Un prix carbone pour accélérer la transition énergétique
Le système communautaire d’échange de quotas d’émission incarne la volonté politique de l’Union européenne en matière de lutte contre le changement climatique. La philosophie est la suivante : donner un prix aux émissions de CO2 pour déclencher les investissements de long terme requis par les objectifs politiques en matière de plafonnement des émissions et réorienter l’économie dans son ensemble vers une économie soutenable.
Depuis 10 ans, force est de constater que le prix du carbone ne joue pas son rôle : imprévisible, trop faible, capable de s’effondrer et de rester bas pendant des années, il favorise au mieux le verrouillage et au pire, les nouveaux investissements dans les technologies les plus émissives comme le charbon…
Un système d’échanges de quotas à bout de souffle
Des objectifs politiques en péril. Tenir le « cap » (réduire les émissions de 40 % par rapport à 1990 dès 2030) nécessite d’anticiper une trajectoire d’investissements, sans quoi le cap risque de ne pas être tenu. En 2011, le Canada était dans cette situation, ce qui l’a conduit à se désengager du protocole de Kyoto.
A l’exception de l’EU ETS, la quasi-totalité des cap-and-trade dans le monde dispose d’un mécanisme d’encadrement explicite des prix, avec pour conséquence un prix du carbone plus élevé qu’en Europe.
Un certain prix et un prix certain sont indispensables pour investir. Les investissements dans les énergies bas carbone n’auront lieu que s’ils sont économiquement rentables. Un prix du carbone prévisible, explicite et croissant créerait les conditions de cette rentabilité. Cette logique va à l’encontre du credo économique en vigueur actuellement au sein de la Commission Européenne.
Un instrument économique qui fonctionne, et pourtant… Pour de nombreux économistes et traders, le prix n’a pas d’importance pourvu que le marché fonctionne comme fonctionnent d’autres marchés de matières premières. Et de fait, du point de vue de l’instrument et des moyens, l’ETS fonctionne. Le problème réside dans le fait qu’il ne permet pas d’atteindre les objectifs qui justifient son existence, ce qui renforce l’exigence d’efficacité qui pèse sur les autres politiques publiques d’atténuation des changements climatiques. Or, ces autres politiques publiques, en faisant diminuer les émissions de CO2, font diminuer la demande en quotas et donc non seulement le signal prix mais le coût des émissions !
Les acteurs dont les revenus dépendent le plus des émissions de CO2 plaident donc logiquement pour que leur participation à l’ETS les dispense de se soumettre à ces autres politiques publiques.
Un enjeu d’équité et de crédibilité. Le prix des émissions de CO2 résulte d’abord de leur vente aux enchères par les Etats, principalement aux fournisseurs d’électricité. Dans le même temps, des quotas sont distribués gratuitement à la quasi-totalité des secteurs industriels. Un marché secondaire entre acteurs qui détiennent des quotas et peuvent se les échanger prolonge donc le signal prix, en parallèle des enchères. Si des Etats en développement (en Asie, Afrique, Amérique du Sud…) vendaient leur patrimoine « climat » aux enchères à n’importe quel prix – comme en Europe -, de nombreuses voix s’insurgeraient au nom de l’éthique à l’égard des générations futures et dénonceraient le discrédit des accords internationaux… Pourtant, c’est ce que fait l’Union Européenne, alors même qu’elle souhaite se présenter comme un leader mondial en matière de lutte contre le changement climatique.
Une réforme à portée limitée. La réforme de l’ETS engagée en 2012 prendra effet peu avant 2020 et portera des résultats vers 2030. On peut s’interroger sur la prise en compte de l’urgence climatique par le régulateur (limiter le réchauffement climatique à 2°C d’ici 2050). On peut également s’interroger sur la capacité des promoteurs d’un système défaillant à le réformer efficacement. L’idée selon laquelle le marché résoudra à temps le problème climatique demeure l’idée dominante au sein de la Commission.
Le projet de réforme de la Commission repose sur une « réserve de stabilité du marché », visant à contenir les quantités de quotas en circulation, quel que soit l’écart entre l’offre et la demande.
