Les conséquences sanitaires de Tchernobyl
Le 26 avril 1986, suite au non respect de plusieurs consignes d’exploitation lors d’un essai programmé, le réacteur n°4 de la centrale de Tchernobyl (Ukraine) est soudain le siège d’un dégagement massif d’énergie qui entraîne sa destruction partielle, suivie d’un incendie et de la libération dans l’environnement des produits radioactifs contenus dans son cœur : uranium, plutonium et produits de fission ou d’activation (iodes, césiums, etc.). Durant plus d’une semaine, les éléments radioactifs se répandent dans l’atmosphère à des altitudes diverses, au gré de vents variables, dans l’environnement immédiat, puis dans toute l’Europe. L’accident n’est avoué que le 28 au soir. Il faudra attendre le mois d’août avant que des explications commencent à être apportées par les autorités soviétiques.
Les conséquences en URSS, Biélorussie et Ukraine
Une trentaine de pompiers des premières heures décèdent dans les semaines suivantes. Des milliers de « liquidateurs »[1] sont appelés à intervenir sur les ruines dans des conditions dramatiques. Ils subiront des doses aussi diverses que mal connues. Après un à deux jours de sidération, les évacuations sont mises en œuvre dans un désordre considérable. Des erreurs manifestes sont commises, comme l’absence de restriction à la consommation de produits lactés véhiculant les isotopes de l’iode qui iront se fixer préférentiellement dans la thyroïde. Et dont l’effet s’avère d’autant plus dangereux que le sujet est jeune.
Environ sept mille cancers de la thyroïde touchant des personnes âgées de moins de dix-huit ans ou in utero lors de l’accident ont été traités avec l’aide et les conseils des médecins occidentaux avec un bon pronostic[2],[3]. Ces cas de cancers ne sont pas tous liés à l’accident nucléaire : certains peuvent être spontanés, découverts lors d’un dépistage échographique.
Les données épidémiologiques concernant ces intervenants et la population continueront sans doute longtemps à être passionnément contestées car les statistiques n’ont pas été établies avec la rigueur nécessaire[4]. Les différences de niveaux de contamination, d’une région à l’autre de l’URSS, ne font pas apparaître en effet de différences nettes dans le taux d’apparition des cancers.
Aujourd’hui, les chiffres publiés par l’UNSCEAR[5] font foi : une cinquantaine de victimes à court terme, quatre mille décès « prématurés » peut-être, davantage calculés que réellement observés, mais aussi un très grand nombre de cas « sociaux », liés au transfert brutal des populations riveraines, avec ses conséquences indirectes sur leur santé. Cet organisme ne mentionne pas d’apparition de malformations congénitales en proportions anormales, confirmant les observations négatives faites à Hiroshima et Nagasaki.
En Europe et en France
La Suède est le premier pays à dénoncer l’arrivée d’air contaminé, le 28 avril 1986. La Pologne prend des mesures immédiates. Tous les pays se préparent. Le passage sur la France du panache radioactif, dans l’après-midi du 30 avril, fait le soir même à minuit l’objet d’un communiqué du Pr Pellerin, chef du Service Central de Protection contre les Rayonnements Ionisants, qui est lu le lendemain, 1er mai, à la télévision, par le journaliste en service, Noël Mamère. Toute la presse écrite en rend compte le 2 mai.
Une controverse[6] nait de la différence de réaction entre la France et l’Allemagne. Alors qu’on interdit en Allemagne la commercialisation de certains légumes à feuilles, on l’autorise en Alsace (comme si le « nuage » n’avait pas traversé la frontière…).
En France, le gouvernement se fie à son panel de radio-biologistes qui considèrent que, vu l’éloignement de Tchernobyl et les abaques dont ils disposent (calculs fondés sur l’étude de la propagation à longue distance des panaches des essais nucléaires), le risque sanitaire sera négligeable et qu’il n’y a donc pas lieu de donner matière à inquiéter la population inutilement.
En Allemagne, au contraire, les gouvernements des Länders, aux compositions politiques les plus diverses, se livrent à une surenchère sécuritaire pour mieux asseoir leur crédibilité. En conséquence, des milliers de femmes enceintes se font avorter en Allemagne, alors qu’on est très loin du seuil dangereux pour les fœtus.
Malgré les arguments solides exprimés par les radio-biologistes, la situation en Corse, mal documentée, reste controversée dans l’esprit du public.
Aujourd’hui, cependant, la polémique sur l’information du public n’a plus lieu d’être. Il a été clairement établi que les responsables administratifs et sanitaires ont diffusé leurs informations sans masquer la réalité des faits. Mais ils ne sont maîtres ni de l’exploitation plus ou moins orientée de ces données, ni des conclusions hâtives des non-spécialistes.
[1] Les « liquidateurs » sont les personnes civiles et militaires qui sont intervenues sur le site de la centrale ou dans les lieux les plus contaminés de la zone d’exclusion des 30 km. Ils ont effectué des travaux auprès du réacteur, décontaminé le site et ses environs et participé à la construction du sarcophage. De 1986 à 1987, 226 000 liquidateurs ont été employés. Leur nombre a augmenté ensuite en fonction des travaux de réhabilitation. Au total, ils sont 600 000 environ de 1986 à 1990.
[2] AURENGO A, DELBOT T, LEENHARDT L, FRANC B, EPSTEIN O, SIMONET ML, MOUTET A. prise en charge de 29 enfants atteints de cancer de la thyroïde à la suite de l’accident de Tchernobyl. Bull Acad Natle Méd, 1998, 182: 955-979
[3] LEENHARDT L, AURENGO A. Post-Chernobyl thyroid carcinoma in children. Baillière’s Clinical Endocrinology and Metabolism 2000, Vol 14, 4: 667-677.
[4] Tubiana M., Aurengo A., Averbeck D., Masse R. The debate on the use of LNT for assessing the effects of low doses. Journal of Radiological Protection 2006, 26, 317-324
[5] United Nations Scientific Committee on the Effects of Atomic Radiations, Comité scientifique de l’ONU sur les effets des radiations atomiques, créé en 1955 par l’Assemblée générale de l’ONU.
[6] Tchernobyl. Un « nuage » passe. Les faits et les controverses. B.Lerouge, Y.Grall, P. Schmitt L’Harmattan 2009
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