Déchets radioactifs : qu’en dit la Nature ?
L’ignorance permet la propagation de peurs. Un exemple est celui des matières très radioactives sorties des réacteurs nucléaires. La peur et l’ignorance peuvent contribuer au refus de solutions pour ces déchets de haute activité avec le risque de léguer aux générations futures l’héritage de problèmes que nous n’aurions pas su gérer.
La Nature n’a pas de parti pris. Pour répondre de la manière la plus objective aux multiples et légitimes interrogations de nos concitoyens au sujet de ces déchets, le mieux est de la suivre. C‘est donc en s’en inspirant que nous avons tenté de répondre aux questions qui suivent et de fournir les principales données sur le sujet.
Qu’est-ce qu’un atome radioactif ?
C’est un atome instable dont le noyau émet des rayons. Il mérite d’être dédiabolisé ! Un atome radioactif se comporte comme un atome ordinaire. Il n’est ni plus mobile, ni davantage tenté de nous nuire. Ce qui le distingue c’est un instant unique de son existence où il émet un rayonnement. Cet instant, survient au bout de temps très variables, allant pour les déchets radioactifs de quelques années à des centaines de milliers d’années.
Quels sont les rayonnements émis ?
Ils sont de trois types que les physiciens des années 1900 appelèrent lors de leur découverte alpha, beta et gamma. Un noyau radioactif émet un rayon alpha ou béta, lequel est éventuellement accompagné d’un ou plusieurs rayons gamma.
Quels dangers présentent les rayons alpha, bêta et gamma ?
Dédiabolisons à leur tour ces rayons. Le parcours des rayons alpha et bêta n’excède pas quelques millimètres ou centimètres dans un milieu solide ou liquide. Si l’on n’ingère pas de matières radioactives, ils n’auront pas d’effets sur nous. Les rayons gamma analogues aux rayons X, en plus puissants, sont pénétrants. On s’en protège par des écrans. Un mètre d’eau ou de terre divise leur nombre par 1000 ou plus.
Sous quelles formes se présentent les déchets de haute activité ?
Ces matières peuvent être laissées telles quelles au sein des gaines de combustibles, ou bien comme en France extraites et regroupées dans des colis au sein d’une matière vitreuse. Leur volume annuel produit est de 150 m3, l’équivalent de 2 grammes par français et par an.
Comment la radioactivité décroit ? à quels rythmes ?
Comme une population en voie d’extinction, le nombre d’atomes radioactifs d’une espèce donnée diminue. L’activité radioactive qui représente le nombre de rayons émis chaque seconde décroit simultanément. La population d’atomes radioactifs et son activité sont divisés par 2 au bout d’un temps appelé période radioactive ; par 1000 au bout de 10 périodes. Ces périodes sont extraordinairement variables allant de 8 jours pour une variété d’iode, à 30 ans pour le césium-137 à 2 millions d’année pour le neptunium.
Quelle relation entre activité et durée de vie d’une espèce radioactive ? …
Le moindre gramme de matière contient des milliards de milliards d’atomes. De ce fait, le nombre des rayons émis chaque seconde par une espèce radioactive est élevé, même si un atome individuel doit attendre longtemps pour émettre ses rayons. Plus l’attente de cette émission sera longue, plus l’activité radioactive sera faible. Dans l’exemple du césium-137 et du neptunium-237 dont les périodes sont de 30 et 2 140 000 ans, le neptunium est 713000 fois moins actif à nombre égal d’atomes que le césium. Il disparaît au compte-gouttes.
Deux familles d’espèces radioactives : produits de fission et noyaux très lourds…
Les combustibles usés ou les colis de déchets vitrifiés contiennent toute une panoplie d’espèces radioactives classées en deux familles. La première est constituée par les produits de la fission nucléaire quand la capture d’un neutron casse en deux des noyaux d’uranium ou de plutonium. La seconde est constituée par des noyaux d’uranium qui ont grossi en capturant un ou plusieurs neutrons sans être cassés par une fission.
Quels sont les produits de fission ? Césium-137 et Strontium-90
La plupart des produits de fission retrouvent la stabilité en quelques jours, mois ou années. Ensuite, la radioactivité des deux principaux produits de fission subsistants, le césium-137 et le strontium-90, devient prédominante. Leur période est de 30 ans. Le césium est un puissant émetteur de rayons gamma, le strontium non. Ensuite, subsisteront après leur disparition, une poignée de produits de fission à vie longue très peu radioactifs dont la période va de 210 000 ans à 15 millions d’années.
Qu’en est-il des atomes plus lourds que l’uranium ? Plutonium et actinides mineurs
Le plus connu de ces atomes lourds est le plutonium dont une variété fissile est le plutonium-239. Un gramme de plutonium-239 produit autant d’énergie qu’une tonne de pétrole. Pour cette raison, il est retiré en France des colis de déchets. Les autres atomes plus lourds que l’uranium sont appelés actinides mineurs. Les principaux sont le neptunium et l’américium-241. L’américium dont la période est de 432 ans est le plus radioactif.
Que dire des noyaux plus lourds que l’uranium ? Toxicité radioactive mais faible mobilité.