Le choix discrétionnaire d’un corridor de quantité est compatible avec le dogme de l’économie de marché comme panacée. Le choix discrétionnaire d’un corridor de prix est compatible avec l’impératif d’investir à temps dans la transition bas carbone. Le régulateur a choisi.
Son fonctionnement est assez simple : tant que le nombre de quotas en circulation excède 800 millions de tonnes, on s’abstient de mettre aux enchères annuelles pour les mettre en réserve, un volume égal à 12 % des quotas en circulation. Si le nombre de quotas en circulation se situe entre 400 Mt et 833 Mt, la réserve n’est pas déclenchée. Enfin, si le nombre de quotas en circulation est inférieur à 400 Mt, ce sont chaque année 100 Mt qui sont sortis de la réserve et ajoutés aux quotas vendus aux enchères.
Il est probable que la réserve de stabilité stabilise les quantités de quotas en circulation, mais les prix seront tout aussi imprévisibles qu’aujourd’hui. Et c’est précisément ce que souhaite la Commission Européenne.
Tant que les assujettis au marché de quotas de CO2 seront raisonnablement certains de trouver assez de quotas pour couvrir leurs besoins à terme (3 ans), il n’y a aucune raison pour que les prix montent. Dans le meilleur des cas, cela résulte de la diminution de l’intensité carbone de l’industrie et de la production d’électricité et de l’effet des autres politiques publiques. Cela peut également résulter de la désindustrialisation de l’Europe, de la conjoncture économique, de l’assèchement des liquidités mises à disposition des actifs les plus carbonés…
Si les prix montaient du fait de l’anticipation d’une rareté de quotas, c’est-à-dire du risque de ne pas avoir le droit de produire faute de pouvoir rendre assez de quotas, cela pourrait prendre la forme de hausses brutales (sentiment de panique contagieux), et mettre le système en risque sans nécessairement susciter les investissements requis.
Un prix plancher du carbone
La réduction des émissions de CO2 va de pair avec la réduction des autres émissions polluantes et contribue de fait à l’amélioration de la qualité de l’air et de la santé publique. Il s’agit d’un projet de société pour lequel la mobilisation n’a jamais été aussi large comme l’a montré l’Accord de Paris.
Le prix du quota de CO2 s’applique à tous les secteurs au travers l’EU ETS. Or, le prix nécessaire pour la viabilité économique des solutions les moins carbonées varie d’un pays à l’autre, d’un secteur à l’autre et dans le temps. Donc, en complément du « prix commun », des prix spécifiques complémentaires sont nécessaires, explicites (taxes) ou implicites (normes).
The Shift Project propose de démarrer avec un prix de réserve sur les quotas vendus aux enchères de 20 € par tonne de CO2 émis, croissant chaque année, de façon à ce que ce nouveau dispositif dispose de quelques années pour faire ses preuves sans porter atteinte à la compétitivité de nos entreprises, protégées par les quotas gratuits jusqu’à 30 € par tonne de CO2 émis.
Lors de la quatrième conférence environnementale, François Hollande a annoncé la mise en œuvre dès cette année d’un prix plancher du carbone. Avec un mix de production d’électricité 94 % décarbonné, cette décision valorise la compétitivité du nucléaire et des renouvelables, historiques (hydraulique) et nouvelles (solaire, éolien, etc.) et améliore les conditions d’investissement dans les énergies bas carbone. Pour aller plus loin, cette mesure devrait être complétée par une évolution de la réglementation thermique, orientée vers l’efficacité énergétique et la réduction des émissions de CO2, pour favoriser la substitution des énergies fossiles par de l’électricité bas carbone dans les usages énergétiques.
Cette mesure unilatérale démontre que la France attend, par effet d’entrainement, la mobilisation d’une coalition plus large de pays engagés pour coordonner plus efficacement les efforts. Si ce plancher était étendu à toute l’Europe, la réduction d’émissions serait portée à 100 millions de tonnes par an.
Crédit photo : EDF