[Série #3] Les discours fondateurs du nucléaire civil – Les adieux d'Oppenheimer (1945) - Sfen

[Série #3] Les discours fondateurs du nucléaire civil – Les adieux d’Oppenheimer (1945)

Publié le 29 décembre 2025 - Mis à jour le 19 décembre 2025
Qu’ils soient prononcés dans un contexte de crise, de coopération internationale ou de construction institutionnelle, certains discours font basculer l’histoire. Depuis près de 80 ans, plusieurs d’entre eux ont contribué à façonner le nucléaire civil et la coopération internationale telle qu’elle existe aujourd’hui. Cette série revient sur ces prises de parole et décisions fondatrices des usages pacifiques de l’atome. Aujourd’hui, retour sur le discours de départ de Robert Oppenheimer, lors de sa démission de son poste de directeur de Los Alamos.

Alors que la Seconde Guerre mondiale se termine officiellement le 2 septembre 1945 avec la capitulation du Japon, Robert Oppenheimer s’adresse pour la dernière fois aux membres du laboratoire de Los Alamos. Le « père de la bombe nucléaire » a en effet démissionné quelques jours plus tôt de son poste de directeur et quitte donc la gestion du programme Manhattan. Alors que le monde découvre le nucléaire avec sa militarisation, Robert Oppenheimer se tourne vers le futur de cette technologie notamment pour les applications civiles, sans pour autant minimiser l’importance de la bombe dans le futur de la diplomatie.

« Nombreux sont ceux qui tentent de se dérober à leurs responsabilités. Ils prétendent que la véritable importance de l’énergie atomique ne réside pas dans les armes qui ont été fabriquées, mais dans tous les immenses bienfaits que l’énergie atomique, et notamment ses diverses radiations, apportera à l’humanité. Il y a sans doute une part de vérité là-dedans. J’en suis même convaincu, car jamais auparavant un nouveau domaine n’a été ouvert sans que ses véritables retombées ne soient d’abord invisibles. J’ai la ferme conviction que les fruits – les applications dites pacifiques – de l’énergie atomique contiendront tout ce que nous imaginons, et bien plus encore. »

La science au cœur du nucléaire

Le physicien américain souligne aussi dans ce discours l’importance de la science dans le développement du nucléaire. Pour lui, la recherche scientifique doit rester au cœur du développement des applications nucléaires. « C’est un domaine nouveau, où le rôle de la science a été si important qu’il me semble inconcevable que les traditions scientifiques internationales et la fraternité des scientifiques ne contribuent pas de manière constructive. »

Ce partage de la connaissance est aussi un point important du discours de Robert Oppenheimer. Que ce soit au niveau scientifique ou politique, le chercheur appelle à une coopération internationale et une ouverture des discussions malgré un contexte international tendu. « Si l’énergie atomique doit être considérée comme un problème international, comme je l’estime indispensable, si elle doit être abordée sous l’angle d’une responsabilité et d’une préoccupation communes internationales, alors les problèmes liés au secret sont eux aussi des problèmes internationaux. […] Il ne s’agit pas simplement de la possibilité pour les scientifiques et les étudiants d’échanger [mais de développer] un mécanisme très concret, imposant plus ou moins ces échanges afin que nous soyons absolument certains que la fraternité des scientifiques soit renforcée et que les liens dont dépend une si grande partie de l’avenir soient consolidés et étendus. »

Penser la régulation

Lors de ce discours, Robert Oppenheimer pose aussi les bases d’un système de régulation indépendant, proche des autorités nucléaires que nous connaissons aujourd’hui. Au niveau international, il imagine « une commission conjointe de l’énergie atomique, fonctionnant sous les directives les plus générales des différents États, mais avec un pouvoir qui leur serait propre et qui ne serait pas soumis au contrôle des chefs d’État, pour aller de l’avant avec les applications constructives de l’énergie atomique que nous souhaiterions tous voir se développer — les sources d’énergie et les innombrables outils de recherche qui sont des possibilités immédiates ». Une description qui rappelle ce qu’est devenue l’Agence internationale de l’énergie.

Par Simon Philippe (Sfen)

Image : Robert Oppenheimer et le Général Leslie Richard Groves, les deux dirigeants du laboratoire de Los Alamos. ©Atomic Heritage Fondation