Les noyaux d’atomes de plutonium et d’actinides mineurs émettent essentiellement des rayons alpha, rarement accompagnés de rayons gamma pénétrants. Le parcours de ces alpha est extrêmement court, mais ingérés les émetteurs alpha sont très radiotoxiques. Heureusement les atomes lourds sont très peu mobiles. S’ils ne l’étaient pas l’humanité n’aurait pas survécu à la présence beaucoup plus abondante du plomb dans notre environnement !
Confiner et immobiliser les atomes radioactifs ?
On immobilise en France produits de fission et actinides mineurs au sein de la matière vitreuse des colis de haute activité. La vertu de la matière vitreuse, véritable pieuvre, est d’immobiliser ces atomes radioactifs qui, leur vie durant, se comportent comme des atomes ordinaires. Les rayonnements à courte portée n’émergent pas des colis. De tels colis résisteraient au moins 10 000 ans à l’effet des désintégrations radioactives.
Que faire sur le long terme des colis de haute activité
Les colis de haute activité sont initialement très radioactifs. Pour se protéger de leur radioactivité résiduelle sur le long terme, l’idée est d’ajouter une seconde barrière à la barrière vitreuse Les déchets pourraient être stockés à 500 m de profondeur dans une épaisse couche d’argile. Selon les géologues, les circulations d’eau dans les couches sédimentaires du Bassin Parisien sont de l’ordre de quelques centimètres par centaine de milliers d’années. On a y a même retrouvé des molécules d’eau qui n’avaient pas bougé depuis des millions d’années! La migration par diffusion des atomes dans l’argile est également très lente. Circulation d’eau, diffusion, les atomes se déplacent si lentement qu’ils auront presque tous perdu leur radioactivité s’il leur arrive de sortir de la couche d’argile. Le jour où cela arriverait, le dernier carré d’atomes radioactifs émergents ne présenterait guère de risque pour l’Homme et l’environnement.
Des colis initialement chauds et très radioactifs ?
Le flux intense de gamma qui émerge d’un colis fraîchement produit nécessite le recours à des robots. Ces rayons gamma proviennent d’atomes de césium-137. Par ailleurs, les désintégrations de ce césium et du strontium-90 dégagent une chaleur importante. Ce dégagement de chaleur, plus que le confinement de la radioactivité, augmente les dimensions et le coût d’un stockage profond, car il oblige à espacer les colis pour limiter à moins de 100°C la température des roches au contact.
La radioactivité durera-t-elle 100 000 ans ? Une décroissance lente mais importante…
Flux de gamma et chaleur dégagée nous paraissent durer longtemps , mais quelques siècles en viendront à bout. Les rayons gamma et les chaleurs de désintégrations initiales des deux principaux produits de fission sont divisés par 1000 tous les 300 ans. Ainsi un ver de terre pourrait circuler sans crainte en 2317 à un mètre d’un colis enfoui. Politiques et medias disent volontiers que les déchets radioactifs dureront 100 000 ans ou plus. Mathématiquement l’extinction totale d’une espèce radioactive requiert en effet des temps infinis. En réalité: aux temps quasi infinis correspondent des résidus mathématiquement infimes. Durant le premier millénaire, 99,9% de l’activité d’un colis de déchets disparaîtra. Au delà subsistera la très faible radioactivité des espèces à très longues durées de vie,
Peut-on se débarrasser des noyaux lourds ?
Après la disparition du césium et du strontium, la radioactivité des noyaux lourds – les actinides – devient prédominante. Le plutonium qui peut servir de combustible une fois mis de côté, la masse des actinides restants représentent moins du quarantième de celle des produits de fission. Même s’ils sont peu mobiles et moins radioactifs peut-on s’en débarrasser ? Les noyaux des actinides sont fragiles car trop gros. Une façon de les détruire est de les faire encore grossir en capturant des neutrons jusqu’à ce qu’ils éclatent par fission. Les réacteurs actuels ne se prêtent pas aux captures multiples, leurs combustibles devant être rechargés tous les 3-4 ans. Pour brûler efficacement ces actinides (et le plutonium), il faut des séjours plus longs en réacteur et des flux de neutrons intenses. De futurs réacteurs « transmuteurs » sont envisagés (réacteurs à neutrons rapides, réacteurs hybrides). Citons le concept original des réacteurs à sels fondus. Le combustible serait liquide, les actinides mineurs resteraient au sein de cette sorte de soupe assez longtemps pour être brûlés.
En conclusion ?
Ingénieurs et scientifiques ont déjà beaucoup fait pour nous protéger et ériger des barrières entre l’environnement et la radioactivité pour des milliers d’années. Ils disposent d’armes multiples pour ce faire : trier les espèces radioactives, les piéger au sein de colis résistants et étanches, entreposer ces colis le temps nécessaire, stocker en lieux sûr les déchets ultimes et éventuellement réduire le volume de ces déchets ultimes par le tri, la transmutation. Des progrès sont certainement devant nous. Dans notre Occident en proie à ses peurs, le plus grand danger est une paralysie résultant de ces peurs.
Crédit photo : Cédric Helsly / EDF