléaire ».
Troisième et dernier facteur positif : le dynamisme du marché nucléaire à l’échelle mondiale. « Il y a la Chine qui construit à tour de bras – cette année, 24 réacteurs -, les pays qui renouvellent leur parc comme le Royaume-Uni, les primoaccédants comme la Pologne… autant d’exemples qui traduisent le dynamisme du marché ». Corinne Therond-Koos ajoute également que la plupart des grandes puissances font le choix de l’énergie nucléaire. « Sur les 15 premières puissances économiques, 12 ont du nucléaire dans leur mix énergétique. Elles investissent massivement dans l’énergie nucléaire que ce soit dans la rénovation, le renouvellement, la construction, ou dans la R&D ».
S’inspirer de l’industrie spatiale
Pour l’Institut Montaigne, si l’industrie française souhaite bénéficier de ce contexte favorable, elle devra affronter deux défis : l’acceptabilité et surtout le financement de ses projets.
Le think tank constate que les prix de l’électricité sont trop bas pour favoriser l’investissement dans le nouveau nucléaire. « Investir aujourd’hui dans un projet de réacteur nucléaire neuf, c’est une dizaine de milliards d’euros, un délai de mise en service entre 6 et 8 ans et des risques. C’est difficile pour les Etats, notamment européens, de s’engager dans de tels projets, sans parler des autres investisseurs » résume Corinne Therond-Koos.
L’Institut Montaigne estime que le nucléaire arrive à un moment charnière. Cette nouvelle page de son histoire est marquée par la montée en puissance de concurrents et l’arrivée de grands programmes (grand carénage et renouvellement des parcs de réacteurs de deuxième génération). Si la filière nucléaire française veut être au rendez-vous, elle devra faire « un saut de compétitivité ».
« L’industrie spatiale européenne connait une mutation similaire dans le cadre du développement d’Ariane 6 avec l’arrivée d’un nouvel acteur, Space X, qui s’est fixé comme objectif des gains de compétitivité de l’ordre de 40 % et ce, malgré les exigences très élevées du secteur » Mme Therond Koos. La réponse de l’industrie spatiale ne s’est pas fait attendre : Airbus et Safran ont créé une joint-venture, « ASF », dont l’objectif est de simplifier les schémas industriels, utiliser au mieux les compétences des deux entreprises et optimiser les coûts.
L’Etat doit prendre ses responsabilités
« Comme toute industrie, le nucléaire a besoin d’une visibilité sur ses besoins domestiques » rappelle l’Institut Montaigne qui pointe les conséquences de la loi sur la transition énergétique pour la croissance verte. Corinne Therond-Koos pose la question : « La loi affirme que le nucléaire est un socle mais, en même temps, fixe des plafonds. Qui investirait dans un tel contexte ? ». Et de conclure : « L’Etat doit faire preuve de clairvoyance et doit donner de la visibilité aux entreprises ».
Le travail de l’Institut Montaigne s’appuie sur plus de trente entretiens conduits auprès des industriels du nucléaire, des représentants des pouvoirs publics, d’universitaires et d’associations. C’est sur cette base que le rapport final proposera des pistes d’actions pour une transition énergétique. Il sera rendu public dans les prochains jours.